Témoignages

Concilier études et publication : Cécile Duquenne

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[Espaces Comprises] : Pourrais-tu te présenter en quelques mots ?

Cécile Duquenne : Bonjour ! Cécile Duquenne, 25 ans depuis peu, étudiante et auteur à plein temps. Je suis actuellement en master de traduction littéraire en langue japonaise à la faculté de lettres d’Aix-en-Provence, ce qui me prend une bonne partie de mon temps comme vous pouvez l’imaginez. En parallèle de mes études, et ce depuis près de huit ans, j’écris et je publie, principalement des romans de fantasy/fantastique, et quelques nouvelles…

[EC] : Comment t’organises-tu ?

CD : Pour que vous vous fassiez une idée de mon organisation, il faut d’abord que je vous fasse un petit topo de ce à quoi ressemble une année civile pour moi. Pourquoi ? Parce que le rythme de vie étudiant est tel qu’il y a des périodes d’intense activité, suivies par de longues semaines de « rien du tout ».

Voilà donc à quoi ça ressemble : janvier, les partiels, donc je passe mes vacances de Noël à réviser. De février à mai, j’étudie à plein temps ou presque : les vacances de février et de Pâques me servent aussi à réviser car les profs mettent toujours de gros examens juste après, sous prétexte qu’on a « du temps » (Hum, I beg to differ, sir!) De mai à septembre, c’est les « vraies » vacances ! Eh oui, six mois de « repos » où je ne chôme pas puisque c’est la période de l’année où j’écris le plus : je tourne alors à environ 1 500 mots par jour minimum.

Quand je n’écris pas, je corrige. Et quand je ne corrige pas, j’élabore des synopsis pour de futurs textes que j’écris généralement vers la fin de l’été. Mes journées s’organisent alors assez simplement : je me lève entre 8 et 10 heures (bah oui, c’est les vacances quand même !) et j’écris mon quota de mots du jour (1 500 mots minimum). Ça me prend généralement 2-3 heures. Si je n’ai rien à faire de la journée, je m’occupe : soit je continue d’écrire, soit je corrige un autre texte, soit je bêta-lis un roman pour quelqu’un d’autre… Sinon, ma foi, eh bien je sors ! J’ai la chance d’habiter dans le sud de la France. On n’est pas trop fans de la plage en journée l’été à cause des touristes, mais le soir c’est super sympa. On se retrouve pour pique-niquer et profiter de l’eau encore chaude vers 17/18 heures. Je sors, je fais la fête, bref, je me prive pas. Mais chaque jour est soumis à cette même règle : je dois écrire mon quota de mots avant de faire quoi que ce soit d’autre.

En septembre, c’est reparti pour la fac – et passé la première année de licence avec son début tout tranquille, croyez-moi, vous repartez tout de suite à un rythme infernal. Certes, je n’ai « que » douze heures de cours par semaine et ils s’étalent généralement sur deux jours, trois maximum. Mais ce volume horaire est multiplié par 3 à 4 selon les semaines : en moyenne, je bosse une quarantaine d’heures à la maison rien que pour la fac. Voici ce que je fais, en vrac : je bosse sur mes kanji (en langue japonaise, ça me prend environ 1 heure/jour, tous les jours ou presque), je lis pour mon mémoire, je traduis des textes également (articles de journaux, éditos, etc.), je fais des exos pour les cours d’expression écrite (thème/version), je procède à des recherches pour des exposés, j’apprends du vocabulaire (environ 80~120 mots composés par semaine), etc. Il me reste généralement une journée (ou deux quand j’ai une semaine « légère ») pour caser ma vie sociale (la plupart du temps, je me débrouille pour voir les gens le soir après avoir bossé chez moi) et les obligations diverses (genre la visite à la banque, trouver un cadeau pour quelqu’un, aller à un rendez-vous médical etc.). Du coup, l’écriture, dans tout ça… ben, ça doit attendre mai à septembre parce que je suis humaine et que, ayant déjà essayé de conjuguer les deux sur la même période, j’ai fini par craquer.

Ça ne veut pas dire que je n’écris pas du tout d’octobre à avril, juste que c’est en pointillés. J’écris quand vraiment ça me démange trop. Y a des mois, comme ça, où je m’accorde une semaine « sans boulot pour la fac », pour décompresser, même si je sais que je le « paie » ensuite en devant mettre les bouchées doubles sur une semaine ou une autre. Ou quand j’ai une semaine plus légère que les autres, je me trouve 5 ou 6 heures de libre (fin janvier a été super calme, par exemple. Du coup, j’ai un peu de temps, donc j’écris une petite nouvelle ou deux pour me changer les idées).

[EC] : Te sens-tu brimée ou, au contraire, favorisée ?

CD : Au départ, j’ai choisi de faire de longues études afin, je cite, « d’avoir du temps pour écrire ». Comme vous le voyez, au final, j’ai rangé mes belles illusions au placard, découvrant que mes études allaient prendre autant de place, sinon plus, que l’écriture dans ma vie. C’est d’autant plus vrai que, plus je monte dans les études, moins j’ai de cours, mais plus j’ai de travail à la maison (noooooon, je ne panique pas du touuuuuuuuuut pour mon futur doctorat ^^). Mais je ne me sens pas brimée pour autant. Ok, y a une grosse moitié de l’année où je ne peux pas écrire. Mais le reste du temps, c’est juste génial ! J’avoue que c’est parfois frustrant de me dire que je dois attendre mai, toutefois ça me permet d’alterner entre une période de réflexion sur mes projets et une période d’écriture intensive. Je me suis faite au rythme. Les six mois passés à étudier à fond me servent de réservoir créatif : j’engrange les idées, je prends plein de notes, des scénarios se construisent seuls dans ma tête, ils s’organisent, grandissent, se construisent au fur et à mesure. Du coup, à la fin de l’année scolaire, je suis prête à me lancer dans l’écriture de projets qui sont bels et bien mûrs. Je ne tourne pas 50 ans en rond car je sais ce que je veux écrire et comment. Du coup, j’exploite au mieux les six mois qui vont de mai à septembre. J’écris autant sinon plus que quelqu’un qui, avec un travail à côté, prendrait une heure tous les soirs pour écrire. Je ne sais donc pas si je suis brimée ou favorisée, en tout cas, je sais juste que je me suis adaptée et que ça me convient comme ça au final.

[EC] : Est-ce que tes études influencent ton écriture ?

CD : Oui, beaucoup ! J’ai beau avoir une formation principalement axée sur la langue japonaise, j’ai suivi des cours de civilisation, anthropologie, sociologie… Dans ces cours sont notamment abordés la notion du sentiment de japonéité, de syncrétisme religieux, etc. En approfondissant ma connaissance de la civilisation japonaise, j’ai aiguisé ma perception de ce qui différencie une culture d’une autre. Enfin, pas seulement ma perception : j’ai appris à recréer des mécanismes, à sortir de mes a priori occidentaux pour m’imprégner d’un ailleurs.

En tant qu’occidental, on pense souvent l’Asie – et a fortiori le Japon – sous un point de vue exotique avec des clichés énormes alors que les vraies différences culturelles sont ailleurs que dans le riz, les baguettes et les kimonos, quoi ! La différence, elle est dans la manière de penser le monde. Étudier m’a permis d’apprendre à penser le monde autrement. Et n’est-ce pas ce à quoi nous devrions tendre en tant qu’auteurs de SF ou de fantasy ? Il ne s’agit pas juste de « faire un monde médiévalisant » pour écrire de la bonne fantasy médiévale. Il faut « penser médiéval » et pas juste avec des clichés. C’est là que ça se corse. Mes cours me donnent beaucoup d’idées, aussi. Un mot, une évocation, une image… parfois, ça peut déclencher tout un tas d’idées qui nous mènent à quelque chose d’inattendu ! Par exemple, au cours de ma 2e année de licence, nous étudiions le bouddhisme japonais pendant un semestre. J’ai été fascinée de découvrir cette « religion » (avec de gros guillemets, car certains penseurs débattent toujours sur la religiosité ou non du courant bouddhiste ! Eh oui !) tellement différente de la nôtre, parce qu’ils voient le monde d’une autre manière. Et là, je me suis dit « et si le bouddhisme était la religion dominante en Europe de nos jours ? À quoi ça ressemblerait ? Comment verrait-on le monde ? » L’idée s’est agglutinée à une autre, puis à un autre projet qui était au départ indépendant : un space-opera sauce western où la religion galactique est… le bouddhisme ! Et ce n’est pas juste un accessoire, il y a une vraie raison à ça (tant dans la civilisation galactique que dans l’intrigue et le caractère des personnages).

[EC] : Est-ce que ton écriture influence tes études ?

CD : Oui, beaucoup, et surtout dans la façon de m’organiser, en fait. L’écriture m’a donné tous les moyens de bien étudier. Après tout, avant d’écrire un roman, il faut faire des recherches, des tests, constituer un plan, apprivoiser certains concepts… Est-ce si différent de mes études ? Non, je ne crois pas. De plus, l’écriture est une école à part entière, dans le sens où l’on y apprend à rester déterminé, à ne jamais rien lâcher malgré le découragement. Du coup, en fac, je suis très organisée parce que je n’ai pas peur du travail même s’il me semble énorme. Un roman peut prendre des mois, des années, et on en vient à bout. Les études, c’est pareil.

[EC] : Comment jongles-tu entre parutions et études ?

CD : De manière générale, je préviens les éditeurs qu’il y a des périodes où je ne peux absolument pas travailler pour eux par manque de temps. Jusque-là, ils l’ont très bien pris et se sont organisés en fonction de mes disponibilités. Généralement, je leur en parle juste avant la signature du contrat, quand vient le moment de fixer une date de rendu du manuscrit. On s’adapte en fonction de mon emploi du temps et de leur planning éditorial. Je me fais un devoir de leur donner non des délais rêvés mais des délais réalisables. Au moins, je suis sûre de leur rendre dans les temps, même si c’est un peu lent, et eux ne sont jamais surpris dans le mauvais sens.

[EC] : Comment concilies-tu apparitions et études ?

CD : Très mal, malheureusement, et c’est le gros point noir. Avec le temps que je consacre à mes études, je n’ai pas le temps de mener un petit job à côté. Du coup, pas de sous pour me payer le voyage et l’hôtel ! Et comme j’habite loin de Paris, je dois faire une croix sur la plupart des manifestations littéraires où je pourrais être invitée. Il y a des raisons financières, qui sont éludées dès lors qu’on m’invite en me proposant de me rembourser une partie ou la totalité du trajet, mais aussi de calendrier : la plupart du temps, les salons se tiennent – vous l’avez en mille – de septembre à mai, soit la période la plus chargée pour moi ! Je fais rarement plus de deux salons à l’année car économies dans le positif et temps disponible accordent rarement leur violon ensemble. Ça fait un peu Caliméro, mais bon. Je sais que ça ne va pas durer toute la vie, alors je prends mon mal en patience et je profite de pouvoir écrire à temps plein quand je le peux

[EC] : Comment est perçue l’écriture dans ton entourage scolaire ?

CD : J’en parle rarement, et quand les gens viennent me reprocher de ne pas le leur avoir dit, je réponds toujours qu’on me prend pour une sacrée prétentieuse quand j’annonce tout de go que « j’écris » et que, en plus, « je suis publiée ». Et c’est vrai : quand j’en parle de ma propre initiative, je passe le plus souvent pour la grosse égocentrique de service, du genre « appelez-moi comtesse de l’écriture et laissez passer siouplaît ! Moi, suis publiée, oui, Madame, alors on s’écrase ! ». C’est dingue de voir comment certaines personnes interprètent un simple « je suis publiée ». ^^ Du coup, j’en parle rarement de moi-même et, la plupart du temps, les gens l’apprennent par ouï-dire ou par Facebook – parce que je parle beaucoup d’écriture dessus. Du coup, après avoir vu une interview (comme celle-ci par exemple ^^) ou avoir simplement croisé le lien d’une chronique parlant d’un de mes textes, ils viennent me voir à la fac en me disant « alors comme ça, tu écris ? » et j’ai droit à toute une batterie de questions qui font super plaisir, parce qu’ils s’intéressent d’eux-mêmes à ce que je fais. D’autres fois, certains étudiants que je connais très peu viennent me voir en me disant « hé, machin m’a dit que tu écrivais, du coup j’ai acheté ton roman, il était à la librairie du coin, j’ai lu… » et me font la chronique en live. C’est sympa aussi (et un peu flippant de se dire que les nouvelles circulent autant, ahem ^^). Les profs, eux, l’ont appris via ces mêmes étudiants qui sont allés leur dire que j’écrivais. Les concernés se reconnaîtront, hein !! ;p

[EC] : Quelle est ton actualité ?

CD : Je travaille actuellement à la suite du tome 1 de la série des Nécrophiles Anonymes. Le tome 2 devrait sortir à la fin de l’année 2013 selon toute probabilité (il faut que je le corrige et, comme vous le savez maintenant, je vais avoir du mal à m’y mettre à fond avant avril-mai ;-)). Si vous voulez en savoir plus sur la série, le personnage principal a une petite page à lui. Sinon, je viens de terminer un gros roman (le space-opera bouddhique, là, oui ^^) intitulé Foulards Rouges, il va bientôt partir en quête d’éditeur dès que j’aurai trouvé le temps de fignoler le synopsis de soumission. Ça devrait paraître en numérique sous forme de feuilleton. Si ça vous intéresse, n’hésitez pas à m’ajouter sur Facebook : je ne mords pas, et promis, je ne suis pas monomaniaque de l’écriture (ou si peu ;)). J’ai d’autres projets à venir, mais rien de défini. J’avance à petits pas, mais j’avance ! Cet été, je pense que je m’attellerai à l’écriture du tome 2 de Foulards Rouges et aux corrections du tome 3 des Nécrophiles Anonymes. Bref : j’ai quand même du pain sur la planche !

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11 réponses à Concilier études et publication : Cécile Duquenne incluant les trackbacks et les pings.

  1. Jo Ann a dit :

    C’est là que je comprends pourquoi j’ai loupé mes études. 😀 J’écrivais beaucoup trop pour mon emploi du temps !

  2. Charlotte a dit :

    Voilà une interview très intéressante et un emplois du temps qui me fait passer pour une grosse feignasse ! Chapeau bas !

  3. Kanata a dit :

    De mai à septembre pour écrire… *se tape la tête sur le bureau en sanglotant*
    De mai à septembre pour écrire… *se tape la tête sur le bureau en sanglotant*
    De mai à septembre pour écrire… *se tape la tête sur le bureau en sanglotant*
    /jaloux

  4. Kanata a dit :

    La seule chose que j’aimerai plus que des Tagadas, c’est de pouvoir écrire tout mon saoul cinq mois de l’année…
    Mais bon… à défaut… je vais prendre les Tagadas quand même 😉

  5. Estelle V. a dit :

    Hé ben, quelle organisation ! Je suis un peu jalouse de toute cette discipline, j’aimerai bien faire pareil…

  6. Nemo a dit :

    A l’aube de les avoir finies, quand je lis ceci, j’ai l’impression d’avoir mal géré mes études pour qu’elles laissent de la place à l’écriture…
    Néanmoins c’est toujours boostant de lire ceci ! Surtout quand on a un début de nouvelle devant soi à rendre avant début mai…
    Paradoxalement, Gabrielle (ou Cécile) me fait moins culpabiliser de ne pas beaucoup écrire cette année.
    L’article sur Samantha Bailly était très interessant aussi, lorsque j’ai commencé à m’intéresser de façon sérieuse à l’écriture, j’étais tombéesur son tout premier site
    Je ne savais pas du tout qu’elle vit de l’écriture désormais.

  7. Nemo a dit :

    Désolé pour la forme du précédant message… J’écris avec un portable tactile qui n’aime guère internet… Les lignes sautent passé une certaine longueur de message.

  8. Anastasia Calaghan a dit :

    C’est motivant de voir qu’on peut continuer à écrire en faisant des études supérieures ! C’est ce que je craignais le plus ^^

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