Après quelques semaines à ce rythme, je tombe malade. C’est l’été, il fait 35°C à l’ombre en plein Paris, mais allez savoir comment, j’ai attrapé une bronchite. Je suis persuadée, sur le moment, que c’est parce que la climatisation souffle juste au-dessus de moi et que je passe donc d’un souffle très frais à une atmosphère extérieure très chaude. En réalité, c’est parce que je suis asthmatique et que si les chauds/froids n’aident pas, mes bronches n’ont pas du tout aimé que je reste enfermée dans ce bureau poussiéreux et jamais nettoyé. Je m’arrête quelques jours et je tousse beaucoup moins. Mais pas grâce aux antihistaminiques, seulement grâce à l’absence de poussière. Je reprends rapidement le travail.
En revenant, je reste encore quelques jours au comité de lecture. Ma toux bronchique revient, mais hors de question que je m’arrête à nouveau. Je m’accroche et je suis heureuse d’apprendre que je vais enfin changer de service pour découvrir l’aspect du métier qui me plaît le plus : le travail de secrétaire d’édition.
Changement de bureau, toujours autant de poussière mais plus de clim trop froide qui me souffle dessus : ça va déjà beaucoup mieux. On me présente le poste : je vais corriger les manuscrits, échanger les épreuves avec les auteurs jusqu’au BAT, et faire la liaison avec le service graphique (qui s’occupe des couvertures) et le service diffusion et promotion qui prendra le relais lors de la publication du livre.
La correction me fait un peu peur : j’ai un bon niveau de français, mais correcteur, c’est un métier ! Je suis vite rassurée : un logiciel, appelons-le « remède », fera le travail à ma place. Tout ce que j’aurai à faire, ce sera accepter ou refuser les corrections proposées. Mais je dois faire attention : le logiciel met des accents aux majuscules, il faudra bien les retirer ! Sur le moment, je n’ose pas dire ce qu’un correcteur de métier m’a justement appris à l’I.U.T. : qu’en français, contrairement à ce que l’on nous apprend à l’école, les majuscules s’accentuent.
Je découvre ensuite la joie du travail avec les auteurs. Si certains sont adorables, d’autres sont très spéciaux ou carrément insupportables. Depuis l’auteur qui a obtenu 10/10 et est monté sur ses grands chevaux (« Je ne paie pas, contrairement aux autres, mon talent est enfin reconnu »), jusqu’à celui qui tient à ce qu’on « respecte son style » et à qui je dois expliquer, avec tact et diplomatie, qu’il y a une différence entre originalité du style et incorrection de la langue, en passant par l’enfant de 12 ans dont le manuscrit a été accepté mais qui, bien sûr, n’en a pas parlé à sa maman… et n’a donc pas les quelques centaines d’euros demandés pour la « publication ». Mes illusions tombent en miettes, je suis de plus en plus blasée, et ce ne sont pas mes échanges avec les autres employés de la maison d’édition qui vont me remotiver. J’ai vu passer des centaines de manuscrits, j’ai accepté de laisser des erreurs grosses comme moi dans des textes parce que l’auteur me menaçait des pires sévices si « je m’entêtais à raconter n’importe quoi », et l’une des éditrices achève mon moral : ça a toujours été comme ça. Et ça le sera toujours. Quant à elle, elle laisse traîner les dossiers, dit « oui-oui » aux auteurs-clients, n’essaie même plus de faire un véritable travail éditorial. Son objectif ? Se faire virer.
L’un des employés du comité de lecture travaille en free-lance depuis chez lui. Lorsqu’il revient, un jour par semaine, nous déjeunons avec lui. Et nous sommes pris de fous rires en relisant son « top de la semaine » : il note les pires absurdités lues dans un manuscrit. Phrases de dix lignes sans la moindre ponctuation, conjugaisons fantaisistes (« il morda dans la pomme »), il en voit passer des vertes et des pas mûres.
En parallèle, Éditetonlivre propose un service d’impression, géré par Monsieur P. Monsieur qui, en dehors de cela, est payé des sommes folles (la comptable a été indiscrète) pour ne pas faire grand-chose de ses journées. Monsieur P. qui prend des rdv, et est systématiquement absent et injoignable lorsque ses hôtes arrivent. Je les accueille et je me fais incendier. Je comprends leur mécontentement, mais je ne peux rien faire pour eux.
Finalement, je commence à me dire que mes 350 € par mois ne sont pas cher payés. De plus, je dois écrire mon rapport de stage : qu’est ce que je vais bien pouvoir raconter ? Que la moitié du travail est effectué par des stagiaires, l’autre par des employés désillusionnés ? Que les auteurs publiés ne savent pas écrire ? Ou encore, comme me l’a avoué la responsable communication, qu’aucune librairie n’accepte les livres d’Éditetonlivre, même en dépôt, car ils savent pertinemment que les ouvrages ne valent rien ?
Après plusieurs heures à me creuser les méninges, j’arrive à rédiger le nombre de pages demandé pour mon rapport. Je le confie à Madame E., avec qui j’avais passé mon entretien et notée comme ma tutrice sur la convention de stage. J’aimerais qu’elle lise ce rapport et m’aide à y apporter les corrections nécessaires. Elle corrige l’organigramme et lit le reste en diagonale. Le tout est expédié en dix minutes. Les dix seules minutes où elle se sera inquiétée du déroulement de mon stage.
Je quitte Éditetonlivre au bout de trois mois et demi, ravie à l’idée des deux petites semaines de vacances qui m’attendent. J’ai le moral dans les chaussettes, aucune envie de retourner en cours, et encore moins de travailler dans l’édition. C’est donc ça, l’Eldorado dont je rêvais ?
Je reprends les cours rincée. Je bâcle mon semestre et je tombe malade juste avant Noël : une bronchite dont je n’arrive pas à me défaire malgré des traitements carabinés. La bronchite m’empêche de dormir, j’ai des cernes de la longueur de la route 66 et plus aucune envie de venir à l’I.U.T.
Finalement, j’apprends que je suis asthmatique après trois longues semaines de traitements inefficaces. J’ai des problèmes familiaux, des problèmes de santé, et surtout plus aucune motivation. À six mois du diplôme, j’abandonne mon D.U.T. métiers du livre. Soulagée d’en avoir fini.




