Petit manuel d’escroquerie à l’usage des auteurs malhonnêtes qui se lancent, 3e partie

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La semaine précédente, nous avons vu les méthodes qui demandent un peu d’investissement financier. À présent, nous passons au stade « expert », j’espère donc que vous avez bien retenu les deux leçons précédentes…

Les méthodes qui demandent beaucoup de culot (et un ego surdimensionné, si possible) :

  1. Devenez ami avec une star de la télé. Qu’importe s’il s’agit d’un présentateur du téléachat sur une chaîne obscure regardée par trois personnes, ou d’un chanteur qui a eu un moment de gloire avant de sombrer plus ou moins dans l’oubli. Être pote avec quelqu’un qui passe à la télé, c’est la classe, ça va vous ouvrir des portes.
    • Avantage : votre nouvel « ami » pourra parler de vous dans ses quelques rares interviews, vous pourrez prendre des photos avec, les placarder partout.
    • Inconvénient : veillez à ce que votre nouvel « ami » ne lise jamais votre roman, sinon il risque de vous en vouloir de l’avoir associé à une telle daube et cela pourrait se retourner contre vous.
  2. Devenez l’égérie d’une marque quelconque. Le fleuriste du coin est sans doute à la recherche d’un peu de pub gratuite supplémentaire, une petite entreprise qui se lance peut être éblouie par votre bluff et se dire que vous proposer cette sorte de partenariat un peu bizarre pourra lui ouvrir des portes. Veuillez toutefois à bien choisir vos « partenaires ». Une marque de croquettes pour chien, par exemple, n’est pas un bon partenaire, à moins que votre roman ne parle de votre compagnon à quatre pattes. Le papier toilette, ce n’est pas super non plus. Car oui, il faut que ce soit un minimum glamour.
    • Avantage : vous avez votre tronche sur un dépliant publicitaire, ça fera parler un peu de vous.
    • Inconvénient : si personne n’a entendu parler de la marque, ça fait un peu auteur désespéré qui se raccroche à des brindilles (ou, en retournant la situation, entreprise désespérée prête à tout et qui n’a trouvé que vous).
  3. Mettez des photos de vous partout, si possible tenant votre roman (ou si vous n’avez pas (encore) d’exemplaire papier, avec votre illustration de couverture en fond). Inondez les réseaux sociaux de votre mine réjouie. Si vous êtes un minimum séduisant, plein de gens désespérés du sexe opposé (ou pas) vont s’intéresser à vous, vous vous sentirez important, et comme ce genre de personne n’a en général pas une intelligence extraordinaire, il se peut même qu’ils apprécient votre œuvre (ou fassent semblant pour vous flatter). Tout le monde sait que les écrivains les plus lus sont les plus beaux.
    • Avantage : plein de fans en plus ! Qu’importe si ce sont des hommes ou des femmes hystériques qui vous écrivent des messages privés du genre « tu m’exite, tu veu ètre mon amie ? » ou « je fantasme tro à fon sur toi, tes le plu beau mec de la terre, je te file mon 06, apèle moi stp ». Après tout, l’important, c’est que vous ayez plein d’amis. Rappelez-vous que ce que vous voulez, c’est être connu. La quantité prime sur la qualité.
    • Inconvénient : les commentaires dégoulinants de bave sur la moindre de vos photos, même celle mal cadrée et floue où vous êtes de dos dans la brume au crépuscule, risquent de faire fuir les quelques lecteurs « sincères » qui se demanderont s’ils sont sur la page d’un écrivain ou sur celle d’un chanteur dans un groupe de musique pop pour adolescents.
  4. Postez partout des citations tirées de vos propres livres. Non seulement ça montrera que vous êtes un écrivain, un vrai (car chacun sait que les écrivains sont des êtres profondément imbus d’eux-mêmes et égocentriques avec un énorme complexe de supériorité), mais en plus, vos fans trouveront ça « tro profon, plein de phylosophie ». De même, terminez chacun de vos statuts facebook par une phrase qui vous caractérise, toujours la même, car les gens ne se lassent jamais (et soyons honnêtes, vous avez planché longtemps pour la trouver, cette phrase, et vous voulez la rentabiliser). Comme un slogan, en somme (vous savez, « Always, Coca-Cola » ou « Les lave-linges durent plus longtemps avec Calgon », ou encore « Efficace et pas chère, c’est la MAAF que j’préfère, c’est la MAAF ! » (avouez que vous l’avez dans la tête, maintenant, hein ? C’est bien ce que je disais).
    • Avantage : il y aura une certaine continuité, les lecteurs associeront cette petite phrase à votre illustre personne, un peu comme Amélie Nothomb et ses chapeaux (ou Vanessa du Frat et ses décolletés, haha). Les gens pourraient même partager vos citations entre deux photos de chatons dans un panier ou de paysages avec arc-en-ciel et petits cœurs. Leurs contacts, soudain soufflés par cet élan de philosophie, pourraient aller voir qui est l’auteur de cette citation si profonde.
    • Inconvénient : à la longue, quand même, ça devient lourd. Vos éternelles citations ou votre slogan mielleux peuvent faire fuir les gens qui se sont inscrits à votre page « pour voir » (et aussi parce que vous avez envoyé trouze mille invitations à tous vos contacts et avez insisté pour qu’ils aillent « liker » votre page). Car il faut bien être clair, le mielleux et les citations, ça plaît à une certaine catégorie de personnes (ceux qui partagent des photos d’arc-en-ciel et de petits cœurs dans un panier et des paysages avec des chatons dans le ciel. Ou l’inverse).
  5. Essayez de trouver un écrivain plus connu que vous et proposez-lui d’écrire un roman à quatre mains. Pas parce que vous aimez ce qu’il fait (et pourquoi perdre du temps à lire le roman d’un futur partenaire ?), mais parce qu’il a déjà son public (celui qu’il a réuni grâce au Petit manuel à l’usage des auteurs honnêtes qui se lancent qui ne comporte qu’une ligne : « Croyez en vous et persévérez, c’est grâce à la qualité de votre travail que vous pourrez obtenir la reconnaissance »). Proposez-lui votre propre projet, ne cherchez pas à définir quoi que ce soit avec lui. De toute manière, vous avez déjà tout prévu, ce n’est pas parce que quelqu’un d’autre est impliqué qu’il doit se mettre à chambouler vos plans, non mais oh ! (Du moment qu’il partage auprès de ses lecteurs, hein…) Il ne veut pas ? Qu’à cela ne tienne. Insistez, lourdement. Si vraiment il ne veut pas (après tout, c’est lui qui perd quelque chose, pas vous ! Dire qu’il aurait pu avoir la chance de travailler avec quelqu’un comme vous et qu’il préfère se concentrer sur ses propres projets ! Non mais quel abruti, celui-là !), trouvez-en un autre. Répétez le processus jusqu’à dénicher un écrivain plus connu que vous qui acceptera votre marché et annoncez partout votre collaboration, en accompagnant si possible cette annonce d’une petite histoire à faire frémir dans les chaumières, du genre « je me suis trouvé(e) par hasard dans un train à côté de quelqu’un qui lisait mon livre (rappelez-vous, on ne peut jamais trop se faire mousser), nous avons échangé quelques mots, et tout de suite, l’idée de cette collaboration a germé entre nous ! Et en plus, c’était Machin Connu, et je ne le savais même pas, alors que j’ai lu tous ses bouquins ! »
    • Avantage : vous récupérez ses lecteurs (ceux qui l’aiment pour la qualité de son travail et pas pour ses photos dans une pose sexy), et ceux-ci vont se dire : « Oh, Machin Connu va travailler avec cet auteur dont je n’ai jamais entendu parler mais qui a plein de fans sur les réseaux sociaux, et même qu’il est l’égérie d’une marque de cigares et d’un fabricant de décapsuleurs, ça doit être quelqu’un de génial, sinon Machin Connu, dont j’ai lu tous les bouquins, n’aurait jamais accepté de travailler avec lui ! »
    • Inconvénient : les auteurs à qui vous avez proposé cette collaboration avant et qui ont refusé riront un peu sous cape et risquent peut-être d’écrire des articles sur un site. Sans compter qu’il faudra aussi faire avec la personnalité de quelqu’un qui a une certaine expérience et qui ne sera peut-être pas impressionné par votre bluff, donc ça risque de blesser un peu votre ego.
  6. Donnez de nombreuses interviews (c’est-à-dire, écrivez à tous les journaux que vous connaissez pour leur raconter votre merveilleuse histoire, les 40 000 exemplaires vendus (première partie de l’article, pour ceux qui n’ont pas suivi), votre partenariat avec le fabricant de décapsuleurs, votre collaboration avec Machin Connu, etc.), et dans celles-ci, expliquez longuement votre processus d’écriture, racontez votre journée, les deux heures quotidiennes à répondre aux courriers de vos lecteurs (et faites d’une pierre deux coups : vous êtes quelqu’un de suffisamment généreux pour offrir une partie de votre journée à vos lecteurs et pour leur répondre longuement, et vous avez des lecteurs qui vous écrivent, c’est la classe !), votre manière d’écrire, vos ventes spectaculaires, votre philosophie, etc. N’en jetez plus, ils sont conquis.
    • Avantage : les gens qui ne vous connaissent pas et qui tombent sur cette interview vont être intrigués, peut-être même assez pour acheter votre livre.
    • Inconvénient : quand votre journée paraît plus remplie encore que celle de Stephen King lui-même, cela peut sembler louche.
  7. Vous voulez lancer un nouveau projet ? Surfez sur une vague à la mode. Prenez une série qui a très très bien marché, plagiez-la, appelez-la presque pareil, veillez à ce que votre couverture puisse être confondue avec celle de ce best-seller et clamez partout que votre nouvelle série va détrôner ce monument.
    • Avantage : vous récupérez les fans de la série qui a très, très bien marché. Et à moindre frais, en plus, puisque l’autre auteur aura déjà fait toute la promo.
    • Inconvénient : il peut y avoir de tout petits problèmes de droits à la propriété intellectuelle, quelques accusations de plagiat, etc. Mais qu’à cela ne tienne, les procédures durent des années, et d’ici-là, vous serez tellement connu que vous n’en aurez plus rien à faire de payer 100 000 € de dommages et intérêts.
  8. Participez à des associations caritatives, annoncez que vous allez donner une partie de vos bénéfices au Refuge pour chiens alcooliques et héroïnomanes, vous vous mettrez au même niveau que tous ces auteurs véritablement engagés dans des causes, et qui le font par pure générosité parce qu’ils sont de toute manière déjà connus.
    • Avantage : vous passez immédiatement au stade supérieur de l’auteur de best-sellers : l’auteur de best-sellers généreux et altruiste.
    • Inconvénient : il faut vraiment donner vos bénéfices. Donc veillez à ne pas trop vous engager sur ce projet qui ne vous rapportera au final pas grand-chose.
  9. Bloquez systématiquement tous les gens qui critiquent votre travail (ou votre manière de promouvoir celui-ci). Intervenez sur tous les sujets qui parlent de vous pour défendre votre point de vue, et surtout, rappelez-vous : que des jaloux.
    • Avantage : au moins, ils ne pourront plus intervenir sur votre mur ou semer le doute dans l’esprit de vos fans (après tout ce que vous avez fait, ce ne sont plus des lecteurs, ce sont des fans !).
    • Inconvénient : veillez tout de même à ce que ce ne soient pas des éditeurs, des journalistes ou des auteurs, ou qu’ils n’aient pas un site de conseils pour les jeunes écrivains, ils pourraient décider d’aller semer le doute dans l’esprit de vos fans à plus grande échelle.

Maintenant, vous voilà équipés pour la promotion malhonnête de votre ouvrage !

Chers lecteurs, notez bien que cet article est une œuvre de fiction à but sarcastique, et que toute ressemblance avec des personnes, des méthodes ou des événements ayant existé est purement fortuite (ou pas).

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Corriger un roman – Réviser la forme (1ère partie)

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Bon, ça y est ? L’histoire fait sens, tous les éléments collent ? Bien sûr, vous aurez eu à cœur de vérifier la force et la psychologie de vos personnages. Portent-ils bien le récit ? Alors assez logiquement, après le fond, il faut maintenant se pencher sur la forme. Cet article sera un peu long, il y a beaucoup à dire, du coup, on va même le scinder en deux. Cette semaine nous parlerons du style et du rythme, la semaine prochaine de la partie « technique » 😉

La phase de réécriture corrective de la forme

Tout comme pour le fond, revenons un instant sur la définition du concept de « forme » : la FORME est un peu le contraire du fond. Dans un roman, elle regroupe tout ce qui a trait à la syntaxe. À l’opposé du fond, la forme est donc majoritairement objective (je rassure les artistes, il vous reste du champ libre en ce qui concerne « le style »). Les règles et références en sont nombreuses. Sa correction est la marque d’un auteur qui maîtrise ses outils – ou à défaut, qui saurait s’entourer de collaborateurs capables de le corriger convenablement, n’est-ce pas Nikkos ?

La forme :

« Les moyens techniques mis en œuvre pour transmettre les idées (le fond). »

  • Forme « stylistique » :
    • Le genre du texte ;
    • Le type de vocabulaire et de champs lexicaux ;
    • La structure de l’ensemble ou des parties ;
    • Les figures stylistiques et syntaxiques ;
    • Le rythme et la tonalité.
  • Forme « technique » :
    • La typographie ;
    • La ponctuation ;
    • La conjugaison des verbes ;
    • La grammaire ;
    • L’orthographe ;
    • etc.

Si le style est bien évidemment subjectif et à votre entière discrétion, je ne saurais résister à l’envie de vous mettre en garde. C’est un mirage qui attire beaucoup d’auteurs débutants. Dans le contexte du roman de fiction, le plus important est le FOND, puis la FORME « TECHNIQUE » et en dernier la forme stylistique. Autrement dit, avant de « trouver votre voix », assurez-vous de savoir raconter des histoires clairement et proprement. Après tout, un peintre, avant de choisir son école de peinture, se doit de maîtriser sa toile, ses pinceaux, sa gouache, ses mélanges, ses couches et sous-couches. Un musicien se frotte au solfège, à la pratique de son instrument et aux répétitions avant de choisir le style de ses solos endiablés. Pourquoi serait-ce différent pour un auteur ?

styleExemples :

Les points mis en évidence plus haut sont les règles objectives à respecter. Elles sont nombreuses (nous écrivons en français, une langue riche qui va du texto à la production philo-socio-politico-intello-littéraire…). Je ne peux pas faire de cet article un cours magistral sur la chose, je vous renverrai donc sur des références établies. Par contre, dans les exemples suivants, je vais soulever les erreurs les plus fréquentes, mais pas forcément les plus connues.

Une incartade dans le style

Typiquement du côté « subjectif » de l’argumentaire, je ne résiste pourtant pas à vous brosser quelques points « objectifs » qui, s’ils sont laissés sans surveillance, nuiront à votre style quel qu’il soit (sauf si vous visez le style « débutant qui va défoncer la scène littéraire francophone… dans ses rêves »).

Les répétitions :

repetitionElles plombent rapidement un style et, pour le lecteur, marquent un manque de vocabulaire certain. Chassez donc les répétitions de mots (surtout les adjectifs, noms et flexions un peu rares. Une répétition de « mains » passe plus inaperçue que pour « transigeance »), de pronoms (surtout en début de phrase, les « il / elle » sont des tueurs, variez avec les noms ou autres appellations de vos sujets), de style (remplacer « comme » par « ainsi que », « tel que », « à l’instar de » ne changera pas le fait qu’il y a répétition de formes comparatives dans le texte. De même, faites attention à l’usage trop fréquent de métaphores).

Il était parti. Elle referma la porte et elle enfouit son visage dans ses mains. Il tourna au coin de la rue sans un regard en arrière. => John était parti. Elle referma la porte et enfouit son visage dans ses mains. Son mari tourna au coin de la rue sans un regard en arrière.

=> Les meilleurs outils à votre disposition restent encore un bon dictionnaire de synonymes et beaucoup de lecture.

Les verbes « faibles » :

faibleLa nature de certains verbes est floue. Or, l’écriture d’un roman doit être ciselée et précise. Sans les bannir systématiquement (des passages peuvent avoir besoin d’entretenir une certaine confusion. Et si vous écrivez pour la jeunesse, leur présence est beaucoup plus logique), posez-vous toujours la question en rencontrant « faire », « sembler », « paraître », « commencer », « pouvoir », « devoir », « aller », « dire » si un verbe plus précis ne pourrait pas être utilisé. Deux verbes sont à chasser encore plus drastiquement, car leur usage en tant qu’auxiliaire apporte de surcroît un souci de répétition, j’ai nommé nos fameux « être » et « avoir ». (Je parle bien de réduire à peau de chagrin leurs formes verbales, pas leur usage en tant qu’auxiliaires qui est lié le plus souvent à la conjugaison des temps composés).

Il était si beau que toute la salle fut subjuguée. => Sa beauté hors du commun subjugua la salle entière.

Elle fit un délicat ragoût et put exprimer ainsi son savoir-faire. => Elle mijota un délicat ragoût pour exprimer son savoir-faire. / Elle exprima son savoir-faire en mijotant un délicat ragoût.

Traitez les formes verbales suivantes de la même manière, elles sont tout aussi « faciles » et peu précises : « il me semble », « j’ai l’impression que », « on dirait », « avoir l’air », « venir de », « continuer de », « être sur le point de ».

=> Le meilleur outil reste encore un bon œil à la relecture. Un logiciel de recherche et d’analyse de votre texte pour indiquer les répétitions groupées par catégories (afin de détecter les verbes quels que soient leur forme et leur temps) serait utile, mais je n’en connais pas qui soit autonome et efficace, seul Repetition Detector qui cherche sur le radical des mots peut encore être de quelque utilité. Sinon il reste les logiciels de correction comme Cordial et Antidote qui ont un module d’analyse complet intégré. Ma préférence va sans conteste au dernier, un fidèle compagnon depuis des années.

Les adjectifs et termes « faibles » :

Tout comme les verbes, il est des adjectifs et termes des plus ternes : « bon », « meilleur », « faible », « utile », « similaire », « relatif », « possible »… à remplacer par des équivalents plus pertinents.

Les débuts de phrases « plats » :

platIl y a des formes comme celle que je viens d’employer qui, si elles se prêtent à des papiers un peu techniques ou journalistiques, sont d’une platitude absolue dans un roman. Fuyez comme la peste les phrases débutant par « Il y a » (et ses déclinaisons « Il y avait », « Il y eut », « Il y aurait »…) ou « C’était » (et ses déclinaisons « C’est », « Ce fut », « Ce serait »…)

Il y avait des matins où John n’y tenait plus. C’était plus fort que lui, il lui fallait sa dose de nicotine. => Certains matins, John n’y tenait plus. Seule sa dose de nicotine comptait pour lui.

=> Une simple recherche dans le texte avec les outils de votre traitement texte devrait vous aider à identifier ces débuts de phrases un peu mous.

La voix passive :

voix-passiveSoyons clairs : cela ne donne pas un genre intelligent ni l’impression de maîtriser la langue à un niveau insoupçonné, comme certains le pensent. Dans un roman de fiction… C’est juste lourd !

À moins que ce ne soit d’une importance capitale, un choix conscient et calculé pour attirer l’attention du lecteur sur une action particulière, aucune hésitation : retournez ces phrases comme une paire de gants en caoutchouc. Allez hop ! À l’actif !

Il avait été frappé par une soudaine fièvre => Une soudaine fièvre le frappa / Une soudaine fièvre l’avait frappé.

Le rythme

rythmeÉcrire est très similaire à faire de la musique et le meilleur conseil que je puisse vous donner pour cette partie corrective de la forme c’est de vous relire à haute voix (vous sentirez mieux la fluidité, les apnées, les saccades…).

La taille des phrases :

longuesUn bon morceau de musique sait jouer avec le rythme et la tonalité. À l’écrit, il faut savoir, de même, alterner pour appuyer une description ou porter la charge dynamique d’une action. Raccourcissez les phrases à rallonge truffées d’incises multiples et d’imbrications de subordonnées, elles alourdissent inutilement. Gardez un œil sur les longs passages découpés au hachoir, ils n’ont leur place que pour porter une action forte, et même là, il faut savoir ménager des pauses, ou votre lecteur s’essoufflera.

John décida, sans en avertir sa dulcinée, de prendre ses congés à la fin août. => Sans en avertir sa dulcinée, John décida de prendre ses congés à la fin août.

=> Instinctivement, on marque une pause sur les virgules, mais on ne respire que sur les points (tous types confondus). Ne laissez pas vos lecteurs s’asphyxier. N’hésitez pas à segmenter une longue phrase en plusieurs. Souvent un simple point à la place d’une virgule suffit. Parfois, il faut remanier un peu l’ordre des subordonnées.

Les imbrications de subordonnées relatives :

imbricationRien de tel pour casser le rythme d’une phrase, à bannir. En plus, cela élimine souvent une phrase trop longue. D’une pierre deux coups !

Avec la chance de John qui avait retrouvé le dossier qu’on lui avait volé, tout était possible. => Avec sa chance, John avait retrouvé le dossier volé. Tout était possible.

Adverbes en « –ment » (et participes présents) :

adverbesLes adverbes se terminant en « -ment » sont non seulement parfaitement alourdissants pour les phrases, mais ils engendrent également un fond sonore gênant en répétant allégrement le son « en ». => La terminaison en « -ment » de certains adverbes alourdit les phrases. Mêlée à un usage intensif du participe présent, elle accroît de plus le phénomène de répétition du son « en ».

Abus de conjonctions :

conjonctionsOn nous apprend très tôt à l’école à lier nos raisonnements par des conjonctions (mais, cependant, pourtant, néanmoins, tandis que, et…), un usage fréquent dans le langage parler. Si leur utilisation est tout à fait valide pour une étude, un essai ou une dissertation, elle empâte considérablement le narratif d’un récit qui s’étale sur plusieurs centaines de pages et en sera donc truffé si on commence à lier chaque action entre elles. Beaucoup de causalités sont intrinsèques à l’histoire et il n’est nul besoin de les appuyer en ajoutant une conjonction. Veillez à les garder à un minimum ainsi qu’à renommer vos groupes pour éviter le phénomène de « liste des commissions » (ça ET ça ET ceci ET cela…).

Il prit la valise tandis qu’elle s’emparait de la mallette contenant les billets et John et Mary quittèrent la chambre d’hôtel ensemble. => Il prit la valise. Elle s’empara de la mallette contenant les billets. Deux minutes plus tard, les deux amants quittèrent la chambre d’hôtel ensemble.

Merci d’avoir tenu jusque-là, on se retrouve la semaine prochaine pour parler des corrections techniques.

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Petit manuel d’escroquerie à l’usage des auteurs malhonnêtes qui se lancent, 2e partie

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La semaine précédente, nous avons vu les méthodes gratuites (et malhonnêtes) pour se faire connaître. Cette semaine, l’article est plus court (car on peut quasiment tout faire sans débourser un centime, ce n’est pas génial, ça ?), mais il sera bientôt suivi de l’épisode final, beaucoup plus long…

Maintenant, les méthodes qui demandent un peu de sous :

  1. Payez-vous des pages de publicité dans les journaux, les magazines, ou plus simplement, sur Google.
    • Avantage : selon le prix que vous êtes prêt à mettre, cela vous offrira une grande visibilité.
    • Inconvénient : selon la visibilité que vous voulez avoir, cela vous reviendra très cher.
  2. Payez quelqu’un pour acheter vos ebooks à votre place. Car oui, il y a des sociétés (ou en tout cas une…) qui proposent ce genre de services. Pour une cinquantaine d’euros de frais d’inscription, puis en fonction de combien vous êtes prêt à dépenser, ils achèteront vos ebooks pour vous faire monter dans le top 10 des livres Kindle.
    • Avantage : vous allez monter dans le top 10 Kindle.
    • Inconvénient : ça peut vite devenir cher.
  3. Pourquoi payer pour faire faire à quelqu’un ce que vous pouvez faire tout seul pour moins cher ? Achetez-le donc vous-même, votre bouquin ! Vous l’avez déjà fait ? Et maintenant vous ne pouvez plus car il est marqué comme déjà en votre possession ? Et c’est ça qui vous arrête ? Eh bien sachez que vous pouvez acheter plusieurs fois un livre sur Amazon. Je ne vais pas vous dire comment faire, mais c’est extrêmement simple.
    • Avantage : vous allez monter dans le top 10 Kindle, et pour moins cher qu’avec les escrocs sociétés qui vous proposent la même chose. D’une manière ou d’une autre, étant l’auteur du roman, vous toucherez votre pourcentage sur les ventes de vos romans. Que vous avez achetés vous-même. Mais qui comptent quand même comme des ventes… Oh, pis on ne s’y retrouve plus.
    • Inconvénient : si ça se sait… je crois que personne n’aimerait être à votre place à ce moment-là.

Et voilà ! Maintenant, vous êtes équipé pour la promotion malhonnête de votre roman ! Comme vous pouvez le voir, on peut déjà faire beaucoup sans dépenser un sou (première partie), même si un petit coup de pouce financier est le bienvenu. Après, évidemment, vous pouvez approfondir les choses, mais on passe alors au niveau avancé… que nous verrons très bientôt.

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Corriger un roman – Réviser le fond

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Pour ceux qui suivent [EC], vous aurez sans doute noté que je ne suis pas du genre à prendre ouvertement parti sur des sujets polémiques, je reste plutôt neutre. Je revendique ce droit. D’une part nous sommes sur des sujets d’ordre artistiques et je trouve naturel de ne pas avoir des avis tranchés à la hache. D’autre part, je suis un gars très ouvert d’esprit dans la vie courante. Dans cet article vous me verrez sous un nouveau jour. Je vais prendre parti, et pas qu’un peu ! Après tout, dans les lignes qui suivent, nous allons vraiment toucher le fond.

Toutes les illustrations qui suivent se feront avec un vrai roman, sorti en 2011 en tant que Thriller scientifico-ésotérique et best-seller francophone chez un grand éditeur. Nous utiliserons les conventions suivantes pour y faire référence :

  • Titre du roman = Le Vieil Artefact.
  • Auteur = Nikkos Brisant.
  • Éditeur = Mitch Bottom.

La phase de réécriture corrective du fond

Il est peut-être nécessaire de revenir sur des concepts de base : le FOND, c’est quoi ? Dans un roman, le « fond » regroupe tout ce qui a trait au récit lui-même, à l’histoire. Évidemment, le degré d’objectivité est plutôt réduit puisque l’on est dans l’ordre des idées. Il reste cependant quelques aspects 100 % objectifs concernant le fond et qu’il est CAPITAL de corriger – n’est-ce pas Nikkos ?

Le fond :

« Ce qui constitue le contenu, la matière, l’essence d’une œuvre, s’opposant à la forme. »

« L’idée et les thèmes que l’auteur développe dans son texte. »

  • Le sujet du texte, son propos ;
  • Les idées / thèmes principales/aux et secondaires qui y sont développés ;
  • Les images fortes (symboles, archétypes, stéréotypes) qu’il véhicule ;
  • Les préoccupations idéologiques et esthétiques ;
  • La représentation de « l’univers » créé par l’auteur (monde / époque) ;
  • La cohérence du récit ;
  • La crédibilité des personnages et de leurs actions ;
  • etc.

Comme discuté au début de cette série d’articles, je ne vise qu’à mettre en évidence la correction des points objectifs. En ce qui concerne le fond, ils sont mis en évidence dans la liste ci-dessus.

Exemples :

Illustrons nos propos, parce que je sens bien les scripturaux du fond qui s’agitent à l’idée que « la représentation de l’univers créé par l’auteur » puisse être une donnée objective de correction. Pour nous aider, je vous demande d’accueillir notre intervenant, M. Nikkos Brisant, à qui j’ai déjà fait allusion une fois ou deux précédemment. Nikkos est l’auteur d’un thriller scientifique sorti à grand tirage. Idéal pour illustrer notre premier exemple, car son univers est des plus simple à appréhender :

La représentation de « l’univers » créé par l’auteur (monde / époque)

objectifDans ce roman, l’univers du récit est tout simplement notre monde contemporain, donc pas besoin de se brûler les méninges pour comprendre comment tout fonctionne.

Entre les pages 180 et 188, le héros de Nikkos est prisonnier au fin fond de l’Allemagne dans une forteresse tenue par une élite aryenne. L’héroïne, une journaliste, est en région parisienne. Son plan est de profiter que la fameuse élite recrute la crème de la crème des scientifiques pour pénétrer les locaux sous couvert d’un entretien d’embauche. En moins de 24 h[1], elle va : bidonner un CV de scientifique de classe mondiale (avec toutes les références qui vont bien), traduire le tout en une version impeccable (d’anglais ou d’allemand, ce n’est pas clair dans le récit, peu importe), se fabriquer une fausse identité avec papiers et arbre généalogique, acheter un 4×4 BMW et le nettoyer comme neuf (les sièges passés au pinceau selon Nikkos, p. 185), se décolorer les cheveux et se déguiser, postuler, passer tout le processus de sélection des ressources humaines, recevoir une confirmation et un rendez-vous, préparer du matériel d’écoute et d’enregistrement, arriver à 12 h, fraîche et pimpante dans un beau tailleur seyant après 650 km de route.

Maintenant, dites-moi OBJECTIVEMENT si c’est réaliste dans notre univers (administrations française et allemande, limitation à 130 sur autoroute, processus d’embauche, acquisition de véhicule, assurance, faux papiers… sans faire appel à un flic ou un truand…). Nikkos trouve que oui… ou plus probablement : Il n’est pas passé par une réécriture corrective du fond.

La cohérence du récit

Des pages 99 à 101 (environ 4 minutes d’action en continu dans la même pièce) du roman de Nikkos, nous trouvons, je cite (pour clarifier j’ai remplacé les noms par les fonctions des protagonistes) :

« Le méchant glissa l’objet dans sa sacoche en bandoulière… » [entre-temps, il est dérangé par un gardien] « … on entendit un bruit de fenêtre brisée et le méchant disparut. » [la sacoche sous le bras] « La méchante repéra la sacoche gisant à terre et se baissa pour la ramasser. »

Nous avons donc soit un objet doué d’ubiquité, soit une jolie incohérence du récit. Dans tous les cas, une chose est sûre : Nikkos n’est pas passé par la phase de réécriture corrective du fond.

La crédibilité des personnages et de leurs actions

Entre les pages 326 et 332 (environ 15-20 minutes d’action entre les faubourgs de Jérusalem et le désert israélien), Nikkos s’achemine vers le climax de son histoire dans un suspense haletant. En effet, le méchant s’empare de la feuille de papier contenant la traduction du secret après lequel tout le monde court depuis le début, avant que les héros n’aient pu la lire. La feuille à la main, il fuit dans les escaliers, saute dans sa voiture et démarre en trombe. Mais les héros le suivent dans leur gros 4×4. Course poursuite, on quitte la ville, virages, routes dangereuses, il s’échappe, ils le rattrapent, campagne, routes désertiques, perte de contrôle, accident. La poursuite reprend à pied. Le méchant court, le héros rivé à ses talons. Il escalade les marches d’un vieux temple en ruine accolé à la montagne, se retrouve acculé sur la grande dalle surplombant le site. Combat, esquive, bagarre, le méchant perd l’équilibre, chute dans le vide, et in extremis, le héros lui arrache la feuille de papier des mains…

Et dire que s’il avait simplement mis la feuille dans sa poche, le méchant aurait pu conduire avec ses deux mains et échapper ainsi facilement à ses poursuivants en maîtrisant mieux son véhicule… ou grimper plus vite et s’enfuir, ou se battre avec ses deux poings et gagner. C’est bête quand même, non ? Mourir parce qu’on a oublié d’utiliser ses deux mains ?

Merci, Nikkos, rien ne vaut des exemples concrets pour démontrer l’importance de passer à travers une réécriture corrective du fond !

Mon avis de lecteur :

livreEn tant que lecteur de romans de fiction, quand je me procure un livre, j’achète du dépaysement, du rêve, bref… une HISTOIRE ! Soigner le fond n’est donc pas une option. C’est la première chose qui me fera fermer le livre en se disant « ouh là… ça tient pas la route ».

Alors attention, je ne vous dis pas qu’un style pourri et une écriture truffée de fautes soient acceptables. Il ne faut pas non plus bloquer la lecture par un texte illisible. Mais une bonne histoire, cohérente, avec des personnages crédibles, passera sans soucis avec un style neutre et une écriture classique. Alors qu’une histoire qui ne fait aucun sens ne sera pas rattrapée par un style « extraordinaire et excellent en tous points ». Pourquoi ? Vous ne suivez pas, je vous l’ai dit plus haut : si j’ai choisi un roman de fiction, c’est pour son histoire, justement. Si j’avais été à la recherche de beaux mots de huit syllabes et de phrases brillantes de plusieurs pages, je me serais acheté l’édition du jour du Littré, du Bescherelle, ou un bel essai d’un de mes confères de Saint-Germain, mais pas un roman de fiction.

Mon avis d’auteur :

auteurCette phase de correction du fond peut être très courte (notamment pour ceux qui travaillent avec un plan et le tiennent à jour au cours de la phase d’écriture) si tous vos éléments tiennent la route. Ce fut mon cas pour Forfait illimité*. Une simple révision pour s’assurer que tout s’enchaînait bien, que les intrigues faisaient sens, qu’il n’y avait pas d’erreurs techniques (c’est un techno-thriller), que les personnages tenaient la route comme convenu.

Elle peut aussi être plus longue (ce fut mon cas avec Naturalis) :

  • Si vous avez beaucoup divergé entre ce que vous aviez en tête et ce que vous avez finalement écrit. Dans ce cas des éléments perturbateurs peuvent avoir rendu certaines choses impossibles ou incohérentes (l’ajout d’un enfant pour un héros trop jeune, l’abandon ou l’ajout d’un personnage qui rend une quête caduque, etc.) ;
  • Si vous flirtez avec des thèmes complexes (voyage dans le temps, psychologie, science & technique…) ou des genres hyper dépendants des moindres détails (polar, thriller) ;
  • Si des éléments extérieurs « réels » interviennent (histoire, information, sociologie) et réclament des recherches / vérifications / ajustements (la réalité rattrape et dépasse parfois la fiction, ce n’est pas juste un adage).

Vous pouvez rendre les choses les plus folles totalement cohérentes, pour peu que vous posiez vos jalons correctement dans votre histoire. La crédibilité du récit est dépendante de l’univers dans lequel il se déroule. Il est donc de votre responsabilité de renforcer cette crédibilité en fournissant toutes les informations nécessaires au lecteur sur les particularités de votre « monde »..

Le défi consiste ici à bien lire ce que vous avez écrit sans intégrer ce que vous savez déjà de l’histoire. Le lecteur, lui, n’aura que vos mots, il ne peut pas deviner que c’est cohérent, parce qu’en fait il y a un générateur moléculaire dans l’arrière-boutique de votre alchimiste albinos. Il faut le lui dire, sinon l’explosion finale, aussi bien écrite soit-elle, n’aura pas de sens (je ne comprends pas, il mélangeait juste du jus de tomate avec de la coriandre et boom ! Je ne comprends pas…).

N’oubliez pas que le lecteur, sans informations supplémentaires de votre part, assumera toujours les choses les plus simples et les plus proches de SA réalité. Par exemple, si vous écrivez une invasion massive de la Terre par une race extra-terrestre en notre bon vieux xxie siècle, le lecteur ne comprendra pas comment une telle armada a pu passer inaperçue en s’approchant de la planète. C’est à vous d’expliquer comment et pourquoi aucun satellite n’a rien vu venir, pas au lecteur de le deviner. (Dans le même ordre d’esprit, amis auteurs de SF, renseignez-vous sur les distances interstellaires et les vitesses. L’univers, c’est VRAIMENT très grand…)

 

Voilà qui clôture la partie sur la correction du fond. Un dernier conseil : quand vous faites ce travail, ne vous concentrez pas trop sur la forme. Chaque chose en son temps, focalisez-vous vraiment sur le récit et glissez-vous dans la peau du lecteur qui ne connaît rien de votre histoire (cette capacité de détachement est beaucoup plus difficile à atteindre qu’il n’y paraît).

La semaine prochaine, on attaque la forme, objectif : zéro faute !

 


[1] Moins de 24 h d’action puisqu’elle est à 14 h dans une résidence [p. 173], un peu plus tard, disons 15 h [p. 177] chez son comparse, et le lendemain [Nikkos parle du « plan » mis au point la veille p. 86] avant déjeuner vers 12 h. Le tout  entre Paris et Wewelsburg.

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Petit manuel d’escroquerie à l’usage des auteurs malhonnêtes qui se lancent, 1ère partie

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Prérequis :

  • un roman (n’importe lequel, le vôtre, c’est mieux) ;
  • des dents qui labourent la moquette ;
  • un ego surdimensionné ;
  • être prêt à tout.

Pas prérequis :

  • du talent ;
  • un BON roman ;
  • un roman CORRIGÉ (ou du moins sans trop de fautes dedans)→ gardez vos sous pour votre promo, c’est plus utile.

Pas prérequis mais bien quand même :

  • des sous ;
  • des comptes Facebook et Twitter ;
  • des amis (plein d’amis, vrais ou pas).

Vous venez d’écrire un roman, c’est la huitième merveille du monde, vous en êtes tellement fier que vous êtes prêt à tout pour le faire connaître, même à vendre votre âme au diable et à sacrifier des chatons ? Bien.

Votre roman a été refusé par les maisons d’édition, ou a été accepté avec enthousiasme par des maisons du style Dagobert ou Editetonlivre ? Aucun problème.

Comme nous l’avons déjà vérifié dans les prérequis, vous êtes prêt à tout. Et à présent, à l’ère du livre électronique, le « tout » est beaucoup moins contraignant qu’avant.

Vous publiez donc votre roman, pardon, votre chef-d’œuvre, sur Amazon en autoédition. Mais maintenant, que faire ? Votre roman est tout en bas du classement Kindle, qui le verra ?

Ne vous découragez pas, d’autres sont passés par-là avant vous. Notez que les exemples que je cite ici s’appliquent à Amazon, mais il va sans dire que beaucoup peuvent aussi être adaptés à d’autres sites de ventes de livres électroniques (je n’ose les appeler librairies…).

Résumons : ce que vous voulez, c’est que votre bouquin soit connu (et acheté). Nous avons déjà établi que vous n’aviez pas de talent et que votre roman était illisible. Obstacle insurmontable ? Mais non, voyons. Première chose à faire : vendre votre roman à un prix très bas. Ridiculement bas. Ensuite…

Les méthodes gratuites :

      1. Inscrivez-vous sur un forum, faites-vous passer pour un fan de votre bouquin, démarrez un sujet du genre « j’ai lu un bouquin, il est trop trop bien, le meilleur bouquin de tous les temps ! ». Certaines personnes iront voir. Peut-être qu’elles achèteront même le roman.
        • Avantage : c’est gratuit.
        • Inconvénient : si vous insistez un peu trop, vous pouvez être pris en grippe par les utilisateurs et vous faire jeter. Même chose si vous postez sur TOUS les forums. Même en changeant votre nom d’utilisateur. On vous reconnaîtra de toute manière, ne vous faites pas d’illusions.

         

      2. Mettez de fausses (ou pas) citations de presse dans la description de votre bouquin. « Hallucinant ! » (La Gazette de Saint-Pouète), « Un vrai chef-d’œuvre. » (La Feuille de Chou de Trifouillis-les-Oies), « Marc Lévy n’a plus qu’à mettre la clé sous la porte ! » (Paris-Midi). Veillez tout de même à ne pas sombrer dans le ridicule : « Le Grand Maître à l’œuvre », « Le nouveau Stephen King », « Le meilleur livre de toute l’histoire de la littérature ». Évitez aussi les déclarations des membres de votre famille ou de vos amis, ce n’est pas très sérieux : « Le meilleur roman que j’ai jamais lu ! » (ex-belle-sœur), « Bravo Nono, t’es le plus fort ! » (ami d’enfance), « Je l’ai lu quatorze fois de suite, sans manger, sans boire, et je ne pouvais tellement pas m’en séparer que je faisais pipi dans une bassine ! » (lectrice enthousiaste).
        • Avantage : les lecteurs les plus naïfs vont y croire et vont se dire qu’ils mettent la main sur un chef-d’œuvre. Et à moins d’un euro, c’est une aubaine, non ?
        • Inconvénient : si les gens se mettent à vérifier, ça peut vite tourner au lynchage.

         

      3. Bluffez. Vous avez vendu 4 bouquins ? Rajoutez un 0. Qui le saura ? Personne ne va venir éplucher vos comptes. Vous en avez vendu 40 ? Mais dites donc, c’est le début de la gloire ! Multipliez par deux et rajoutez un 0. Vous avez dépassé la barre des mille ? Oh oh oh, mais c’est fantastique, faites péter le champagne et passez tout de suite sur un nombre à 5 chiffres. Là aussi, évitez de trop exagérer. Si vous prétendez avoir vendu 250 000 romans et que vous avez 4 commentaires sur Amazon, ça risque de ne pas être crédible.
        • Avantage : qui va vérifier vos chiffres de vente ? À part les libraires ou les auteurs qui vous détestent et qui ont accès au même genre d’outils et qui verront qu’au lieu des 40 000 ventes annoncées, vous en avez vendu 2 200, mais bon, ce sont juste des jaloux. En plus, avec votre nouveau statut de best-seller, vous pourrez écrire à tous les journaux, et avec un peu de chance, des journalistes désœuvrés feront un article sur vous. Sans avoir lu le bouquin, parce que franchement, qui a le temps de faire ça, hein ? Et après, vous pourrez rajouter des citations de presse sur votre résumé Amazon.
        • Inconvénient : euh… Personne ne peut vérifier, donc… Et on a déjà défini que vous aviez un ego surdimensionné et que vous étiez prêt à tout, donc pas de problème pour se regarder dans le miroir, tout ça…

         

      4. Écrivez vos commentaires vous-même. Ou demandez à vos amis de le faire. Coulez ensuite tous les commentaires qui ne vous plaisent pas. Si vous avez de l’argent, vous pouvez même payer des boîtes pour faire ça à votre place (Todd Rutherford avait d’ailleurs lancé un véritable business de vente de commentaires, où les auteurs pouvaient s’offrir ses services sous forme de différents packs : 99 $ pour 1 commentaire, 499 $ pour 20, 999 $ pour 50. Ses faux commentaires ont été pour la plupart retirés d’Amazon et son site a disparu, mais il ne fait nul doute que des services de ce genre continuent à exister).
        • Avantage : les futurs acheteurs qui voient tous ces commentaires dithyrambiques vont se réjouir d’être tombé par hasard (ou en suivant le lien d’un lecteur très enthousiaste sur un forum) sur une telle merveille.
        • Inconvénient : les acheteurs déçus peuvent revenir se venger et être d’autant plus vindicatifs qu’ils se seront sentis floués.

         

      5. Ouvrez une page Facebook et décrivez-vous comme auteur de best-sellers. Tout le monde sait que les grands auteurs sont de petits cons prétentieux et imbus d’eux-mêmes qui aiment s’envoyer des fleurs, ça ne paraîtra pas du tout bizarre. Ajoutez tout le monde. Mais vraiment tout le monde. Sur le nombre, vous allez bien avoir quelques centaines de fans.
        • Avantage : la visibilité sur les réseaux sociaux.
        • Inconvénient : vous risquez de passer pour un petit con prétentieux et imbu de vous-même, mais est-ce vraiment important ?

         

      6. Ouvrez un compte Twitter. Vous n’avez rien à y dire ? Ce n’est pas grave. Twitter, c’est in, il FAUT avoir Twitter. De toute manière, l’important, ce n’est pas ce que vous allez y dire, mais le nombre de personnes que vous allez toucher. Nous avons déjà établi que vous n’aviez aucun talent et que votre roman était mauvais, donc ce n’est pas pour la qualité de votre ouvrage que les gens vont vous suivre. C’est pour ça qu’il existe… *roulement de tambours*… les bots. Oui, BOTS. Un bot, c’est quoi ? Dans le cas qui nous intéresse, c’est un robot qui va vous inscrire au compte Twitter de milliers, de centaines de milliers de personnes, et qui fonctionne sur le principe de la réciprocité. La plupart du temps, quand une personne se met à suivre une autre personne sur Twitter, celle-ci l’ajoute à son tour, par politesse. Le bot se charge ensuite de vous désinscrire de tous ces comptes, histoire que vous ne passiez pas pour le psychopathe aux 455 789 abonnements et aux 25 abonnés. Car évidemment, c’est l’inverse qui nous intéresse. Après, bien sûr, parlez de votre roman. Tout le temps. Et remerciez abondamment chaque personne qui vous suit, tout en parlant de votre roman.
        • Avantage : votre compte Twitter devient soudainement un des plus suivis de France. Le fait qu’il soit suivi par 99,99 % de personnes non francophones n’est pas un problème, car ce que vous voulez, c’est de la visibilité.
        • Inconvénient : certains pourraient mettre en doute l’honnêteté de votre démarche en vous voyant passer de 35 abonnés à 258 000 en deux jours et 4 tweets, pourraient même faire de petits graphismes et les faire tourner sur Facebook, pourraient également soulever le problème de tous ces abonnés qui ne parlent pas un mot de français lorsqu’il s’agit du compte Twitter d’un roman francophone, mais ne vous inquiétez pas, vous n’aurez qu’à les bloquer. Et comme on l’a dit : tous des jaloux.

         

      7. À présent, la crédibilité. Parlez très, très souvent de toutes les propositions éditoriales que l’on vous fait. Annoncez la sortie de votre roman chez un grand éditeur plusieurs fois par an. Si quelqu’un vous demande ensuite pourquoi il n’est toujours pas sorti, inventez quelque chose. Votre éditeur s’est noyé, vous avez rompu votre contrat parce que Spielberg vous a contacté pour racheter les droits, l’imprimeur a pris du retard, etc.
        • Avantage : les gens qui n’ont pas encore lu votre roman et qui hésitent à l’acheter se sentiront rassurés par cette déclaration, gage de qualité, et se précipiteront pour le lire.
        • Inconvénient : au bout d’un moment, vous allez arriver à court d’excuses. Trouvez un ami producteur et prétendez que vous allez tourner un film. Vous pourrez ensuite dire qu’il s’est noyé, que vous avez rompu votre contrat parce que Spielberg vous a contacté pour racheter les droits, que le montage a pris du retard, etc.

(à suivre…)

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