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Sébastien Degorce, l’interview (2/2)

[FC] : Tu as sorti un autre roman, Treize mois : chroniques d’un larbin en milieu étoilé, quasiment au même moment que Les Portes noires. Peux-tu également nous le présenter ?

Sébastien Degorce : Treize mois est roman totalement différent des Portes noires. Il prend place dans notre monde. Il se déroule dans ma ville natale, au beau milieu du Berry, dans les années quatre-vingt-dix. C’est un ouvrage très cynique, dans lequel je dévoile le quotidien d’un gamin qui passe, du jour au lendemain, de l’école de Jules Ferry, où tout nous est prémâché, au milieu élitiste, voire esclavagiste, de la cuisine étoilée. C’est un roman sur les fractures entre le milieu ouvrier et la fausse bourgeoisie de province, les hypocrisies et le jeu de soumissions qu’il entraîne. J’aborde différentes questions : la drogue, la masturbation, le rapport aux autres, le passage à l’âge adulte, le monde du travail, de l’école. Il est certain que cela ferait plus un film à la Dupontel qu’un téléfilm ultraconsensuel susceptible de passer sur une chaîne de France Télévisions.

Couverture de "Treize Mois" chez les Éditeurs Tranquilles

Couverture de « Treize Mois » chez les Éditeurs Tranquilles

[FC] : Comment s’est déroulée la recherche d’un éditeur pour ce projet ?

Sébastien Degorce : De la manière la plus conventionnelle qui soit ! J’ai fait imprimer une trentaine de copies et j’ai envoyé le tout à différents éditeurs plus ou moins « alternatifs ». Les Éditeurs Tranquilles ont répondu présent, et avec beaucoup d’enthousiasme ! Ce qui est plutôt rafraîchissant quand on lit les réponses des pisse-froid de certaines maisons…

[FC] : L’éditeur t’a-t-il demandé beaucoup de changements sur ce manuscrit ?

Sébastien Degorce : L’éditeur trouvait que j’y allais un peu trop à fond avec l’argot, que cela rendait parfois le discours un peu cryptique ; alors j’ai lissé certains personnages, la coloration du personnage principal, qui est aussi le narrateur, ayant débordé (voire déteint psychologiquement) sur des personnages secondaires… il fallait effectivement équilibrer certains détails, mais rien de trop fâcheux. Nous nous sommes aussi entendus pour modifier la fin. De toute manière, entre le moment de mes envois de manuscrits et la correction des épreuves remises par l’éditeur, des idées avaient mûri.

[FC] : Tu as participé au recueil Réalité 5.0 aux Éditions Goater. Peux-tu nous parler de cette anthologie et de ton texte ?

Sébastien Degorce : Cette anthologie comprend mon tout premier texte publié. Et j’ai l’honneur de partager le sommaire avec Aliette de Bodard. Je n’ai pas une affection démesurée pour ma nouvelle, intitulée Plastique, qui ne renouvelle pas le genre de la SF, qui m’est plutôt étranger. On va dire que l’intérêt d’être publié était une coquetterie mondaine… mais je remercie encore une fois Antoine Mottier (le directeur d’ouvrage, un ami) de m’avoir tendu la main et de m’avoir permis de signer quelques exemplaires aux Utopiales de Nantes.

[FC] : Procèdes-tu de la même façon pour écrire une nouvelle et un roman ?

Sébastien Degorce : Pas du tout. Une nouvelle me vient et je l’écris tout de suite. C’est très spontané, et je réécris peu. Un roman, c’est un tout autre processus. Comme je l’écrivais à une amie il y a quelques jours, durant le travail d’écriture, je prends constamment des notes, quitte à devoir tout retravailler et organiser ensuite ; je laisse une partie de mon esprit bosser sur le sujet sans mettre vraiment la main à la pâte. C’est une opération de sédimentation (ou de fermentation) qui prend du temps, mais qui est toujours payante. J’ai appris à la respecter. Je fais le plan, mais je ne compose pas tout de suite, je priorise, en gardant à l’esprit d’où part le livre et où il doit arriver. De là, les choses mûrissent, et je cherche à distiller au mieux l’ouvrage (ce qui doit être dit, comment, par qui et sous quelles instances). Laisser ce travail de sédimentation s’opérer est payant, même si cela ressemble parfois à de la procrastination, et cela évite de devoir tout déconstruire pour rendre les choses agréables à un lecteur qui ne vous connaît pas. Donc je prends des notes avant que les choses s’envolent pour jamais. La composition vient toujours après. Cela m’évite de « remplir » avec des fadaises qui nous apparaissent une fois le livre imprimé. Le reste, c’est de la mise en scène, des choix de langage, des nuances, et du plaisir !

Couverture de "Réalité 5.0" chez les Éditions Goater

Couverture de « Réalité 5.0 » chez les Éditions Goater

[FC] : Tu écris dans des genres différents. Cela signifie-t-il que tu n’as pas envie d’être cantonné à un genre ?

Sébastien Degorce : En effet, je n’ai pas envie de me limiter à un genre. Les genres m’emmerdent. Ce sont des trucs de marketeurs occupés à faire du fric. Moi, je m’occupe à raconter ma vie, en la travestissant dans des histoires, pour lancer des messages précis. Peu importe le médium, c’est le fond qui a une valeur en soi.

[FC] : Tes lectures influencent-elles ton écriture ?

Sébastien Degorce : Oui, énormément. Surtout les ouvrages de sciences humaines dont je m’occupe, et qui m’apprennent beaucoup sur moi-même et le monde dans lequel on vit.

[FC] : Ton travail d’éditeur et de correcteur influence-t-il ton écriture ?

Sébastien Degorce : Comme je viens de le dire, c’est une source d’inspiration et de motivation. De plus, j’ai la chance de travailler avec des gens impliqués et reconnaissants.

[FC] : Peux-tu parler un peu de tes projets en matière d’écriture ?

Sébastien Degorce : Pour le moment, mon travail d’éditeur me prend tout mon temps. Je n’éprouve plus le besoin d’écrire. Et puis, je suis persuadé que pour écrire, il faut d’abord vivre des choses. Un écrivain qui n’a rien à dire, il passe un contrat et écrit des trilogies pour des grosses boîtes qui lui versent un salaire en veillant à ce qu’il respecte un canon la plupart du temps calqué sur la doxa scénaristique – voire cinématographique – du moment. J’utilise mon temps libre pour jouer de la musique et prendre soin de mes proches. Et cela laisse le temps à mes écrits déjà publiés de faire leur chemin. De plus, je suis publié par des éditeurs indépendants, et mes ouvrages, au sein de leur catalogue, n’ont pas une durée de vie limitée à trois mois…

[FC] : Que conseillerais-tu aux jeunes écrivains qui ont mis le point final à leur manuscrit et souhaiteraient le voir édité ?

Sébastien Degorce : Eh bien, je n’aime pas trop faire le donneur de leçons… je me contenterais de dire : relisez-vous, décortiquez ce que vous lisez des autres, ce que vous voyez autour de vous, méfiez-vous de ce qui caresse et endort l’esprit, allez au plus profond des choses que vous voulez exprimer, et prenez le temps de travailler pour leur donner une forme simple et digeste, quitte à y revenir, encore et encore. Faites les choses avec amour, justesse et sincérité. Osez en restant fidèles à vous-même. Et enfin, ne cherchez pas à draguer des éditeurs sans vous intéresser d’abord à ce qu’ils font. J’arrête là. Je pense que cela fait déjà beaucoup, pour qui « ne veut pas donner de leçons »…

[FC] : Un grand merci pour toutes tes réponses. Si tu as envie d’ajouter quelque chose, je te laisse le mot de la fin…

Sébastien Degorce : Merci beaucoup de m’avoir donné la parole. C’est ce qui fait vivre mes livres à présent que j’ai quitté la France. J’invite évidemment mes lecteurs à prendre contact avec moi. À bientôt !

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