Le compte d’auteur vu de l’intérieur – 2

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Après quelques semaines à ce rythme, je tombe malade. C’est l’été, il fait 35°C à l’ombre en plein Paris, mais allez savoir comment, j’ai attrapé une bronchite. Je suis persuadée, sur le moment, que c’est parce que la climatisation souffle juste au-dessus de moi et que je passe donc d’un souffle très frais à une atmosphère extérieure très chaude. En réalité, c’est parce que je suis asthmatique et que si les chauds/froids n’aident pas, mes bronches n’ont pas du tout aimé que je reste enfermée dans ce bureau poussiéreux et jamais nettoyé. Je m’arrête quelques jours et je tousse beaucoup moins. Mais pas grâce aux antihistaminiques, seulement grâce à l’absence de poussière. Je reprends rapidement le travail.

En revenant, je reste encore quelques jours au comité de lecture. Ma toux bronchique revient, mais hors de question que je m’arrête à nouveau. Je m’accroche et je suis heureuse d’apprendre que je vais enfin changer de service pour découvrir l’aspect du métier qui me plaît le plus : le travail de secrétaire d’édition.

Changement de bureau, toujours autant de poussière mais plus de clim trop froide qui me souffle dessus : ça va déjà beaucoup mieux. On me présente le poste : je vais corriger les manuscrits, échanger les épreuves avec les auteurs jusqu’au BAT, et faire la liaison avec le service graphique (qui s’occupe des couvertures) et le service diffusion et promotion qui prendra le relais lors de la publication du livre.

La correction me fait un peu peur : j’ai un bon niveau de français, mais correcteur, c’est un métier ! Je suis vite rassurée : un logiciel, appelons-le « remède », fera le travail à ma place. Tout ce que j’aurai à faire, ce sera accepter ou refuser les corrections proposées. Mais je dois faire attention : le logiciel met des accents aux majuscules, il faudra bien les retirer ! Sur le moment, je n’ose pas dire ce qu’un correcteur de métier m’a justement appris à l’I.U.T. : qu’en français, contrairement à ce que l’on nous apprend à l’école, les majuscules s’accentuent.

Je découvre ensuite la joie du travail avec les auteurs. Si certains sont adorables, d’autres sont très spéciaux ou carrément insupportables. Depuis l’auteur qui a obtenu 10/10 et est monté sur ses grands chevaux (« Je ne paie pas, contrairement aux autres, mon talent est enfin reconnu »), jusqu’à celui qui tient à ce qu’on « respecte son style » et à qui je dois expliquer, avec tact et diplomatie, qu’il y a une différence entre originalité du style et incorrection de la langue, en passant par l’enfant de 12 ans dont le manuscrit a été accepté mais qui, bien sûr, n’en a pas parlé à sa maman… et n’a donc pas les quelques centaines d’euros demandés pour la « publication ». Mes illusions tombent en miettes, je suis de plus en plus blasée, et ce ne sont pas mes échanges avec les autres employés de la maison d’édition qui vont me remotiver. J’ai vu passer des centaines de manuscrits, j’ai accepté de laisser des erreurs grosses comme moi dans des textes parce que l’auteur me menaçait des pires sévices si « je m’entêtais à raconter n’importe quoi », et l’une des éditrices achève mon moral : ça a toujours été comme ça. Et ça le sera toujours. Quant à elle, elle laisse traîner les dossiers, dit « oui-oui » aux auteurs-clients, n’essaie même plus de faire un véritable travail éditorial. Son objectif ? Se faire virer.

L’un des employés du comité de lecture travaille en free-lance depuis chez lui. Lorsqu’il revient, un jour par semaine, nous déjeunons avec lui. Et nous sommes pris de fous rires en relisant son « top de la semaine » : il note les pires absurdités lues dans un manuscrit. Phrases de dix lignes sans la moindre ponctuation, conjugaisons fantaisistes (« il morda dans la pomme »), il en voit passer des vertes et des pas mûres.

En parallèle, Éditetonlivre propose un service d’impression, géré par Monsieur P. Monsieur qui, en dehors de cela, est payé des sommes folles (la comptable a été indiscrète) pour ne pas faire grand-chose de ses journées. Monsieur P. qui prend des rdv, et est systématiquement absent et injoignable lorsque ses hôtes arrivent. Je les accueille et je me fais incendier. Je comprends leur mécontentement, mais je ne peux rien faire pour eux.

Finalement, je commence à me dire que mes 350 € par mois ne sont pas cher payés. De plus, je dois écrire mon rapport de stage : qu’est ce que je vais bien pouvoir raconter ? Que la moitié du travail est effectué par des stagiaires, l’autre par des employés désillusionnés ? Que les auteurs publiés ne savent pas écrire ? Ou encore, comme me l’a avoué la responsable communication, qu’aucune librairie n’accepte les livres d’Éditetonlivre, même en dépôt, car ils savent pertinemment que les ouvrages ne valent rien ?

Après plusieurs heures à me creuser les méninges, j’arrive à rédiger le nombre de pages demandé pour mon rapport. Je le confie à Madame E., avec qui j’avais passé mon entretien et notée comme ma tutrice sur la convention de stage. J’aimerais qu’elle lise ce rapport et m’aide à y apporter les corrections nécessaires. Elle corrige l’organigramme et lit le reste en diagonale. Le tout est expédié en dix minutes. Les dix seules minutes où elle se sera inquiétée du déroulement de mon stage.

Je quitte Éditetonlivre au bout de trois mois et demi, ravie à l’idée des deux petites semaines de vacances qui m’attendent. J’ai le moral dans les chaussettes, aucune envie de retourner en cours, et encore moins de travailler dans l’édition. C’est donc ça, l’Eldorado dont je rêvais ?

Je reprends les cours rincée. Je bâcle mon semestre et je tombe malade juste avant Noël : une bronchite dont je n’arrive pas à me défaire malgré des traitements carabinés. La bronchite m’empêche de dormir, j’ai des cernes de la longueur de la route 66 et plus aucune envie de venir à l’I.U.T.

Finalement, j’apprends que je suis asthmatique après trois longues semaines de traitements inefficaces. J’ai des problèmes familiaux, des problèmes de santé, et surtout plus aucune motivation. À six mois du diplôme, j’abandonne mon D.U.T. métiers du livre. Soulagée d’en avoir fini.

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La Brigade des loups de Lilian Peschet

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brigade01Salut à tous !
Pour cette première chronique sur [Espace Comprises], j’ai décidé de vous parler de mon dernier coup de cœur en date :

La Brigade des loups
Lilian Peschet
Editions Voy’[el]
Collection e-courts

Premier épisode gratuit à télécharger.

2020. L’épidémie de lycanthropie sévit en Europe depuis près de trente ans. La Roumanie est l’un des pays les plus en pointe concernant la recherche sur ce rétrovirus, mais aussi l’un des rares où les lupins ont le droit de vivre dans la société.
Sous certaines restrictions.
Pour s’occuper des crimes lupins, des unités de polices spéciales exclusivement composées de malades ont été créées.
On les appelle les Brigades des loups.

Si vous ne trouvez pas votre bonheur entre le style expert de l’auteur, le rythme sur lequel s’enchaînent les chapitres, l’attachement immédiat aux personnages, l’uchronie et la profondeur politique de cette science-fiction hautement engagée, alors je ne sais pas ce qui vous convaincra !

Le style : des phrases brèves, courtes, qui loin de hacher le rythme sont la clé de voûte de sa construction et participent avec efficacité à l’esthétique très « polar » de ce premier épisode. Un train qui file droit vers le mot fin et vous emmène avec lui sans arrêt page après page !

Le rythme et les chapitres : non seulement tout s’enchaîne très vite, mais tout est aussi très fluide et naturel. On est toujours surpris de chapitre en chapitre, mais rien ne va trop vite pour la compréhension. Impeccable.

Les personnages : il faut savoir qu’ici, ce n’est pas narré comme une série littéraire habituelle… les chapitres donnent la parole à chaque personnage de la brigade des loups, une vraie bonne surprise dans ce choix de narration qui permet de plonger dans les pensées et les passés de chacun, ce qui donne d’ores et déjà une excellente profondeur aux personnages ! Tous cabossés par la vie, et pas qu’un peu, ils sauront sûrement faire vibrer la corde de vos émotions.

Pour couronner le tout, dans cette fin de XXe siècle alternative, on appréciera les multiples références à notre Histoire réelle : l’affaire du sang contaminé (ici par des bactéries lupines qui provoquent une épidémie de lycanthropie), par exemple. La chronologie commentée et romancée présente en début de série vous montrera à quel point l’auteur a bien pensé et bien intégré ses lycans à notre Europe de fin de siècle. Pour un vingt-et-unième siècle qui leur appartient ? Mystère.
D’ailleurs, parlons-en, de la lycanthropie dans cette série : foin des habituelles théories, ici, la lycanthropie est une MST. Voilà… je ne vous en dis pas plus mais disons que ça vous montre à quel point c’est différent de ce que l’on peut lire d’ordinaire sur le sujet. 😉

Si vous m’avez lue jusqu’ici, c’est que votre intérêt est titillé, alors voici le résumé de chaque épisode paru (il n’y en a que deux pour l’instant) :

Épisode 1 : Un professeur massacré. Une mère de famille et son enfant dévorés vivants. De jeunes lupins sauvages en liberté. Pourquoi ces crimes ? D’où viennent ces enfants, et quel est leur but ? Les réponses pourraient bien bouleverser l’avenir de la brigade de Bucarest.

Épisode 2 : Un attentat dans un centre commercial de Bucarest. Des revendications d’un groupe indépendantiste moldave. Une autre bombe qui doit exploser. Mais l’ennemi se trouve-t-il vraiment à l’extérieur de Bucarest ? La Brigade risque beaucoup à enquêter sur une affaire où elle n’est pas désirée…

brigade-des-loups_couverture-2-209x300J’ai adoré les deux épisodes parus à ce jour. Je ne sais pas ce que « vaudra » la suite (avec de gros guillemets car je déteste le principe de « valeur littéraire »), mais ce qui est sûr, c’est que l’auteur s’est déjà fait remarquer pour d’autres récits de grande qualité… alors gageons que ce sera du bon aussi !

J’ai hâte de lire la suite, et de savoir de quoi sera fait l’avenir de la Brigade des loups… car même si chaque épisode semble contenir une sous-intrigue indépendante, on devine que quelque chose d’autre se prépare, quelque chose de plus grand, à l’échelle de la série toute entière.

Petit jeu pour la fin : avez-vous remarqué la différence entre la couverture des deux épisodes ? Ouvrez l’œil, et le bon, mes louveteaux !

Rendez-vous le mois prochain pour une autre chronique, papier ou numérique, je sais pas, mais 100% francophone, ça c’est sûr ! ^^

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Le compte d’auteur vu de l’intérieur

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Été 2009. Je vais fêter mes dix-neuf ans, j’ai terminé ma première année de D.U.T. métiers du livre. Je dois faire un stage de quatre semaines, mais vu la galère pour trouver, je précise dans mes lettres de motivations que je suis disponible pour quatre mois : la durée prévue pour le stage et les vacances d’été. Finalement, je décroche le gros lot ! J’en suis fière, de ce stage. J’ai passé des mois à envoyer des CV, à démarcher les éditeurs, presque à faire du porte-à-porte et à les harceler au téléphone pour en trouver un qui veuille bien de moi.

Comme tout étudiant en métiers du livre qui se respecte, j’ai été au Salon du Livre de Paris, armée de candidatures personnalisées et de toute ma ténacité. Lorsque j’aborde l’immense stand de Éditetonlivre, par ailleurs très coloré, on me fournit un mail où m’adresser. Le soir même, je contacte la personne qu’on m’a indiquée. En quelques jours, j’ai une réponse : on me propose un entretien. Youpi ! La rencontre a lieu une semaine après, j’ai manqué les cours (avec l’aimable autorisation de l’administration, tout de même) pour pouvoir venir. On me reçoit avec une demi-heure de retard, mais je ne songe pas un instant à protester : après tout, je passe un entretien d’embauche et il est hors de question que je fasse la difficile. Il faut dire que c’est la responsable du service éditorial que je rencontre, elle est sans doute très occupée.

L’entretien se passe plutôt bien à mon goût, la dame est très compréhensive. Elle me demande ce que j’ai déjà étudié en cours, je lui explique que la première année du D.U.T., malheureusement, se concentre sur les métiers des bibliothèques et des librairies plutôt que sur les métiers de l’édition, mais que j’ai quand même eu des cours sur le sujet, que j’apprends vite, que je suis débrouillarde et prête à rester longtemps. La dame sourit, me dit c’est d’accord, nous fixons les dates ensemble. Je commencerai mon stage une semaine après la fin de mes cours et se terminera deux semaines avant la reprise. Je trouve ça très gentil qu’elle pense à me laisser un peu de temps de repos. Je ne me doute pas à quel point je vais en avoir besoin. Comme de juste, l’appellation « éditeur à compte partagé » ne m’a pas fait tiquer un seul instant.

L’année scolaire se termine, je profite de ma semaine de vacances, mais je suis en même temps très excitée à la perspective de ces quatre mois de stage dans ce milieu qui me fascine tant : l’édition française. En plus, je serai payée : 350 € par mois, la belle vie ! Le matin du premier jour, je me lève tôt, choisis mes vêtements avec soin, prends le train puis le métro.

Lorsque j’arrive sur place, première surprise : personne n’est au courant de mon arrivée. Pourtant, j’ai avec moi la convention de stage signée par les deux parties, mais l’hôtesse d’accueil n’en a pas entendu parler et est très gênée. La personne qui m’a reçue lors de mon entretien n’est pas encore arrivée. Il est 9 heures, on me demande de patienter, elle ne devrait pas tarder. J’attendrai jusqu’à 10 h 30, de plus en plus anxieuse. Lorsqu’enfin ma tutrice de stage arrive, elle rigole, « oh mince, j’avais oublié », s’excuse vaguement et me confie à l’un des membres du comité de lecture qui n’est pas content du tout de me voir débarquer dans son « service » sans avoir été consulté au préalable. J’étais censée faire mon stage au service éditorial mais qu’importe : j’aurai l’occasion de découvrir toutes les facettes du métier !

On me fait visiter les locaux et je découvre mon lieu de travail : un petit bureau dans une pièce minuscule et poussiéreuse où nous nous entassons à trois, sous les toits. Le souffle de la climatisation tombe juste sur moi, ce qui m’aide à me rafraîchir car je suis placée sous une verrière. En plein été, la chaleur devient vite insupportable. À l’époque, je ne sais pas encore que je suis asthmatique, et cela va me jouer des tours.

On m’explique ce qu’on attend de moi : « lire » les manuscrits, dans l’ordre de leur arrivée, et remplir une fiche de lecture préexistante et finalement assez basique : une remarque sur le fond, une sur la forme, une évaluation du niveau de correction nécessaire, un texte prévisionnel de quatrième de couverture (oui, d’office, pour tous les ouvrages) et une note allant de 0 à 10/10. Le « 0 » n’était attribuable qu’aux textes « non publiables » pour des raisons juridiques : diffamation, sujet politique sensible, personnalités en vue, etc. Bref, tout ce qui pourrait mettre l’éditeur en danger. Les manuscrits qui obtiennent 10/10 sont appelés les « gratuits » : leurs auteurs ne paieront pas pour leur publication.

Car oui, Éditetonlivre se définit comme « éditeur à compte partagé ». Ce qui signifie que l’auteur paie pour être édité, mais moins cher que chez d’autres éditeurs à compte d’auteur : le reste des frais est couvert par l’éditeur. Seuls les manuscrits notés 10/10 – censés avoir un bon potentiel commercial – seront édités sans que l’auteur débourse un centime. Je ne me demande pas un seul instant si cette pratique est normale.

De toute manière, on me fait bien comprendre qu’on ne note que très rarement un manuscrit 10/10, et que ça ne m’arrivera jamais. Je suis débutante, et en plus, le chef du comité de lecture n’a pas personnellement approuvé ma candidature comme il en a l’habitude pour les lecteurs stagiaires. Je suis le mouton noir du troupeau et j’ai intérêt à filer droit.

Je dois lire, dans un premier temps « un à deux manuscrits par jour ». En premier lieu seulement, car à terme, je devrai être capable d’en lire et d’en évaluer trois à cinq en une journée, « selon la longueur des textes ». Ça promet. Une fois de plus, je ne me pose pas de question : ce sont des professionnels, ils savent ce qu’ils font et j’essaie de m’y tenir. Très vite, je deviens une pro de la lecture en diagonale ultra-rapide, de l’évaluation de manuscrit avec seulement le début, la fin et quelques pages au milieu. Les premiers temps, je m’applique néanmoins pour les fiches de lecture, notamment pour le texte de quatrième de couverture. J’écris moi aussi et je suis une grande lectrice. Même si ma première année de D.U.T. ne me l’a pas enseigné, je sais à quel point la quatrième est importante pour les ventes et pour susciter l’intérêt du lecteur. Mais mon travail n’est jamais assez bon pour le lecteur en chef, qui me reprend systématiquement.

De plus, la majorité des manuscrits ont déjà été refusés dans des dizaines de maisons d’édition auparavant, et pour de bonnes raisons : ils nécessiteraient d’être retravaillés en profondeur pour être corrects, et même comme cela, ils ne seraient toujours pas exceptionnels. Malgré tout, je m’accroche et je fais mon travail.

Vite lassée des remarques de mon superviseur au comité de lecture, je finis par écrire des textes de quatrième tous basés sur les mêmes modèles, avec un seul style. Fini, d’essayer de coller au style de l’auteur, terminés, les efforts pour retranscrire l’ambiance, le milieu, l’univers. Je les écris à la truelle avec l’impression de reprendre sans fin les mêmes mots. Mais les remarques de mon superviseur s’arrêtent, alors je me dis que je fais bien, et je continue.

Suite au prochain épisode !

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Écrire des séries numériques

Connaissez-vous les séries littéraires ?
Pour les non-initiés, il s’agit d’œuvres proposées dans un format « par épisodes ». Héritières des romans-feuilletons d’autrefois publiés dans les journaux et qui ont fait entre autres les beaux jours d’Alexandre Dumas, elles profitent aujourd’hui de l’essor du numérique pour trouver une nouvelle place.

Première constatation : il n’existe pas un format fixé.
Certains, comme Numeriklivres, La Bourdonnaye ou Booxmaker, indiquent des durées de lecture approximatives par épisode (45 min pour la collection éponyme de NumerikLivres, 20 min pour La Bourdonnaye, 35 à 45 min pour Booxmarker). D’autres, comme Walrus ou Le petit caveau, n’indiquent rien de particulier (d’expérience, les épisodes du premier sont assez longs, ceux du second très courts, sans que ceci ne soit répercuté sur le prix).
Cette constatation faite, voyons comment cela se passe côté auteur. Là, je vous parle de mon expérience personnelle, je n’ai pas testé tous les éditeurs. Et nous trouvons plusieurs cas de figure, donc il va falloir détailler.

Pour NumerikLivres, les choses sont carrées côté format : c’est 15 000 mots, plus ou moins (sauf en jeunesse). À l’auteur d’adapter le scénario pour que cela rentre dans le cadre. La première saison de Passeurs d’ombre constitue un cas un peu particulier, puisque j’avais d’abord présenté l’un des épisodes (le quatrième) comme une histoire isolée. Du coup, pour décliner l’univers en série, il a fallu tailler dans le gras de l’épisode qui était un peu trop long, puis trouver le moyen de raccrocher les wagons avec les autres. J’ai fait le choix de m’intéresser à un couple particulier dans chaque épisode, sans que les épisodes ne soient reliés chronologiquement entre eux. Par conséquent, chaque épisode forme une histoire complète, située dans le même univers.
Pour cette saison, j’ai construit les épisodes les uns après les autres, en partant du quatrième pour remonter le temps à partir du premier, puis le descendre vers le septième. J’ai donc élaboré, comme d’habitude, un synopsis assez large pour me donner de la marge en cas de problème – épisode trop court ou trop long pour rentrer dans le format, notamment. La rédaction s’est faite, elle, en partant du premier épisode, ce qui a permis d’ajuster les détails de cohérence au fur et à mesure.

Même structure pour la série Les Enkoutan chez HQN. Cette fois j’avais anticipé en présentant au concours ce que je considérai comme l’épisode 1, sachant une fois encore que chaque épisode constitue une courte histoire complète, cette fois sans contrainte au niveau format (la piraterie, c’est la liberté !). La série n’étant pas figée à l’avance en nombre d’épisodes et dérivés, j’ai eu beaucoup plus de jeu pour élaborer les histoires. Même système : synopsis lâche pour chaque épisode, puis on raccroche les wagons en cours d’écriture. S’agissant de romance historique, j’ai quand même eu besoin d’un bon tableau à côté pour retenir les dates des différents événements qui se déroulent dans la série, en parallèle avec les vrais événements historiques, les âges et relations entre les personnages, les lieux et navires utilisés, etc. Comme pour la saison 1 de Passeurs d’ombre, les épisodes peuvent se lire de façon indépendante les uns des autres.

Retour à Passeurs d’ombre pour la saison 2, qui est fondée sur un autre parti pris : cette fois, les personnages sont conservés de bout en bout, chaque épisode étant raconté du point de vue d’un personnage différent. C’est ce que j’appelle la structure « série télévisée », chaque épisode est une histoire à l’intérieur d’un arc plus large qui constitue la saison. Il faut donc faire attention à l’articulation directe des épisodes entre eux (avec changement de point de vue, je dois aimer la difficulté…).
Exactement la même structure que pour Enfants du feu chez Nergäl, avec pour cette dernière des épisodes un peu plus longs, 17 000 mots environ. Ces deux séries ont été conçues directement comme telles, donc contrairement à celles dont il est question plus haut, il faut lire l’intégralité de la saison pour connaître le destin des personnages.
Même structure « épisodes télé » pour Corps et Âmes, à paraître aux éditions HQN, avec cette différence que cette fois, le point de vue reste le même d’un épisode à l’autre, chaque épisode correspondant à une étape dans le développement du héros.

Deux cas de figure jusqu’ici : les séries qui peuvent être considérées comme des histoires indépendantes, et celles qui constituent une série télé, avec des histoires à l’intérieur de la grande histoire. Mais nous n’avons pas encore épuisé toutes les possibilités !

Chronique d’un amour fou, aux éditions Láska, n’a pas été pensé directement comme une série. En revanche, le récit sous forme de journal intime se prête particulièrement bien à la forme roman-feuilleton. Pas d’histoire à l’intérieur de l’histoire, cette fois les péripéties se suivent et s’enchaînent sans que l’épisode ne constitue un arc en lui-même. Chacun apporte un rebondissement, non une réponse. Conséquence sur le format : les épisodes sont beaucoup plus courts (c’est par exemple le choix pratiqué par le Petit Caveau, tant au niveau taille des épisodes qu’enchaînement de ces épisodes – quoi que dans un genre très différent).

Enfin, j’écris actuellement la suite d’une de mes nouvelles parues aux éditions Láska, Les Yeux de tempête. La nouvelle se tient en elle-même à la base (c’est l’histoire d’une rencontre), mais j’ai eu envie de retrouver mes personnages, savoir ce qu’ils devenaient après. Là, je dirais que nous avons une structure à la Sherlock Holmes : on retrouve les même héros d’un épisode à l’autre, sans que les épisodes ne se suivent immédiatement, chaque épisode formant une aventure complète.

Et cette fois, je crois que nous avons fait le tour ! Les séries que je suis, en tant que lectrice, sont bâties plutôt sur le modèle de Chronique d’un amour fou : avec des épisodes qui s’enchaînent directement pour former une histoire complète. Mais le genre reste encore un gigantesque laboratoire, sans règles encore bien établies. Autrement dit, le terrain de jeu idéal pour les auteurs qui aiment tester de nouvelles façons d’écrire.

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La sélection d’été de Silène

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Voici ce que Silène, enseignante de lettre, écrivain pour petits (La Saveur des Figues et Le Bateau vagabond aux Éditions du Jasmin, 2010 et 2011 respectivement) et grands (Les Moelleuses au chocolat, Édition du Jasmin, 2012), créatrice de Callioprofs, site spécialisé en littérature jeunesse.

bjornBjorn le Morphir de Thomas Lavachery, éditions L’école des loisirs
Un pur bonheur ! Drôle et attachant, d’un style original et très enlevé, ce premier tome nous enchante par sa fraîcheur. Les vikings revus et corrigés avec un humour fabuleux. Le personnage de Bjorn, narrateur gringalet qui se révèle combattant hors-pair est unique : pourtant il n’était pas facile de faire quelque chose d’aussi original avec un personnage si éculé, le minus devenu héros. Les créatures qu’il rencontre dans ce long combat mené contre la neige maléfique sont toutes aussi originales, la fantasy revisitée, mâtinée de mythologie viking, que du plaisir ! À faire lire sans retenue à tout lecteur, amateur du genre évidemment mais aussi les autres pour leur montrer un récit de fantasy original, loin du classique médiéval fantastique. La bonne nouvelle ? il y en a toute une série ensuite !

La neige est méchante en cet hiver 1065, elle a décidé de s’en prendre aux hommes. Elle envoie ses légions de flocons de la taille d’un roc sur le Fizzland, avec pour mission d’engloutir les villages vikings et tous leurs habitants. Afin d’échapper à la Démone blanche, Bjorn et sa famille se claquemurent dans la salle commune de la maison de son père, Erik, le colosse sans peur. Tous se préparent à supporter un siège qui risque de durer de longs mois. Lors de cette épreuve exceptionnelle, chacun va dévoiler son coeur et son courage. À l’exception de Bjorn. Lui ne se révèle pas, il se métamorphose. Ce jeune garçon timide et craintif, dont le nez coule comme une source, maigre comme un oisillon et pas très doué pour les armes va brusquement se transformer en un combattant redoutable. Par quel miracle ? Bjorn serait-il un morphir ? Lui-même en doute.

disparaîtreDisparaître d’Etienne Ruhaud, éditions Unicité
Roman terrible et dur comme les temps actuels, qui se dévore comme un page-turner malgré ses thèmes difficiles, Disparaître raconte la perte progressive, la disparition par effacement de Renaud, un jeune homme comme un autre. En quelques semaines, Renaud perd son job à la Poste, et de fait son logement, il se retrouve à errer dans la rue. Il a des parents quelque part, il fait quelques rencontres, mais il n’a pas de bol dans cette société grise et indifférente. Banlieue parisienne, lieux oubliés sont décrits avec une grande justesse. On s’attache à Renaud, on entre avec lui dans la spirale et on ne sait pas bien pourquoi ça va si vite, comment on en arrive là. Mais on ne le lâche pas. On ne sort pas indemne de ce roman écrit avec talent mais on a aussi l’impression de ne pas être seul à garder les yeux ouverts sur notre société dérivante. Un roman sérieux parce que l’été on a aussi le temps de réfléchir et que c’est plus facile d’affronter certaines images sous le soleil qu’au cœur de l’hiver.

Étienne Ruhaud donne à cette odyssée négative un décor à sa mesure : la banlieue parisienne, de Nanterre à Alfortville, puis à Thiais, et à des moments où la météo n’est guère riante. Mais cela, jamais de façon abstraite ou vague. Ses descriptions sont précises, captant des détails riches de sens et supposant un minutieux travail de repérage. De temps en temps, par des mots en italique, il nous donne des échantillons de l’air du temps. Disparaître est un roman de toujours et, en même temps, de l’immédiat aujourd’hui. Si l’on veut, c’est le roman de la crise.
Cela devrait nous rebuter. Au contraire. Le miracle est là : l’auteur nous intéresse, nous passionne même, par cette histoire et son décor sinistre. C’est le paradoxe que relevait déjà Aristote au début de sa Poétique : « Nous prenons plaisir à contempler les reproductions très fidèles de choses dont la vue nous est pénible dans la réalité (1448 b 4). » Ce paradoxe a un nom, le plus beau des noms : littérature.

maeligL’Après-dieux de Maëlig Duval, éditions Griffe d’encre
Un excellent roman, court et dense, à l’imaginaire fertile. On plonge d’emblée dans le texte grâce à un très bon jeu de points de vue (bravo pour la maquette, avec les plumes, la clarté des passages d’un personnage à l’autre) et surtout grâce à l’étonnement que provoque cette société nouvelle, ravagée. Le héros est particulièrement bien caractérisé, entre la rigidité due à sa fonction et la capacité qu’il a gardée d’écouter et d’observer, quelque surprise il ait en découvrant Eva et son fils. Le suspens est fort et la surprise de ce que sont ces gens, des raisons qui les ont amenés à rester dans ce village en ruine, est particulièrement bien amenée. J’ai été prise au piège ainsi, n’arrivant plus à lâcher l’ouvrage. La poésie qui se dégage de ce texte onirique, quoiqu’on nage le plus souvent en plein cauchemar, est un de ses atouts ainsi que la facilité avec laquelle on imagine ce monde étrange et surtout la présence des dieux. Ils font bien envie et j’ai été bouleversée par la fin tragique. Cette chute m’a semblé un peu moins réussie, sûrement parce qu’elle est très rapide et que je n’ai pas eu l’impression d’en profiter suffisamment, peut-être aussi parce que le cauchemar devient bien plus tangible avec les détails très réalistes des dernières pages, le pus, l’état des plumes. La démystification m’a attristée bien sûr, mais elle était nécessaire et logique. Je suis sortie tourneboulée de cette lecture et elle m’habite encore tant l’auteur a du talent pour planter le décor, l’histoire, les personnages. Une plume déjà parfaitement maîtrisée. Le tout servi par une belle couverture, un ouvrage de belle facture et une présentation originale. Un excellent roman, décidément.

Albert Vaclau est fonctionnaire au bureau de la Reconstruction.
Il évalue de 1 à 5 les dégâts de la guerre civile dans les villages à reconstruire.
Il classe les organisations non gouvernementales de 1 à 9, selon leur niveau de sédition.
Mais quand il rencontre Eva et son fils, il doit se rendre à l’évidence : aucune échelle de valeurs ne peut s’appliquer à eux.

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