Pour ceux qui suivent [EC], vous aurez sans doute noté que je ne suis pas du genre à prendre ouvertement parti sur des sujets polémiques, je reste plutôt neutre. Je revendique ce droit. D’une part nous sommes sur des sujets d’ordre artistiques et je trouve naturel de ne pas avoir des avis tranchés à la hache. D’autre part, je suis un gars très ouvert d’esprit dans la vie courante. Dans cet article vous me verrez sous un nouveau jour. Je vais prendre parti, et pas qu’un peu ! Après tout, dans les lignes qui suivent, nous allons vraiment toucher le fond.
Toutes les illustrations qui suivent se feront avec un vrai roman, sorti en 2011 en tant que Thriller scientifico-ésotérique et best-seller francophone chez un grand éditeur. Nous utiliserons les conventions suivantes pour y faire référence :
- Titre du roman = Le Vieil Artefact.
- Auteur = Nikkos Brisant.
- Éditeur = Mitch Bottom.
La phase de réécriture corrective du fond
Il est peut-être nécessaire de revenir sur des concepts de base : le FOND, c’est quoi ? Dans un roman, le « fond » regroupe tout ce qui a trait au récit lui-même, à l’histoire. Évidemment, le degré d’objectivité est plutôt réduit puisque l’on est dans l’ordre des idées. Il reste cependant quelques aspects 100 % objectifs concernant le fond et qu’il est CAPITAL de corriger – n’est-ce pas Nikkos ?
Le fond :
« Ce qui constitue le contenu, la matière, l’essence d’une œuvre, s’opposant à la forme. »
« L’idée et les thèmes que l’auteur développe dans son texte. »
- Le sujet du texte, son propos ;
- Les idées / thèmes principales/aux et secondaires qui y sont développés ;
- Les images fortes (symboles, archétypes, stéréotypes) qu’il véhicule ;
- Les préoccupations idéologiques et esthétiques ;
- La représentation de « l’univers » créé par l’auteur (monde / époque) ;
- La cohérence du récit ;
- La crédibilité des personnages et de leurs actions ;
- etc.
Comme discuté au début de cette série d’articles, je ne vise qu’à mettre en évidence la correction des points objectifs. En ce qui concerne le fond, ils sont mis en évidence dans la liste ci-dessus.
Exemples :
Illustrons nos propos, parce que je sens bien les scripturaux du fond qui s’agitent à l’idée que « la représentation de l’univers créé par l’auteur » puisse être une donnée objective de correction. Pour nous aider, je vous demande d’accueillir notre intervenant, M. Nikkos Brisant, à qui j’ai déjà fait allusion une fois ou deux précédemment. Nikkos est l’auteur d’un thriller scientifique sorti à grand tirage. Idéal pour illustrer notre premier exemple, car son univers est des plus simple à appréhender :
La représentation de « l’univers » créé par l’auteur (monde / époque)
Dans ce roman, l’univers du récit est tout simplement notre monde contemporain, donc pas besoin de se brûler les méninges pour comprendre comment tout fonctionne.
Entre les pages 180 et 188, le héros de Nikkos est prisonnier au fin fond de l’Allemagne dans une forteresse tenue par une élite aryenne. L’héroïne, une journaliste, est en région parisienne. Son plan est de profiter que la fameuse élite recrute la crème de la crème des scientifiques pour pénétrer les locaux sous couvert d’un entretien d’embauche. En moins de 24 h[1], elle va : bidonner un CV de scientifique de classe mondiale (avec toutes les références qui vont bien), traduire le tout en une version impeccable (d’anglais ou d’allemand, ce n’est pas clair dans le récit, peu importe), se fabriquer une fausse identité avec papiers et arbre généalogique, acheter un 4×4 BMW et le nettoyer comme neuf (les sièges passés au pinceau selon Nikkos, p. 185), se décolorer les cheveux et se déguiser, postuler, passer tout le processus de sélection des ressources humaines, recevoir une confirmation et un rendez-vous, préparer du matériel d’écoute et d’enregistrement, arriver à 12 h, fraîche et pimpante dans un beau tailleur seyant après 650 km de route.
Maintenant, dites-moi OBJECTIVEMENT si c’est réaliste dans notre univers (administrations française et allemande, limitation à 130 sur autoroute, processus d’embauche, acquisition de véhicule, assurance, faux papiers… sans faire appel à un flic ou un truand…). Nikkos trouve que oui… ou plus probablement : Il n’est pas passé par une réécriture corrective du fond.
La cohérence du récit
Des pages 99 à 101 (environ 4 minutes d’action en continu dans la même pièce) du roman de Nikkos, nous trouvons, je cite (pour clarifier j’ai remplacé les noms par les fonctions des protagonistes) :
« Le méchant glissa l’objet dans sa sacoche en bandoulière… » [entre-temps, il est dérangé par un gardien] « … on entendit un bruit de fenêtre brisée et le méchant disparut. » [la sacoche sous le bras] « La méchante repéra la sacoche gisant à terre et se baissa pour la ramasser. »
Nous avons donc soit un objet doué d’ubiquité, soit une jolie incohérence du récit. Dans tous les cas, une chose est sûre : Nikkos n’est pas passé par la phase de réécriture corrective du fond.
La crédibilité des personnages et de leurs actions
Entre les pages 326 et 332 (environ 15-20 minutes d’action entre les faubourgs de Jérusalem et le désert israélien), Nikkos s’achemine vers le climax de son histoire dans un suspense haletant. En effet, le méchant s’empare de la feuille de papier contenant la traduction du secret après lequel tout le monde court depuis le début, avant que les héros n’aient pu la lire. La feuille à la main, il fuit dans les escaliers, saute dans sa voiture et démarre en trombe. Mais les héros le suivent dans leur gros 4×4. Course poursuite, on quitte la ville, virages, routes dangereuses, il s’échappe, ils le rattrapent, campagne, routes désertiques, perte de contrôle, accident. La poursuite reprend à pied. Le méchant court, le héros rivé à ses talons. Il escalade les marches d’un vieux temple en ruine accolé à la montagne, se retrouve acculé sur la grande dalle surplombant le site. Combat, esquive, bagarre, le méchant perd l’équilibre, chute dans le vide, et in extremis, le héros lui arrache la feuille de papier des mains…
Et dire que s’il avait simplement mis la feuille dans sa poche, le méchant aurait pu conduire avec ses deux mains et échapper ainsi facilement à ses poursuivants en maîtrisant mieux son véhicule… ou grimper plus vite et s’enfuir, ou se battre avec ses deux poings et gagner. C’est bête quand même, non ? Mourir parce qu’on a oublié d’utiliser ses deux mains ?
Merci, Nikkos, rien ne vaut des exemples concrets pour démontrer l’importance de passer à travers une réécriture corrective du fond !
Mon avis de lecteur :
En tant que lecteur de romans de fiction, quand je me procure un livre, j’achète du dépaysement, du rêve, bref… une HISTOIRE ! Soigner le fond n’est donc pas une option. C’est la première chose qui me fera fermer le livre en se disant « ouh là… ça tient pas la route ».
Alors attention, je ne vous dis pas qu’un style pourri et une écriture truffée de fautes soient acceptables. Il ne faut pas non plus bloquer la lecture par un texte illisible. Mais une bonne histoire, cohérente, avec des personnages crédibles, passera sans soucis avec un style neutre et une écriture classique. Alors qu’une histoire qui ne fait aucun sens ne sera pas rattrapée par un style « extraordinaire et excellent en tous points ». Pourquoi ? Vous ne suivez pas, je vous l’ai dit plus haut : si j’ai choisi un roman de fiction, c’est pour son histoire, justement. Si j’avais été à la recherche de beaux mots de huit syllabes et de phrases brillantes de plusieurs pages, je me serais acheté l’édition du jour du Littré, du Bescherelle, ou un bel essai d’un de mes confères de Saint-Germain, mais pas un roman de fiction.
Mon avis d’auteur :
Cette phase de correction du fond peut être très courte (notamment pour ceux qui travaillent avec un plan et le tiennent à jour au cours de la phase d’écriture) si tous vos éléments tiennent la route. Ce fut mon cas pour Forfait illimité*. Une simple révision pour s’assurer que tout s’enchaînait bien, que les intrigues faisaient sens, qu’il n’y avait pas d’erreurs techniques (c’est un techno-thriller), que les personnages tenaient la route comme convenu.
Elle peut aussi être plus longue (ce fut mon cas avec Naturalis) :
- Si vous avez beaucoup divergé entre ce que vous aviez en tête et ce que vous avez finalement écrit. Dans ce cas des éléments perturbateurs peuvent avoir rendu certaines choses impossibles ou incohérentes (l’ajout d’un enfant pour un héros trop jeune, l’abandon ou l’ajout d’un personnage qui rend une quête caduque, etc.) ;
- Si vous flirtez avec des thèmes complexes (voyage dans le temps, psychologie, science & technique…) ou des genres hyper dépendants des moindres détails (polar, thriller) ;
- Si des éléments extérieurs « réels » interviennent (histoire, information, sociologie) et réclament des recherches / vérifications / ajustements (la réalité rattrape et dépasse parfois la fiction, ce n’est pas juste un adage).
Vous pouvez rendre les choses les plus folles totalement cohérentes, pour peu que vous posiez vos jalons correctement dans votre histoire. La crédibilité du récit est dépendante de l’univers dans lequel il se déroule. Il est donc de votre responsabilité de renforcer cette crédibilité en fournissant toutes les informations nécessaires au lecteur sur les particularités de votre « monde »..
Le défi consiste ici à bien lire ce que vous avez écrit sans intégrer ce que vous savez déjà de l’histoire. Le lecteur, lui, n’aura que vos mots, il ne peut pas deviner que c’est cohérent, parce qu’en fait il y a un générateur moléculaire dans l’arrière-boutique de votre alchimiste albinos. Il faut le lui dire, sinon l’explosion finale, aussi bien écrite soit-elle, n’aura pas de sens (je ne comprends pas, il mélangeait juste du jus de tomate avec de la coriandre et boom ! Je ne comprends pas…).
N’oubliez pas que le lecteur, sans informations supplémentaires de votre part, assumera toujours les choses les plus simples et les plus proches de SA réalité. Par exemple, si vous écrivez une invasion massive de la Terre par une race extra-terrestre en notre bon vieux xxie siècle, le lecteur ne comprendra pas comment une telle armada a pu passer inaperçue en s’approchant de la planète. C’est à vous d’expliquer comment et pourquoi aucun satellite n’a rien vu venir, pas au lecteur de le deviner. (Dans le même ordre d’esprit, amis auteurs de SF, renseignez-vous sur les distances interstellaires et les vitesses. L’univers, c’est VRAIMENT très grand…)
Voilà qui clôture la partie sur la correction du fond. Un dernier conseil : quand vous faites ce travail, ne vous concentrez pas trop sur la forme. Chaque chose en son temps, focalisez-vous vraiment sur le récit et glissez-vous dans la peau du lecteur qui ne connaît rien de votre histoire (cette capacité de détachement est beaucoup plus difficile à atteindre qu’il n’y paraît).
La semaine prochaine, on attaque la forme, objectif : zéro faute !
[1] Moins de 24 h d’action puisqu’elle est à 14 h dans une résidence [p. 173], un peu plus tard, disons 15 h [p. 177] chez son comparse, et le lendemain [Nikkos parle du « plan » mis au point la veille p. 86] avant déjeuner vers 12 h. Le tout entre Paris et Wewelsburg.
Très bon article sur la chose. Et je dois admettre que ce mettre à la place du lecteur et tout oublier de ce qu’on sait ne doit pas être une chose si simple.
Mais en travaillant sérieusement son plan et faire une découpe en.scène réduisent les coquilles
A minima, une préparation correcte permet en effet de faciliter ensuite la chasse aux incohérences.
D’où le grand intérêt de la bêta-lecture : faire lire son histoire à des personnes « étrangères » permet de déceler tous ces problèmes de cohérence qui pourraient passer inaperçus de l’auteur.
Je plussoie, c’est le meilleur moyen de se faire remettre les lunettes à l’endroit 😉
La technique du flocon de neige y est pour qq chose… 😉 Certes c’est laborieux mais les résultats sont la.
Hé oui… La préparation, ça paye.