La fantasy jeunesse francophone (pt 02)

(Suite de l’article publiée la semaine dernière : Et petit, vous lisiez de la fantasy ?, par Silène Edgar.)

La fantasy est aujourd’hui un genre qui occupe une place centrale dans la littérature jeunesse, mais cela n’a pas toujours été le cas. Il y a encore 20 ans, ils étaient peu nombreux, les jeunes lecteurs qui préféraient la fantasy au roman d’aventure. Il fallait être un de ces pionniers en herbe qui boudait le Club des cinq pour dévorer Bilbo le HobbitMoumine le troll et Histoire sans fin !
Et puis voici que l’ère de la fantasy a commencé : alors nous avons le plaisir de découvrir Lyra dans À la croisée de mondes et Harry à Poudlard ! La littérature jeunesse s’est résolument tournée vers l’imaginaire, en langue anglaise bien sûr, mais aussi en français. Voici un petit tour d’horizon de l’histoire de la fantasy francophone jeunesse !

Aux sources du genre

mouffetardRevenons aux sources : dans la littérature jeunesse comme dans la littérature « vieillesse » (dixit Erik L’Homme), les genres de l’imaginaire ont longtemps été dévalorisés et, en jeunesse, la production francophone a été ignorée jusque dans les années 90. Pourtant, avant C.S. Lewis, l’auteur du Monde de Narnia, et Tolkien (Bilbo le Hobbit n’a été traduit qu’en 1969), les auteurs francophones de contes merveilleux ont initié leurs lecteurs, jeunes et moins jeunes, à ces univers parallèles !
À la grande époque du XVIIe, Barbe-bleue le serial killer, Peau d’âne la transformiste ou le chat botté et facétieux naissaient chez Perrault tandis Mme Leprince de Beaumont créait La Belle et la Bête… Cela est un peu lointain, pensez-vous ? Vous me direz aussi que beaucoup n’ont découvert ces contes que dans leur adaptation guimauve à la Walt Disney ? Qu’à cela ne tienne, je parie que vous aviez malgré tout des livres merveilleux sur vos étagères ! Vous connaissez bien Delphine et Marinette et le Chat perché de Marcel Aymé, non ? Et si je vous parle de la sorcière de la rue Mouffetard qui voulait manger Nadia à la sauce tomate ou de sa consœur, qui logeait dans un placard à balai ? Ne chantiez-vous pas « Sorcière, sorcière, prends garde à ton derrière » après avoir découvert le génial Gripari et ses contes de la rue Broca ? N’avez-vous pas voyagé avec André Dhôtel jusqu’au Pays où l’on n’arrive jamais ? Ah, vous voyez que vous en avez lu, petit, du merveilleux francophone !

L’explosion

peggysue10Tous ces auteurs ont été des précurseurs du genre même si ce n’est que dans les années 80 qu’il se diversifie. Apparaissent alors de nombreuses merveilles comme les romans d’Andrevon, Fetjaine, Gudule, Marie-Aude Murail et son changelin. Les jeunes lecteurs de ces années-là découvrent de nouveaux éditeurs qui entrouvrent la porte de la fantasy : Flammarion, Gallimard, Magnard, Mango, Pocket, suivis d’Albin Michel, Bayard, Hachette, Milan ou Rageot. Et avec Harry Potter, c’est l’explosion !
Dans les années 2000, voici que les pépites se multiplient : Bottero nous embarque aux côtés d’Ewilan tandis que Brussolo fait naître Peggy Sue et que Sophie Mamikounian crée Tara Duncan. Mourlevat fait remonter La Rivière à l’envers et Erik L’Homme nous ouvre Le Livre des étoiles. Ces livres obtiennent des succès rapides et retentissants : Le Livre des étoiles est vendu à 600 000 exemplaires et, L’Homme le dit lui-même, l’appel d’air créé par Harry Potter, publié aussi chez Gallimard jeunesse, a été une grande opportunité pour les auteurs francophones.

Une offre diversifiée

salicandePar la suite, le genre s’installe et perce au fur et à mesure dans toutes les maisons : ainsi, L’école des Loisirs, résolument réaliste (à la notable exception de Loïs Lowry, en SF), offre la joie de découvrir Björn le Morphir de Thomas Lavachery à travers une saga délirante, qui nous plonge dans l’univers des vikings. Dans la suite de la saga, nous visitons des Enfers vikingo-romains dans une perspective toute aussi imaginative que celle de Pullman dans le tome 3 d’À la croisée des mondes : c’est une belle démonstration de la façon dont la fantasy se saisit de la littérature classique et la renouvelle. Dernièrement, les éditions Thierry Magnier, connues pour la qualité de leurs choix dans la littérature réaliste, se sont aussi ouvertes à l’imaginaire avec Samien de Colin Thibert, inspiré par le roman picaresque. Tous ces auteurs explorent de nombreuses pistes, et si nous nous référons aux catégories qu’André-François Ruaud définit clairement dans sa Cartographie du merveilleux, il y en a pour tous les goûts : fantasy héroïque, fantasy urbaine, fantasy historique, féerique, animalière, etc.
Et il y en a pour tous les âges ! Les petits découvrent ainsi, avec Claude Ponti, des univers délirants. Les collégiens se régalent des Éveilleurs de Pauline Alphen, L’Elfe au dragon d’Arthur Ténor ou les romans des St-Chamas avec la série Strom. Les lycéens peuvent facilement aller vers la fantasy adulte grâce à des ouvrages passerelle comme ceux de Mathieu Gaborit, si connu des rôlistes à travers Agone ou Pierre Pevel avec Les Lames du cardinal et le cycle de Wielstadt. Il semble oublié le temps où Mathieu Gaborit, Gérard Guéro, Pierre Pevel et Stéphane Marsan, qui sont loin pourtant d’être des vieillards chenus, ne trouvaient, petits, que les classiques anglo-saxons ou les contes anciens pour nourrir leur imaginaire. La naissance de la fantasy jeunesse en France est récente, mais elle ressemble bien plus à une explosion qu’à une timide arrivée.

Les francophones à l’égal des anglophones ?

Malgré une prédominance manifeste des anglo-saxons, les francophones font de beaux succès dans les librairies, il suffit de citer Strom, Louis le Galoup et Oksa Pollock. Les grands succès ne se démentent pas dans le temps, par exemple Tobie Lolness, sorti en 2006, dont les droits ont été achetés pour une adaptation cinématographique, ou Les Chevaliers d’Émeraude de la québecoise Anne Robillard, adapté aujourd’hui en BD. Le Combat d’hiver de Mourlevat est traduit en 11 langues. Les éditeurs mettent le paquet en choisissant le plus souvent une publication en grand format, ce qui leur permet de les re-exploiter ensuite en poche, mais surtout de créer un étal particulier, celui qui vous saute aux yeux quand vous arrivez au rayon jeunesse : 50 % des grands formats sont des romans de fantasy et ils représentent 65 % des ventes (Ipsos 2006). Les concepteurs marketing rivalisent d’imagination pour créer la couverture originale qui attirera l’œil dans cette marée de « gros pavés ». Les maisons spécialisées SFFF ont des collections jeunesse, et elles y accueillent les francophones largement : nous pouvons ainsi lire Danielle Martinigol et Carina Rozenfeld à L’Atalante, Emmanuelle Nuncq et bientôt Mel Andoryss et Lise Syven chez Bragelonne, etc.
Est-ce que, pour autant, on peut imaginer que la fantasy francophone se suffise à elle-même pour satisfaire le lectorat ? Je pense par exemple à la collection créée chez Mango, Royaumes perdus, qui explorait le merveilleux à travers les âges, de la Rome antique aux steppes russes, et ne proposait que des titres francophones. Ce n’est pourtant pas une question de qualité des ouvrages : on y retrouvait les grands noms, Johan Heliot, Fabien Clavel, Christophe Lambert, et les romans étaient de vraies pépites. Même revers pour Le Pré aux clercs pour la belle collection YA francophone Pandore, lancée en 2012 et qui nous avait permis de lire par exemple Estelle Faye. Là encore, cette fermeture est sans rapport avec la qualité des ouvrages ni avec l’intérêt du genre. Est-ce que les collections étaient trop spécialisées ? Ou est-ce que les éditeurs ont besoin des grosses locomotives américaines (en général les adaptations cinématographiques) pour financer les sorties francophones moins médiatisées ? Question à suivre dans les années à venir.
Quoiqu’il en soit, un petit tour aux Imaginales au mois de mai permet de mesurer l’incroyable vitalité du secteur. Sans attendre jusqu’en mai, il suffit de regarder les étals chez les libraires pour constater que la fantasy jeunesse a de l’avenir : des vampires aux loups-garous en passant par les zombies, la magie n’est pas près de disparaître ! Et les francophones y sont bien installés comme le prouve une jeune auteur comme Samantha Bailly, étoile montante de la fantasy francophone !

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7 ans de réflexion

Amanda-hourglassNous avons parlé de la préparation, de la structure, du synopsis, de l’écriture, de la correction, de l’édition, des dédicaces… pourtant, il est une phase que l’on passe souvent sous silence et que l’on tend à minimiser : celle de l’attente !

Quand on décide de devenir écrivain, il faut se préparer à attendre, beaucoup, et souvent. Parfois, on aimerait que cela passe plus vite. Je fais bien évidemment référence, dans ce cas, à l’attente sans fin des réponses (positives ou négatives) lors de la phase de prospection éditoriale. Ce n’est pourtant pas de celle-ci dont je vous propose de parler aujourd’hui, mais d’une autre, bien plus importante. Une qui ne doit pas être subie, que l’on ne doit pas redouter, mais bel et bien chérir : l’attente entre la fin du premier jet et le début des corrections/réécritures !

Soyons francs : si vous pensiez pouvoir enchaîner votre premier jet et vos réécritures, vous faites fausse route. À la fin du premier jet, vous devriez être vanné. Heureux, extatique, sur un nuage, certes… Mais une fois la bouffée d’hormones retombée, vous devriez être à bout ! Et ce n’est pas du tout le bon moment pour donner le meilleur de vous-même. Or, la réécriture et les corrections vont vous pomper au moins autant que la partie purement créative, si ce n’est plus. A minima, vous avez besoin de repos.

Mais surtout… un roman est comme un bon fromage, un bon vin ou un bon whisky : il a besoin de temps pour s’affiner, fermenter, vieillir… – bref, vous comprenez les métaphores pourries.

Il faut savoir prendre de la distance avec son texte et son histoire, de manière à être le plus impartial possible. Ce n’est pas si facile qu’il y paraît… Et c’est bien pour cela qu’une certaine attente est nécessaire. Se jeter dans la réécriture à chaud, c’est s’ôter d’emblée des opportunités d’améliorations profondes et risquer de rester superficiel. Parfois – souvent ? – il ne faut pas avoir peur de tailler dans la masse, et c’est extrêmement difficile à faire quand on est encore « amoureux » de son œuvre. Car c’est bien connu : « l’Amour rend aveugle ».

Combien de temps faut-il attendre, me direz-vous ? Certainement pas sept ans comme pour une union, vous répondrais-je.

Attente trop courte

On sera à l’aise pour les petits ajustements et les corrections ortho-grammaticales, mais on risque de manquer de lucidité et de recul pour les grandes questions. Quand viendra le moment de statuer sur cette belle envolée lyrique qui plombe une scène, on sera tenté de la garder parce que la douleur d’en avoir accouché sera encore trop présente.

Attente trop longue

On court le risque de se faire rattraper par la vie, ou de nouveaux projets attrayants qui s’enchaîneront sans cesse, les uns à la suite des autres : c’est le danger de ne jamais faire aboutir un récit. J’appelle ça « l’appel des sirènes », la parfaite fuite en avant. Il est tellement plus agréable de créer que de corriger… ATTENTION, DANGER !

Le juste milieu

C’est un seuil qui est personnel à chacun et, mine de rien, c’est un vrai travail sur soi. Il faut être honnête avec soi-même et apprendre à se connaître. Pour moi, il y a un déclic qui se fait. À un moment, je sens que je suis prêt à en découdre avec mon texte. J’ai la hargne, je suis remonté à bloc, et je vais lui montrer qui est le maître ! Pourquoi croyez-vous que toutes mes corrections prennent des allures de matches de boxe (sport que je déteste par ailleurs, allez comprendre…) ?

Ma philosophie est la suivante : « j’écris le premier pour moi, je réécris pour les autres ». Tant que je ne suis pas prêt à faire ce travail, quitte à renier certaines choses que j’ai écrites, j’attends !

Mais pour d’autres, c’est une zénitude absolue qui est le signe de se lancer. Ils arrivent à un recul tel qu’ils peuvent aborder leur propre texte comme si c’était celui de quelqu’un d’autre avec calme et sérénité.

Si vous n’êtes pas sûr d’avoir trouvé votre déclencheur, essayez la bêta-lecture. Vos réactions aux retours d’autrui seront un bon indicateur qui vous permettra de savoir si vous êtes mûr, ou si vous devez attendre encore un peu…

Que faire en attendant ?

Quel que soit votre déclencheur, il faut bien trouver quoi faire durant cette attente.

  • Reprendre votre vie « normale » ?
  • Vous vider la tête à grand renfort de jeux vidéo, séries télé, ou salles obscures ?
  • Partir en voyage ?
  • Entamer un autre projet (attention à ne pas fuir la réalité de la réécriture et des corrections 😉 ) ?
  • Reprendre le sport ?
  • Vider votre PAL ?
  • Dormir ?
  • Prévenir votre entourage que vous n’êtes pas mort ?
  • Commencer un élevage de pucerons ?
  • Entamer une cure de désintoxication au café, au chocolat – ou aux tagadas ?

Dites-nous un peu quels sont vos trucs favoris durant cette attente, et quel est VOTRE déclencheur pour plonger dans les corrections ?

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Et petit, vous lisiez déjà de la fantasy ? (La fantasy francophone, pt 01)

Nous avions déjà eu le plaisir d’interviewer Silène Edgar pour Genres sans frontières. Auteur pour petits et grands, son dernier roman Fortune Cookies, vient de sortir chez Bragelonne. Cet article a d’abord été publié chez JDRmag en janvier 2012 et a été mis au goût du jour pour [Espaces Comprises].

Mathieu Gaborit, Gérard Guéro, Stéphane Marsan et Pierre Pevel répondent à la question !

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© Aude L (Voyages à travers le codex)

Mathieu Gaborit : Je crois, oui. À vrai dire, mes premiers souvenirs de fantasy me ramènent à Fafhrd et Souricier Gris, les deux héros de Fritz Leiber dans le Cycle des épées. C’est un souvenir très ancré à travers une seule scène qui évoque leurs épouses ou compagnes respectives dévorées par des rats. Je ne suis même pas certain que cette scène existe telle quelle, mais je vous livre cette empreinte spontanément, sans reconstruction. Cette scène (si elle existe !) m’a marqué, je pense, parce qu’elle convoquait la réalité pour de bon. Je me prenais de plein fouet un drame tangible, crédible et surtout une fragilité. Autre souvenir : la trilogie du Lyonnesse de Jack Vance. La sensation, à l’époque, d’avoir effleuré une forme de poésie. Un peu plus loin, il y a eu Elric et Hawkmoon de Moorcock et puis, bien sûr, Howard. Des classiques qui ont forgé mon appréhension de la fantasy.

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Source : Babelio

Gérard Guéro : Alors en fait, oui et non… Petit, je lisais plus de la science-fiction (je suis de la génération SF, après tout), conseillé que j’étais par mon grand frère. Il m’a fait lire Bilbo, en 1976 ou 1977 si mes souvenirs sont bons, et là, j’ai basculé du côté fantasy, je crois… même si après, je me suis tapé des grands classiques comme Dune (mais Dune, c’est pas de la SF, c’est bien de la fantasy…). Mais surtout, j’ai appris à lire avec un mètre de magazine Spirou et dans Spirou, c’était bourré de fantasy !!! Johan et Pirlouit, c’est juste de la fantasy, avec des gros nez, mais de la fantasy… il y a des dragons, des ogres, des sorciers, des petits lutins bleus… Donc, oui et non… Ça dépend de quel côté on se place. Par contre, il faut bien voir qu’à l’époque, il n’y avait pas Harry Potter ou À la croisée des mondes, pas de collections ni d’éditeurs spécialisés et que pour lire de la fantasy, qu’on soit petit ou grand, il fallait tout de même s’accrocher…

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© JC Caslot

Stéphane Marsan : Le propre de la fantasy, c’est qu’on en lit avant de savoir que c’en est, voire même que ces textes ne savent même pas eux-mêmes qu’ils en sont ! Petit, c’est quand, au fait ? Premiers souvenirs… Je me souviens des livres illustrés que ma mère me lisait ou lisait avec moi. Peter Pan, La Belle et la Bête… Des rêves beaux et étranges sur du papier. Des contes modernes.
À 6 ans, des copains à l’école m’ont parlé de super-héros. Alors, à ma demande, mes parents m’ont emmené chez le marchand de journaux. « Allez, demande au monsieur ce que tu veux. » « Je voudrais le livre de l’araignée et de l’homme de glace ». « Ça s’appelle Strange », il a dit, le kiosquier.
Les aventures de types avec des pouvoirs merveilleux.
En CM1, je crois, j’ai commencé à dévorer des recueils de mythes grecs et romains. Je me faisais acheter tous ce qui ressemblait à ça. Je les relisais tout le temps. Je me souviens très bien du jour où, en vacances, je me suis rendu compte que certains étaient en fait les mêmes, ou une légère variation de l’un à l’autre. Un récit universel qui se répète. Le plaisir (le besoin ?) de relire la même histoire.
En CM2, je me suis mis à lire (et écrire) de la poésie. C’est devenu presque une drogue. Un recours, un refuge, une condition. L’émotion et/dans/à travers l’esthétique. La transfiguration du réel et de l’existence.
À 12 ans j’ai découvert Stefan Wul, puis les jeux de rôle qui m’ont conduit à Dune et Lovecraft. C’est à ce moment-là que j’ai dû lire mon premier roman de fantasy. On m’a prêté Le Seigneur des anneaux, mais je ne pense pas être allé très loin dedans. J’ai dû lire Bilbo, mais je m’en souviens à peine. J’ai dû lire Elric vers 18 ans, et puis plein d’autres. Et voilà, j’ai su que j’aimais la fantasy.
C’est dire si j’ai lu de la Fantasy tard, et pas du tout quand j’étais petit. Mais en un sens, j’en ai lu bien avant d’en lire. Comme à peu près tout le monde, parce que la fantasy est une fiction moderne qui s’abreuve à bien des sources passées, une hérédité capricieuse dont résulte son caractère à la fois immémorial et artificiel.

pevel
© L’Autre monde

Pierre Pevel : Quand j’étais gamin, soit dans les années 70, la fantasy n’existait pas. Ou alors pas en français. Ou alors pas pour les enfants. Ou alors pas par chez moi. Bref, je ne connaissais pas.
Mais je crois que mon goût pour la fantasy s’exerçait déjà. Je lisais et relisais les livres de la série Contes et Légendes que je collectionnais. Grâce à eux, je plongeais dans ces mythologies antiques qui me passionnaient — un assez bon moyen de se préparer à lire le Silmarillion, quand on y pense. Je me souviens également que mes albums de Tintin préférés étaient ceux qui flirtaient avec le fantastique : Les Sept Boules de cristal, par exemple. Et mon Disney favori était La Belle au Bois dormant.
Bref, est-ce que je connaissais la fantasy ? Non.
Est-ce que j’aimais déjà ça ? Oui.

(La suite !)

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Les éditions L’ivre-Book par Lilian Ronchaud

This entry is part 8 of 9 in the series Parole aux éditeurs

[Espaces Comprises] Pouvez-vous raconter la naissance de L’ivre-Book ?

ivrebook

Lilian Ronchaud : Il y a un peu plus de deux ans, j’ai souhaité changer de vie professionnelle. Ayant toujours été passionné par les livres, j’ai envisagé de m’installer comme libraire, mais je me suis vite rendu compte que je ne pouvais pas aller bien loin sur ce chemin. M’étant longuement documenté sur l’édition numérique, je me suis rendu compte qu’il pouvait y avoir encore de la place pour moi.

[EC] Quelle est votre politique concernant les DRM ?

 Très simple : aucun DRM, ni tatouage ni je ne sais quoi.

[EC] Quelle est votre ligne éditoriale ?

 Je sais que beaucoup d’auteurs n’aiment pas la réponse que je vais donner : je n’en ai aucune. La seule ligne que je suis est de publier les textes qui me plaisent.

[EC] Quel est votre public ?

 Les genres que je publie étant assez éclectiques, je peux considérer que mon public l’est tout autant.

[EC] Comment se déroule la soumission ?

J’ai, au début, démarché plusieurs auteurs. Certains m’ont envoyé des textes, d’autres non. Depuis, les textes m’arrivent régulièrement et je suis, hélas, obligé de faire comprendre que je ne peux plus en prendre avant au moins 6 mois.

[EC] Comment choisissez-vous un texte ?

Je lis tout d’abord quelques pages afin de juger de la qualité de l’écriture. Si dès le début je m’aperçois de la pauvreté de cette écriture, je préviens rapidement l’auteur que je n’irai pas plus loin.
Sinon, je lis jusqu’au bout et je juge selon l’histoire racontée, l’intérêt qu’elle peut avoir et surtout l’intérêt qu’elle m’a apporté.

[EC] Qu’est-ce qui vous rebute dans un manuscrit ?

 L’écriture en mauvais français, les fautes à chaque coin de page et la platitude dans les dialogues.

[EC] Quels conseils donneriez-vous aux auteurs qui se lancent ?

Ne pas prendre tous les éditeurs pour des ennemis, les respecter si l’auteur souhaite être respecté. Ne surtout pas prendre son propre texte pour un chef d’œuvre que rien ni personne ne peut retoucher, et surtout être patient.

[EC] Comment se déroule la publication ?

Une fois que le texte est accepté, signature du contrat, généralement tutoiement réciproque entre l’auteur et moi-même, inscription de l’auteur sur un groupe Facebook où tous mes écrivains sont réunis.
Je demande à l’auteur s’il considère son texte comme définitif ou s’il souhaite y apporter des corrections. S’il considère qu’il est définitif, je lui suggère quelques modifications à apporter à l’histoire (si modifications il y a) puis je corrige ou je fais appel à un correcteur pour revoir le texte.
J’envoie à l’auteur le texte corrigé pour un Bon à Numériser, ce qui signifie que si l’auteur est d’accord ce sera cette version du texte qui sera éditée.
Ensuite je fabrique le livre numérique (entre-temps j’ai pu faire appel à un illustrateur pour la couverture) et j’envoie un exemplaire à l’auteur pour un Bon à Diffuser ; ce sera ce livre qui sera vendu dans les librairies.

[EC] Acceptez-vous des collaborations avec des éditeurs papier pour la publication de vos auteurs ? Dans quelles conditions ?

rorkalMon contrat d’édition ne prévoit l’exclusivité que sur l’aspect numérique du livre. L’auteur peut donc se faire éditer en papier où il le souhaite. Jusqu’à présent, j’ai édité des romans publiés chez Rivière Blanche (qui ne publient qu’en papier et qui me confient gentiment le texte), je le signale par une mention sur la couverture et à l’intérieur du livre.
Si d’autres éditeurs exclusivement papier veulent prendre contact avec moi pour des versions numériques, ma porte leur est ouverte.
Inversement, si des éditeurs papiers sont intéressés par les textes que je publie, cela ne pose aucun problème.

[EC] Quel a été votre dernier coup de cœur ?

Tout simplement la dernière œuvre que j’ai lue, un recueil de nouvelles de Thierry Bourcy (auteur connu pour ses romans policiers chez Folio) qui devrait paraître dans quelques mois chez L’ivre-Book.
En fait, il faut savoir que chaque œuvre que j’édite est quelque part un coup de cœur.

[EC] Quelle a été votre meilleure vente ?

brumesDeux livres quasiment à égalité : Le Monde au-delà des brumes de Hugues Douriaux et Du chômage d’Andy Vérol.
Deux auteurs et deux œuvres totalement opposées et différentes.

[EC] Quelles sont vos actualités ?

Formidablement nombreuses, je n’en citerai que quelques-unes :
Mettre en œuvre l’édition de plusieurs textes reçus dans le cadre d’un AT sur Lovecraft.
Continuer le développement de ma collection érotique avec notamment la parution d’une anthologie sur la fessée.
Démarrer la réédition de la série du Commandeur de Michel Honaker et celle de la série Le Monde de la Terre Creuse d’Alain Paris.

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Soumission d’un cycle : doit-on tout écrire avant d’envoyer (ou pas) ?

Cette semaine, NB Coste a accepté de nous parler des soumissions de cycles : doit-on tout écrire avant d’envoyer (ou pas) ? Auteur de la tétralogie Les Fedeylins et de la trilogie Les Yeux de l’aigle chez Gründ, ainsi que de la nouvelle série SpaceLeague aux éditions L’Équipe (comme le journal), elle partage son expérience.

Comme beaucoup de jeunes auteurs, vous vous êtes lancé dans une trilogie (ou plus) et vous vous demandez s’il faut écrire l’intégralité du cycle avant de soumettre cette histoire à un éditeur.
Tout d’abord, je dirais : fuyez, pauvres fous ! Hum. Ou, plus simplement : si vous avez le choix : NE COMMENCEZ PAS PAR UNE TRILOGIE (ou plus).
Pourquoi ? Parce que vous allez y passer plusieurs années (en général), que la rédaction est longue, la correction l’est encore plus, et que les phases de découragement ne sont pas toujours faciles à gérer, sans parler de la difficulté à caser l’histoire auprès d’un éditeur (l’effet « 1er roman d’auteur inconnu » joue).
Commencer par un roman « autonome » de taille moyenne (500 000 signes pour un public adulte) est déjà un bel exercice à mener au bout d’un processus éditorial…
Et là, vous me dites « Oui, mais bon, moi, mon idée tient forcément sur plusieurs tomes, d’ailleurs, je suis à la moitié de la rédaction du tome 2 et je me demandais s’il fallait soumettre le 1 maintenant ou attendre (d’ailleurs, c’est pour ça que je lis cet article). »

OK, OK.

Alors, il y a des avantages, comme des inconvénients, dans les deux méthodes.

Vous envoyez le tome 1 avant d’avoir terminé le cycle complet :

Avantages :

  • Vous allez pouvoir tromper l’attente des réponses en avançant dans l’écriture des tomes suivants.
  • Vous aurez peut-être des retours personnalisés qui vous indiqueront ce qui coince, et vous permettront d’ajuster en corrigeant le T1, et si ça remet en question la suite, il serait plus facile d’ajuster si tout n’est pas écrit !
  • Peut-être que ce sera « Oui » tout de suite ! Dans ce cas, à vous gloire, richesse, et… Heu, enfin, Youhou, vous allez publier votre livre, quoi !
  • Ou alors, tous les retours sont négatifs, vous déprimez, cette histoire vous sort par les trous de nez, une autre bien plus fun vous fait de l’œil… vous abandonnez le projet en cours de route. Au moins, vous n’avez pas « perdu » dix ans de votre vie sur quelque chose qui ne sera pas publié [« perdu » entre guillemets, parce qu’on apprend forcément, donc on progresse, hein].

Inconvénients :

  • Si ça plaît à un éditeur, il voudra peut-être lire la suite avant de s’engager. Ou, s’il s’engage, il donnera des délais pour le rendu des tomes suivants (et là, tout d’un coup, la pression n’est pas la même !).
  • En arrivant à la fin du dernier tome, vous vous apercevrez que votre style / le ton employé ont beaucoup évolués depuis le début du premier tome. Vous connaissez mieux vos personnages, vous voyez exactement les détails dont ils ont besoin tout le long, les rencontres qu’ils font, et leur évolution. Bref, pour bien faire, il faudrait réécrire pas mal du tome 1 (celui que vous trouvez maintenant tout naze et que vous avez honte d’avoir envoyé aux éditeurs).

Vous attendez de terminer votre cycle complet avant de soumettre le tome 1 :

Avantages :

  • Vous avez pu ajuster le début en fonction de la fin, vous connaissez ce roman par cœur, et vous ne pouvez pas aller plus loin tout seul : vous êtes mûr pour l’étape suivante.
  • Vous pouvez tromper l’attente des réponses en commençant un autre projet, complètement différent.
  • Si un éditeur demande à lire la suite, hop, vous pouvez l’envoyer ! Idem s’il dit « Oui » et vous donne un planning de publication : pas de pression, vous avez le temps de faire vos corrections éditoriales tranquillement, même s’il y a une part de réécriture sur certains tomes.

Inconvénients :

  • Vous avez tellement mis de vous dans ce cycle que vous avez du mal à penser à autre chose tant que le verdict ne tombe pas.
  • On a beau vous dire qu’un comité de lecture juge votre texte, et ne vous juge pas vous… au bout de tant d’années de travail sur le projet, vous ne faites plus vraiment la différence.
  • Si tous les retours sont négatifs, c’est encore plus douloureux. Certains arrêtent même d’écrire, du coup.
  • Si un éditeur dit « Oui », il sortira d’abord le Tome 1 et attendra peut-être les chiffres de vente avant d’accepter de publier la suite (rares sont ceux qui s’engagent sur le cycle complet dès le départ). Et si la suite ne sort jamais, vous aurez l’impression d’avoir abandonné vos personnages en cours de route…

De mon côté, j’ai vécu pas mal des phases que je vous décris.
fedeylins1J’ai d’abord commencé par envoyer le tome 1 de ma tétralogie (Fedeylins) en continuant d’écrire la suite (les refus types se sont échelonnés entre 3 mois et 3 ans). Puis j’ai arrêté d’envoyer, j’ai écrit l’histoire jusqu’au bout (je comptais le faire de toute façon, pour moi, même si aucun éditeur n’en voulait). Je me suis donc retrouvée confrontée au problème « mon style a changé, et j’ai trouvé plein de trucs bien dans le T4 : il me faut ajuster le T1 ! ».
Plus tard, j’ai eu la chance d’intéresser un éditeur, qui m’a demandé de tout lire avant de se décider (un premier roman d’auteur inconnu est un risque, et, si l’auteur n’est pas capable d’aller au bout de son cycle avec la même qualité d’écriture, l’éditeur ne suivra pas). J’ai donc été bien contente de pouvoir lui envoyer l’ensemble ! Il a été convaincu et nous avons pu sortir les tomes tous les 6 mois (ce qui est très rapide en édition). Notons que, deux ans plus tard, la conjoncture éditoriale était devenue telle qu’il n’aurait pas signé pour les 4 tomes s’il les avait reçus à ce moment-là : il aurait dû attendre les ventes du T1 d’abord. Moi et mon texte, nous étions mûrs ET on a eu sacrément de la chance d’arriver au bon moment.

Par la suite, j’ai pu proposer des projets sur la base du tome 1. Là, l’effet « 1er roman d’auteur inconnu » ne rentrait plus en ligne de compte (même si le « inconnu » est toujours d’actualité 🙂  ). J’avais déjà travaillé avec l’éditeur, donc il savait que j’irais au bout. J’ai dû écrire les tomes suivants avec la pression des délais, mais ce n’était plus pareil : j’avais déjà vécu toutes les étapes d’un processus éditorial, je n’étais plus dans les fantasmes des « peut-être » d’avant-publication. J’étais devenue auteur, et je faisais mon métier.

Premier MatchDernièrement, j’ai expérimenté quelque chose de nouveau : la commande. Encore une autre façon d’aborder ce métier, avec des contraintes précises, mais qu’on peut toujours détourner un peu pour ajuster à nos envies. Je me suis donc lancée dans une série de douze tomes, sur la base d’un résumé global de l’histoire et du synopsis détaillé du tome 1 !
Le plus difficile pour moi, dans ce cas, c’est la contrainte de format (je suis à 2 000 signes près !) et le fait de ne pas pouvoir revenir en arrière. Pour le style, ça va (l’expérience aidant, on arrive à conserver le même ton sur l’ensemble de la série, même si ça peut évoluer avec les personnages), mais, pour les détails, c’est un casse-tête ! Plus question de modifier ce qui a été dit dans le tome 1, il faut faire avec…

Bref, il n’y a pas de bonne façon de faire. Ça dépend des projets, de la maturité de l’auteur, et de son avancée dans le monde de l’édition.
Je dis souvent qu’en dessous d’une trilogie, je suis malheureuse, donc je comprends les auteurs qui se lancent dans les cycles longs… mais j’ai expérimenté l’année dernière la rédaction de plusieurs romans autonomes, pour des publics très différents. Eh bien les phases « écriture, corrections, soumissions, retours » sont beaucoup plus courtes. On vit les mêmes émotions, dans un temps rapproché. Beaucoup plus simple pour commencer !

« Oui, mais qu’est-ce que je fais alors, pour mon tome 2 ? ».

Tu fais comme tu veux, l’ami. Mais, un dernier conseil : surtout, corrige les tomes au fur et à mesure. Il n’y a rien de plus décourageant qu’arriver au bout de son cycle, d’avoir écrit plus d’un million de signes (mettons), et de se rendre compte qu’il faut maintenant les corriger ! Même s’il y aura forcément des ajustements sur le début, autant avoir des versions lisibles avant de passer à la suite (pour laisser reposer un premier jet avant de le corriger… rien de tel que corriger le tome précédent !).

Quel que soit votre choix, entre l’envoi avant la fin, ou l’écriture de tout avant l’envoi, je vous souhaite de cultiver l’une des qualités principales de l’écrivain : la patience…

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