Scénarisation, la dramaturgie au service des auteurs – LEXIQUE

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Parce que la scénarisation a ses propres codes et donne son propre sens à des termes plus courants, il est nécessaire de s’entendre sur le vocabulaire qui sera utilisé au cours de cette série. Ordre de publication oblige, je ne vais pas, comme il est de coutume, attendre la fin pour insérer le lexique, vous ne vous y retrouveriez pas. Avant de nous lancer dans le vif du sujet, je vous livre donc… le Lexique !

Note : Un lexique est par définition assez indigeste. Vous pouvez vous appuyer sur les graphiques de l’article 01 – Ouverture pour illustrer les définitions. Les termes en italique vous renvoient à d’autres définitions du lexique.

Acte = voir « Structure en trois actes ».

Action = au sens global, ensemble des agissements du protagoniste pour atteindre son objectif. Au sens local, ensemble des agissements d’un personnage pour atteindre son objectif local.

Arène = au sens général, il s’agit de l’univers spatio-temporel où va majoritairement évoluer le protagoniste au long du deuxième acte (elle peut alors être assez générique). Au sens local, il s’agit d’un décor significatif pour une séquence ou une scène (elle doit alors être spécifique et être exploitée au mieux par l’action).

Caractérisation = création des personnages. Pas au sens « fiche signalétique » du terme, mais au sens « mise en avant de leur personnalité ». C’est un point capital à ne pas négliger, vous devez connaître vos personnages pour mieux comprendre leurs réactions.

Climax = c’est le nœud dramatique qui apporte la réponse dramatique de l’objectif général. Après le climax débute le troisième acte.

Climax médian= avec certaines structures d’action (deuxième acte) en deux parties, il peut y avoir un nœud dramatique particulier appelé le climax médian qui sépare les deux parties distinctes de l’action (vol + fuite, évasion + vengeance, etc.) Généralement au milieu du deuxième acte, le climax médian relance l’action (attention, l’objectif reste le même, il y a respect de l’Unité d’action).

Conflit = le conflit naît et se construit par l’opposition entre un objectif et les obstacles qui jalonnent la route pour l’atteindre. Il peut être « statique » (le personnage reste passif) ou « dynamique » (le personnage réagit). Le second doit être le plus utilisé pour dynamiser un récit. Exemple de conflit statique : toute victime passive d’un kidnapping. Exemple de conflit dynamique : Lino Ventura dans La Septième Cible (qui décide de prendre les devants plutôt que de céder au chantage).

Coup de théâtre = c’est un nœud dramatique qui prend le spectateur par surprise (et éventuellement les personnages aussi). En cela, c’est un peu comme si cette fois nous étions les victimes d’une ironie dramatique (on nous a caché des choses).

Crescendo = construction du récit qui place des obstacles (et donc du conflit) croissants sur la route du protagoniste.

Deus ex machina = événement inattendu et improbable qui vient aider le protagoniste à surmonter un obstacle. Autrement dit : un manque flagrant de préparation, une forme à éviter donc. Exemple : l’interruption in extremis du compte à rebours dans Independance Day rendue possible en… branchant un Mac dans une console alien (ça c’est du plug’n play)…

Deuxième acte= voir « Structure en trois actes ».

Diabolus ex machina = événement inattendu et improbable qui vient barrer la route du protagoniste sans raison apparente. S’il peut être utilisé dans le premier acte comme incident déclencheur, il est à bannir par la suite pour les mêmes raisons que le deus ex machina : c’est un manque de préparation.

Dynamique = type de conflit contre lequel un personnage agit ou réagit.

Enjeu = ce qu’un personnage a à perdre ou à gagner s’il atteint son objectif. Par exemple, dans une course de voiture, l’objectif est de gagner, l’enjeu est la récompense du vainqueur (argent, gloire ou femme si l’on en croit certains publicistes machos des années 1990).

Externe = se dit d’un obstacle qui n’a rien à voir avec le personnage auquel il barre la route. Il est le facteur d’événements extérieurs au personnage (catastrophe naturelle, accident fortuit, maladie). Ce sont les obstacles les plus « faibles » en terme de dramaturgie, car non induits par le personnage lui-même. Attention, l’obstacle externe d’origine interne est une variante où la cause est pour partie liée aux agissements du personnage (si la maladie est un cancer et que le personnage est un gros fumeur par exemple).

Fantôme = événement passé qui hante un personnage.

Général = global, à l’échelle du récit au complet (par opposition à « local »).

Global = voir « général ».

Histoire = Des faits relatés à autrui. Contrairement au récit, l’histoire est factuelle.

Incident déclencheur = C’est le nœud dramatique unique (ou résultant d’un groupe de nœuds liés les uns aux autres vers un apogée) qui oblige le protagoniste à adopter une ligne de conduite différente de sa routine. Il est crucial, c’est lui qui plonge le protagoniste dans le deuxième acte en l’obligeant à se fixer un objectif.

Interne = se dit d’un obstacle dont la source est le personnage lui-même de par sa caractérisation ou ses agissements. Ce sont les obstacles les plus « forts », car ils forcent le personnage à se dépasser ou surmonter ses erreurs.

Ironie dramatique = Il y a ironie dramatique lorsque nous savons quelque chose qu’un personnage (la victime de l’ironie, mais pas forcément le protagoniste lui-même) ignore. Cette ironie dramatique peut être standard (nous avons clairement été informés de l’élément qu’ignore la victime) ou diffuse (nous n’avons pas été explicitement informés dans le récit, mais étant en dehors de celui-ci, nous nous doutons de quelque chose que la victime ne peut pas deviner). Exemple : nous sommes au fait de la durée de l’œuvre, pas le personnage, nous savons donc que l’histoire ne se finit pas au bout de trente minutes, pas lui. Nous avons notre culture, un personnage situé dans le passé ne l’a pas, nous avons donc un avantage sur la tournure des événements historiques à venir, ou découvertes scientifiques qui seront faites dans le futur du personnage

Local = accent sur une partie, une scène ou un personnage du récit (par opposition à « global »).

Motivation = Intérêt du personnage lié aux enjeux. Élément au plus haut de la hiérarchie en termes d’objectif. (voir « Objectif »)

Moyens = C’est tout ce qui peut être utilisé pour atteindre un objectif.

Nœuds dramatiques = ils représentent les tournants du récit et modifient l’action du protagoniste. Certains d’entre eux sont uniques et distincts dans la structure (l’incident déclencheur, le passage premier acte-deuxième acte, le climax).

Objectif = But à atteindre pour un ou plusieurs personnages. Indispensable vecteur de conflit lorsqu’opposé aux obstacles qui y mènent. Il y a une hiérarchie précise :

Ne pas confondre « motivations » (qui peuvent être vagues) et objectifs (qui doivent être précis).

Obstacle = Parce que rien n’est plus fort que les obstacles qui se dressent devant nous à cause de nous-mêmes ou de nos propres actions, les obstacles internes ou d’origine interne sont les plus intéressants. Note : ne pas sous-estimer l’importance du phénomène « compte à rebours » même au sens large, une limite temporelle est un sacré obstacle pour bâtir conflit et suspense.

Paiement = moment où un élément particulier du récit (objet, geste, dialogue, situation) prend un sens particulier dû à la préparation.

Passage premier acte / deuxième acte= nœud dramatique particulier qui peut être discret (voir fondu avec l’incident déclencheur), mais n’en reste pas moins capital. Il marque le moment où le spectateur a le sentiment que l’action démarre, c’est un tournant décisif pour le protagoniste.

Personnage = toute entité fictive qui possède un objectif (humain, animal, objet).

Point de non-retour = c’est un nœud dramatique particulier (pas forcément incident déclencheur, passage premier acte-deuxième acte, ni climax) qui dans certains récits indique un moment déterminant de l’action à la suite duquel un retour à la normale n’est plus possible. Exemple : la scène de la pilule dans Matrix.

Premier acte = voir « Structure en trois actes ».

Préparation = consiste à rendre vraisemblable, prévisible ou signifiante une information ou un événement en le présentant en amont.

Protagoniste = Personnage qui subit le plus de conflit dynamique. Peut aussi être un groupe de personnes, mais avec le même objectif global.

Question dramatique= c’est la question « le protagoniste atteindra-t-il son objectif ? » que se construit le spectateur.

Récit = Séquençage et ordonnancement particulier des faits relatant une histoire. (Choix de l’angle de vue de l’histoire, donc souvent, du protagoniste.) Le récit « raconte » l’histoire, c’est un parti pris de celle-ci.

Réponse dramatique= C’est la réponse à la question dramatique. Elle est soit positive (objectif général atteint), soit négative (objectif général abandonné ou non atteint). À noter la présence d’une seconde réponse dramatique dans le cas d’une structure de récit enrichie (voir « Structure en trois actes »).

Sous-objectifs= voir Objectif.

Statique = type de conflit qui laisse le personnage passif (un deuil par exemple).

Structure en trois actes= C’est la structure classique du récit occidental. C’est vieux comme les Grecs, à savoir Aristote, et non l’apanage d’Hollywood comme voudraient nous le faire croire nos cousins d’Amérique.

 Suspense = tension générée chez le spectateur par rapport à l’incertitude de la réponse dramatique.

Troisième acte= transition entre la fin de l’action et la fin du récit, c’est l’endroit où boucler toutes les questions et sous-intrigues encore ouvertes après le climax. C’est aussi la place pour donner une idée de l’avenir des personnages.

Unité d’action= principe qui consiste à imposer que chaque scène se focalise sur le problème posé par l’objectif du protagoniste. En scénarisation, il ne doit pas y avoir de digression. Autrement dit, se méfier des sous-intrigues. S’il y en a, elles doivent avoir une incidence sur l’intrigue principale et non développer des histoires parallèles indépendantes.

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Il n’y a pas de succès avant le travail

L’écriture est parfois ingrate. C’est une passion, mais un travail de longue haleine.

Combien de nuits blanches pour une intrigue qui tient la route ?

Combien de ratures avant une bonne page ?

Combien de jets avant un bon manuscrit ?

Combien de refus avant un contrat ?

Combien d’invendus avant un succès ?

Si vous voulez devenir célèbre tout de suite, ce n’est pas l’écriture qu’il faut choisir. Il faut poser sa candidature à une de ces émissions de télé-réalité, montrer ses sous-vêtements à la sortie et faire des paparazades. Si vous ne tombez pas dans l’anonymat aussi sec, lancez un disque ou une autobiographie de ce que vous n’avez jamais fait écrite par un nègre littéraire, créez une marque de bière ou investissez dans un bar. Ou alors participez à une autre émission.

L’écriture est comme un sacerdoce, comme toute autre passion, quelle qu’elle soit. On écrit parce qu’on aime écrire, parce qu’on a besoin d’écrire. La publication est le bonus, la récompense de tous ces efforts. Mais, est-ce que si vous n’êtes pas publié, vous allez arrêter d’écrire ? Alors c’est que l’écriture n’est pas plus une passion qu’un loisir. Si vous voulez être publié pour le prestige, c’est également une mauvaise idée. On ne devient pas écrivain pour le prestige, pas plus qu’on ne devient mannequin pour les jolies robes. Il y a tout un monde de coulisses dans tous les domaines que les gens ne connaissent pas.

Il ne suffit pas de se lever un jour et de dire « je vais écrire un roman ».

Il faut le vivre, le travailler, ce sera long.

Il n’y a pas de succès sans travail.

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Scénarisation, la dramaturgie au service des auteurs – OUVERTURE

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Ouverture – Les fondamentaux

Vous avez aimé la série d’articles « La méthode dite « du flocon » expliquée et illustrée » ? Eh bien, je réitère, mais cette fois, au lieu de traiter directement du roman, je vous propose de découvrir la conception scénaristique.

NOTE : ami romancier, ne passe pas ton chemin si vite, il y a beaucoup à glaner pour toi dans ce qui suit. Car c’est en effet l’art de la dramaturgie que nous allons explorer ensemble, le savoir-faire des conteurs d’antan, la genèse de toute histoire, qu’elle soit destinée à être lue, vue ou entendue. Qui plus est, je ferai plus tard une récap hybride pour explorer le meilleur des deux mondes et utiliser les mécanismes de la dramaturgie dans un contexte purement littéraire. (Pour une simple raison de vocabulaire, cette série sur la scénarisation en est en quelque sorte le prérequis.) Sur la forme, même combat que pour la série du flocon : reprise complète de mes notes accumulées sur le sujet depuis des années, indigestes, compréhensibles de moi seul – et encore… – pour arriver à une fiche synthétique de 6 pages (3 pages de « méthode », et 3 pages de lexique, car la scénarisation est un univers avec un vocabulaire bien à part). Cette nouvelle série d’articles se propose de détailler la méthode relative à cette fiche (que je vous fournirai bien entendu à la fin) au long de neuf articles qui seront composés ainsi :

  • Cette ouverture, pour cadrer le contenu et les attentes ;
  • Le lexique – une fois n’est pas coutume il sera dévoilé au début pour vous permettre de suivre les articles confortablement ;
  • Un article pour chacune des 6 étapes de la méthode ;
  • Un fondu au noir pour conclure le tout, mettre les annexes, références et documents.

Je n’ai pas la connaissance infuse, ce qui va suivre est le fruit d’années à glaner des infos sur la scénarisation et la structure dramatique, majoritairement outre-Atlantique, mais amplement pondérées par des ressources francophones (je me suis notamment payé toute la traduction des termes, parce que mes notes et brouillons étaient tous en anglais…). Il s’agit donc bel et bien de partage d’expériences personnelles et non d’un cours magistral. Après tout, il y en a dont c’est le métier et qui feront ça bien mieux que moi. Si j’ai une ressource principale à citer, c’est Aristote. Vous comprendrez que je peux difficilement lui avoir demandé son accord pour rebondir sur ses préceptes. Le philosophe antique sera amplement crédité avec mes autres sources à la fin de cette série. Sur ce, amorçons la bobine.

« Silence, on tourne ! »

L’effort temps à investir est évidemment dépendant du projet. Je vous annonce une fourchette de 100-125 h qui représente la phase de préparation pour un récit classique sans trop de recherches et mené par un scénariste en herbe. Oui, « préparation », je vous le confirme, vous n’aurez pas écrit une seule ligne de votre premier jet en sortant de cette méthode. Et ce n’est rien. Plus vous passerez de temps sur cette phase de conception, et meilleur sera votre script. Il n’y a pas de victoire rapide dans ce domaine, ce n’est pas un jeu d’arcade, c’est un jeu de rôle en ligne, ça n’en finit pas de progresser…

C’est sans polémique

Dans l’univers de la scénarisation, la question de « structurer sa créativité ou pas » n’a pas lieu d’être comme en littérature. C’est une approche hautement technique de l’écriture, ciblée sur des résultats visuels (théâtre, cinéma, télévision). Aucun script digne de ce nom n’est écrit sans structure, c’est tout bonnement impossible puisque le scénario n’est pas un produit fini, mais l’un des outils d’une très longue liste nécessaire à la production. Son seul but : donner un récit avec lequel le reste de l’équipe peut faire un film… En cela, il se doit d’être structuré, facile à lire et cohérent.

La philosophie de cette méthode

Elle tient en un nom, et je l’ai déjà mentionné : Aristote. Il s’agit ni plus ni moins de la dramaturgie grecque. Comprenez bien que celle-ci a beau être créditée à Aristote, elle n’a pas subitement vu le jour en 350 av. J.-C. Elle est le fruit de milliers d’années de tradition orale des conteurs antiques. Elle est la quintessence de ce qui fonctionne pour véhiculer de l’information visuellement et oralement pour marquer les esprits. À savoir : conflit, action et émotion, hiérarchisés dans un ensemble structuré adapté à l’étroitesse de nos esprits : début, milieu, fin. Dans le récit, tout est conflit (obstacles vs objectifs) et action (agissements, progression). Il faut du conflit (au sens large) dans tout récit, c’est ce qui crée les émotions et fait vivre l’histoire. Attention cependant, conflit n’est pas forcément synonyme d’agitation forte type bagarre et poursuite, au contraire, ceci est la manière la plus faible de représenter du conflit. Et il faut de l’action pour gérer ce conflit (encore une fois, au sens « agissements » du terme et non « agitation »). Si le protagoniste ne fait rien, le récit s’enlise. Le précepte « ne dites pas, montrez » est capital en scénarisation. Exposition, caractérisation, atteinte des objectifs, tout doit passer au maximum par une mise en action des personnages.

Trop de blabla

Je sais, ça fait beaucoup de vocabulaire d’un coup – d’où le lexique qui fera l’objet du prochain article –, et puis je m’adresse à des scénaristes, il vous faut sans doute du visuel… Eh bien prenez donc ça :

Ha ! ben oui, c’est du lourd… La bonne nouvelle, c’est que si vous suivez cette série d’articles jusqu’au bout, vous comprendrez la totalité de ces trois graphiques qui résument tout. La mauvaise… c’est que vous ne couperez pas au lexique et à beaucoup de texte explicatif… désolé, l’image ne fait pas tout, et si vous ne supportez pas de lire, vous devriez changer d’occupation, car un scénariste lit autant si ce n’est plus qu’un romancier… 😉

Avertissement

Le document final – et ses six étapes – sera condensé au plus haut point, ce qui lui donnera des allures de méthodologie pointue, rigide et contraignante. Ne vous laissez pas avoir. Le but est d’aider à la conception, jamais de brimer la créativité. Je le répéterai souvent dans les articles, mais n’aurai pas la place de le faire dans le document final : Ne brimez jamais votre désir d’écrire !

Les exemples

La filmographie des dernières décennies nous offrira pléthore d’exemples populaires pour illustrer mes propos, au besoin j’utiliserai mon propre travail de préparation exécuté sur le scénario de « Hack Back ».

Rendez-vous la semaine prochaine pour découvrir le vocabulaire passionnant de la dramaturgie.

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« Odette Toulemonde » ou le classique vs le populaire

Odette ToulemondeOn ne programme pas une soirée avec des amis et du pop corn pour voir un film comme Odette Toulemonde. C’est un film sur lequel on tombe par hasard en zappant.

Odette Toulemonde d’Éric-Emmanuel Schmitt est un petit bijou sans prétention, léger et décalé. Odette, jouée par Catherine Frot, est une quadragénaire comme il y en a des millions : veuve, elle travaille dans un grand magasin à Charleroi, a deux enfants et les seuls moments de répit dans sa vie sans excitation sont la musique de Josephine Baker et les romans de Balthazar Balsan (joué par Albert Dupontel). Lorsque ce dernier dédicace à Bruxelles, Odette est incapable de lui dire ne serait-ce que son prénom. Pour compenser, elle lui écrit une lettre pour le remercier de tout ce qu’il lui offre quand elle lit ses livres. Et sans le savoir, cette même lettre, écrite dans du papier à lettres pour adolescentes, va sauver Balsan (Comment ? Regardez le film, ça vaut le coup !).

Balsan est un écrivain populaire à succès, est riche, sa femme est belle, son fils intelligent est dans une pension quelque part. Il a tout pour être heureux, vrai ? Faux. Parce que ce film, sous fond de légèreté, lance le débat sur l’écrivain populaire (acclamé par le public, méprisé par les critiques) versus l’écrivain classique (encensé par les critiques). Un des moments qui m’a le plus marqué, c’est lorsque l’écrivain et animateur d’une émission littéraire Olaf Pims (Jacques Weber) critique le dernier roman avec l’argument « c’est un roman pour les coiffeuses et les ménagères » et jette le livre avec dédain par-dessus son épaule. Ce n’est ni intellectuel ni bon. Les « petites gens » lisent Balsan par millions, mais le milieu parisien le boude. Pour Balsan, c’est dévastateur.

Ce film montre l’éternel mépris envers les lecteurs d’écrivains comme Marc Levy et Guillaume Musso parce que ce n’est pas du Victor Hugo ou du Flaubert. Mais, si Bill, notre lecteur préféré, veut lire du Flaubert… il va prendre un livre avec Flaubert marqué sur la couverture, n’est-ce pas ? Lire est une activité personnelle. À chacun ses émotions devant une histoire, devant une plume. On peut aimer un écrivain classique et un écrivain populaire de la même manière pour des raisons totalement différentes.

Pour nous autres écrivains, apprentis ou renommés, la question reste essentielle. Veut-on écrire pour un petit cercle bien-pensant ? Ou alors pour le plus grand nombre ? Est-ce vraiment un mal d’être un écrivain populaire ? Est-ce un mal de vouloir que les coiffeuses, les vendeuses, les maraîchères, les ménagères de tous les âges nous lisent ?

Oublions les petits complexes, écrivons ce que nous aimons, lisons ce que nous voulons. Un tiers de la population doit être ménagère de moins de cinquante ans (le choc !).

Mais aujourd’hui, il y a un terme plus in pour ça, moins champêtre : housewife. Du français wife, évidemment.

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Concilier études et publication : Cécile Duquenne

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[Espaces Comprises] : Pourrais-tu te présenter en quelques mots ?

Cécile Duquenne : Bonjour ! Cécile Duquenne, 25 ans depuis peu, étudiante et auteur à plein temps. Je suis actuellement en master de traduction littéraire en langue japonaise à la faculté de lettres d’Aix-en-Provence, ce qui me prend une bonne partie de mon temps comme vous pouvez l’imaginez. En parallèle de mes études, et ce depuis près de huit ans, j’écris et je publie, principalement des romans de fantasy/fantastique, et quelques nouvelles…

[EC] : Comment t’organises-tu ?

CD : Pour que vous vous fassiez une idée de mon organisation, il faut d’abord que je vous fasse un petit topo de ce à quoi ressemble une année civile pour moi. Pourquoi ? Parce que le rythme de vie étudiant est tel qu’il y a des périodes d’intense activité, suivies par de longues semaines de « rien du tout ».

Voilà donc à quoi ça ressemble : janvier, les partiels, donc je passe mes vacances de Noël à réviser. De février à mai, j’étudie à plein temps ou presque : les vacances de février et de Pâques me servent aussi à réviser car les profs mettent toujours de gros examens juste après, sous prétexte qu’on a « du temps » (Hum, I beg to differ, sir!) De mai à septembre, c’est les « vraies » vacances ! Eh oui, six mois de « repos » où je ne chôme pas puisque c’est la période de l’année où j’écris le plus : je tourne alors à environ 1 500 mots par jour minimum.

Quand je n’écris pas, je corrige. Et quand je ne corrige pas, j’élabore des synopsis pour de futurs textes que j’écris généralement vers la fin de l’été. Mes journées s’organisent alors assez simplement : je me lève entre 8 et 10 heures (bah oui, c’est les vacances quand même !) et j’écris mon quota de mots du jour (1 500 mots minimum). Ça me prend généralement 2-3 heures. Si je n’ai rien à faire de la journée, je m’occupe : soit je continue d’écrire, soit je corrige un autre texte, soit je bêta-lis un roman pour quelqu’un d’autre… Sinon, ma foi, eh bien je sors ! J’ai la chance d’habiter dans le sud de la France. On n’est pas trop fans de la plage en journée l’été à cause des touristes, mais le soir c’est super sympa. On se retrouve pour pique-niquer et profiter de l’eau encore chaude vers 17/18 heures. Je sors, je fais la fête, bref, je me prive pas. Mais chaque jour est soumis à cette même règle : je dois écrire mon quota de mots avant de faire quoi que ce soit d’autre.

En septembre, c’est reparti pour la fac – et passé la première année de licence avec son début tout tranquille, croyez-moi, vous repartez tout de suite à un rythme infernal. Certes, je n’ai « que » douze heures de cours par semaine et ils s’étalent généralement sur deux jours, trois maximum. Mais ce volume horaire est multiplié par 3 à 4 selon les semaines : en moyenne, je bosse une quarantaine d’heures à la maison rien que pour la fac. Voici ce que je fais, en vrac : je bosse sur mes kanji (en langue japonaise, ça me prend environ 1 heure/jour, tous les jours ou presque), je lis pour mon mémoire, je traduis des textes également (articles de journaux, éditos, etc.), je fais des exos pour les cours d’expression écrite (thème/version), je procède à des recherches pour des exposés, j’apprends du vocabulaire (environ 80~120 mots composés par semaine), etc. Il me reste généralement une journée (ou deux quand j’ai une semaine « légère ») pour caser ma vie sociale (la plupart du temps, je me débrouille pour voir les gens le soir après avoir bossé chez moi) et les obligations diverses (genre la visite à la banque, trouver un cadeau pour quelqu’un, aller à un rendez-vous médical etc.). Du coup, l’écriture, dans tout ça… ben, ça doit attendre mai à septembre parce que je suis humaine et que, ayant déjà essayé de conjuguer les deux sur la même période, j’ai fini par craquer.

Ça ne veut pas dire que je n’écris pas du tout d’octobre à avril, juste que c’est en pointillés. J’écris quand vraiment ça me démange trop. Y a des mois, comme ça, où je m’accorde une semaine « sans boulot pour la fac », pour décompresser, même si je sais que je le « paie » ensuite en devant mettre les bouchées doubles sur une semaine ou une autre. Ou quand j’ai une semaine plus légère que les autres, je me trouve 5 ou 6 heures de libre (fin janvier a été super calme, par exemple. Du coup, j’ai un peu de temps, donc j’écris une petite nouvelle ou deux pour me changer les idées).

[EC] : Te sens-tu brimée ou, au contraire, favorisée ?

CD : Au départ, j’ai choisi de faire de longues études afin, je cite, « d’avoir du temps pour écrire ». Comme vous le voyez, au final, j’ai rangé mes belles illusions au placard, découvrant que mes études allaient prendre autant de place, sinon plus, que l’écriture dans ma vie. C’est d’autant plus vrai que, plus je monte dans les études, moins j’ai de cours, mais plus j’ai de travail à la maison (noooooon, je ne panique pas du touuuuuuuuuut pour mon futur doctorat ^^). Mais je ne me sens pas brimée pour autant. Ok, y a une grosse moitié de l’année où je ne peux pas écrire. Mais le reste du temps, c’est juste génial ! J’avoue que c’est parfois frustrant de me dire que je dois attendre mai, toutefois ça me permet d’alterner entre une période de réflexion sur mes projets et une période d’écriture intensive. Je me suis faite au rythme. Les six mois passés à étudier à fond me servent de réservoir créatif : j’engrange les idées, je prends plein de notes, des scénarios se construisent seuls dans ma tête, ils s’organisent, grandissent, se construisent au fur et à mesure. Du coup, à la fin de l’année scolaire, je suis prête à me lancer dans l’écriture de projets qui sont bels et bien mûrs. Je ne tourne pas 50 ans en rond car je sais ce que je veux écrire et comment. Du coup, j’exploite au mieux les six mois qui vont de mai à septembre. J’écris autant sinon plus que quelqu’un qui, avec un travail à côté, prendrait une heure tous les soirs pour écrire. Je ne sais donc pas si je suis brimée ou favorisée, en tout cas, je sais juste que je me suis adaptée et que ça me convient comme ça au final.

[EC] : Est-ce que tes études influencent ton écriture ?

CD : Oui, beaucoup ! J’ai beau avoir une formation principalement axée sur la langue japonaise, j’ai suivi des cours de civilisation, anthropologie, sociologie… Dans ces cours sont notamment abordés la notion du sentiment de japonéité, de syncrétisme religieux, etc. En approfondissant ma connaissance de la civilisation japonaise, j’ai aiguisé ma perception de ce qui différencie une culture d’une autre. Enfin, pas seulement ma perception : j’ai appris à recréer des mécanismes, à sortir de mes a priori occidentaux pour m’imprégner d’un ailleurs.

En tant qu’occidental, on pense souvent l’Asie – et a fortiori le Japon – sous un point de vue exotique avec des clichés énormes alors que les vraies différences culturelles sont ailleurs que dans le riz, les baguettes et les kimonos, quoi ! La différence, elle est dans la manière de penser le monde. Étudier m’a permis d’apprendre à penser le monde autrement. Et n’est-ce pas ce à quoi nous devrions tendre en tant qu’auteurs de SF ou de fantasy ? Il ne s’agit pas juste de « faire un monde médiévalisant » pour écrire de la bonne fantasy médiévale. Il faut « penser médiéval » et pas juste avec des clichés. C’est là que ça se corse. Mes cours me donnent beaucoup d’idées, aussi. Un mot, une évocation, une image… parfois, ça peut déclencher tout un tas d’idées qui nous mènent à quelque chose d’inattendu ! Par exemple, au cours de ma 2e année de licence, nous étudiions le bouddhisme japonais pendant un semestre. J’ai été fascinée de découvrir cette « religion » (avec de gros guillemets, car certains penseurs débattent toujours sur la religiosité ou non du courant bouddhiste ! Eh oui !) tellement différente de la nôtre, parce qu’ils voient le monde d’une autre manière. Et là, je me suis dit « et si le bouddhisme était la religion dominante en Europe de nos jours ? À quoi ça ressemblerait ? Comment verrait-on le monde ? » L’idée s’est agglutinée à une autre, puis à un autre projet qui était au départ indépendant : un space-opera sauce western où la religion galactique est… le bouddhisme ! Et ce n’est pas juste un accessoire, il y a une vraie raison à ça (tant dans la civilisation galactique que dans l’intrigue et le caractère des personnages).

[EC] : Est-ce que ton écriture influence tes études ?

CD : Oui, beaucoup, et surtout dans la façon de m’organiser, en fait. L’écriture m’a donné tous les moyens de bien étudier. Après tout, avant d’écrire un roman, il faut faire des recherches, des tests, constituer un plan, apprivoiser certains concepts… Est-ce si différent de mes études ? Non, je ne crois pas. De plus, l’écriture est une école à part entière, dans le sens où l’on y apprend à rester déterminé, à ne jamais rien lâcher malgré le découragement. Du coup, en fac, je suis très organisée parce que je n’ai pas peur du travail même s’il me semble énorme. Un roman peut prendre des mois, des années, et on en vient à bout. Les études, c’est pareil.

[EC] : Comment jongles-tu entre parutions et études ?

CD : De manière générale, je préviens les éditeurs qu’il y a des périodes où je ne peux absolument pas travailler pour eux par manque de temps. Jusque-là, ils l’ont très bien pris et se sont organisés en fonction de mes disponibilités. Généralement, je leur en parle juste avant la signature du contrat, quand vient le moment de fixer une date de rendu du manuscrit. On s’adapte en fonction de mon emploi du temps et de leur planning éditorial. Je me fais un devoir de leur donner non des délais rêvés mais des délais réalisables. Au moins, je suis sûre de leur rendre dans les temps, même si c’est un peu lent, et eux ne sont jamais surpris dans le mauvais sens.

[EC] : Comment concilies-tu apparitions et études ?

CD : Très mal, malheureusement, et c’est le gros point noir. Avec le temps que je consacre à mes études, je n’ai pas le temps de mener un petit job à côté. Du coup, pas de sous pour me payer le voyage et l’hôtel ! Et comme j’habite loin de Paris, je dois faire une croix sur la plupart des manifestations littéraires où je pourrais être invitée. Il y a des raisons financières, qui sont éludées dès lors qu’on m’invite en me proposant de me rembourser une partie ou la totalité du trajet, mais aussi de calendrier : la plupart du temps, les salons se tiennent – vous l’avez en mille – de septembre à mai, soit la période la plus chargée pour moi ! Je fais rarement plus de deux salons à l’année car économies dans le positif et temps disponible accordent rarement leur violon ensemble. Ça fait un peu Caliméro, mais bon. Je sais que ça ne va pas durer toute la vie, alors je prends mon mal en patience et je profite de pouvoir écrire à temps plein quand je le peux

[EC] : Comment est perçue l’écriture dans ton entourage scolaire ?

CD : J’en parle rarement, et quand les gens viennent me reprocher de ne pas le leur avoir dit, je réponds toujours qu’on me prend pour une sacrée prétentieuse quand j’annonce tout de go que « j’écris » et que, en plus, « je suis publiée ». Et c’est vrai : quand j’en parle de ma propre initiative, je passe le plus souvent pour la grosse égocentrique de service, du genre « appelez-moi comtesse de l’écriture et laissez passer siouplaît ! Moi, suis publiée, oui, Madame, alors on s’écrase ! ». C’est dingue de voir comment certaines personnes interprètent un simple « je suis publiée ». ^^ Du coup, j’en parle rarement de moi-même et, la plupart du temps, les gens l’apprennent par ouï-dire ou par Facebook – parce que je parle beaucoup d’écriture dessus. Du coup, après avoir vu une interview (comme celle-ci par exemple ^^) ou avoir simplement croisé le lien d’une chronique parlant d’un de mes textes, ils viennent me voir à la fac en me disant « alors comme ça, tu écris ? » et j’ai droit à toute une batterie de questions qui font super plaisir, parce qu’ils s’intéressent d’eux-mêmes à ce que je fais. D’autres fois, certains étudiants que je connais très peu viennent me voir en me disant « hé, machin m’a dit que tu écrivais, du coup j’ai acheté ton roman, il était à la librairie du coin, j’ai lu… » et me font la chronique en live. C’est sympa aussi (et un peu flippant de se dire que les nouvelles circulent autant, ahem ^^). Les profs, eux, l’ont appris via ces mêmes étudiants qui sont allés leur dire que j’écrivais. Les concernés se reconnaîtront, hein !! ;p

[EC] : Quelle est ton actualité ?

CD : Je travaille actuellement à la suite du tome 1 de la série des Nécrophiles Anonymes. Le tome 2 devrait sortir à la fin de l’année 2013 selon toute probabilité (il faut que je le corrige et, comme vous le savez maintenant, je vais avoir du mal à m’y mettre à fond avant avril-mai ;-)). Si vous voulez en savoir plus sur la série, le personnage principal a une petite page à lui. Sinon, je viens de terminer un gros roman (le space-opera bouddhique, là, oui ^^) intitulé Foulards Rouges, il va bientôt partir en quête d’éditeur dès que j’aurai trouvé le temps de fignoler le synopsis de soumission. Ça devrait paraître en numérique sous forme de feuilleton. Si ça vous intéresse, n’hésitez pas à m’ajouter sur Facebook : je ne mords pas, et promis, je ne suis pas monomaniaque de l’écriture (ou si peu ;)). J’ai d’autres projets à venir, mais rien de défini. J’avance à petits pas, mais j’avance ! Cet été, je pense que je m’attellerai à l’écriture du tome 2 de Foulards Rouges et aux corrections du tome 3 des Nécrophiles Anonymes. Bref : j’ai quand même du pain sur la planche !

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