Connaissez-vous les séries littéraires ?
Pour les non-initiés, il s’agit d’œuvres proposées dans un format « par épisodes ». Héritières des romans-feuilletons d’autrefois publiés dans les journaux et qui ont fait entre autres les beaux jours d’Alexandre Dumas, elles profitent aujourd’hui de l’essor du numérique pour trouver une nouvelle place.
Première constatation : il n’existe pas un format fixé.
Certains, comme Numeriklivres, La Bourdonnaye ou Booxmaker, indiquent des durées de lecture approximatives par épisode (45 min pour la collection éponyme de NumerikLivres, 20 min pour La Bourdonnaye, 35 à 45 min pour Booxmarker). D’autres, comme Walrus ou Le petit caveau, n’indiquent rien de particulier (d’expérience, les épisodes du premier sont assez longs, ceux du second très courts, sans que ceci ne soit répercuté sur le prix).
Cette constatation faite, voyons comment cela se passe côté auteur. Là, je vous parle de mon expérience personnelle, je n’ai pas testé tous les éditeurs. Et nous trouvons plusieurs cas de figure, donc il va falloir détailler.
Pour NumerikLivres, les choses sont carrées côté format : c’est 15 000 mots, plus ou moins (sauf en jeunesse). À l’auteur d’adapter le scénario pour que cela rentre dans le cadre. La première saison de Passeurs d’ombre constitue un cas un peu particulier, puisque j’avais d’abord présenté l’un des épisodes (le quatrième) comme une histoire isolée. Du coup, pour décliner l’univers en série, il a fallu tailler dans le gras de l’épisode qui était un peu trop long, puis trouver le moyen de raccrocher les wagons avec les autres. J’ai fait le choix de m’intéresser à un couple particulier dans chaque épisode, sans que les épisodes ne soient reliés chronologiquement entre eux. Par conséquent, chaque épisode forme une histoire complète, située dans le même univers.
Pour cette saison, j’ai construit les épisodes les uns après les autres, en partant du quatrième pour remonter le temps à partir du premier, puis le descendre vers le septième. J’ai donc élaboré, comme d’habitude, un synopsis assez large pour me donner de la marge en cas de problème – épisode trop court ou trop long pour rentrer dans le format, notamment. La rédaction s’est faite, elle, en partant du premier épisode, ce qui a permis d’ajuster les détails de cohérence au fur et à mesure.
Même structure pour la série Les Enkoutan chez HQN. Cette fois j’avais anticipé en présentant au concours ce que je considérai comme l’épisode 1, sachant une fois encore que chaque épisode constitue une courte histoire complète, cette fois sans contrainte au niveau format (la piraterie, c’est la liberté !). La série n’étant pas figée à l’avance en nombre d’épisodes et dérivés, j’ai eu beaucoup plus de jeu pour élaborer les histoires. Même système : synopsis lâche pour chaque épisode, puis on raccroche les wagons en cours d’écriture. S’agissant de romance historique, j’ai quand même eu besoin d’un bon tableau à côté pour retenir les dates des différents événements qui se déroulent dans la série, en parallèle avec les vrais événements historiques, les âges et relations entre les personnages, les lieux et navires utilisés, etc. Comme pour la saison 1 de Passeurs d’ombre, les épisodes peuvent se lire de façon indépendante les uns des autres.
Retour à Passeurs d’ombre pour la saison 2, qui est fondée sur un autre parti pris : cette fois, les personnages sont conservés de bout en bout, chaque épisode étant raconté du point de vue d’un personnage différent. C’est ce que j’appelle la structure « série télévisée », chaque épisode est une histoire à l’intérieur d’un arc plus large qui constitue la saison. Il faut donc faire attention à l’articulation directe des épisodes entre eux (avec changement de point de vue, je dois aimer la difficulté…).
Exactement la même structure que pour Enfants du feu chez Nergäl, avec pour cette dernière des épisodes un peu plus longs, 17 000 mots environ. Ces deux séries ont été conçues directement comme telles, donc contrairement à celles dont il est question plus haut, il faut lire l’intégralité de la saison pour connaître le destin des personnages.
Même structure « épisodes télé » pour Corps et Âmes, à paraître aux éditions HQN, avec cette différence que cette fois, le point de vue reste le même d’un épisode à l’autre, chaque épisode correspondant à une étape dans le développement du héros.
Deux cas de figure jusqu’ici : les séries qui peuvent être considérées comme des histoires indépendantes, et celles qui constituent une série télé, avec des histoires à l’intérieur de la grande histoire. Mais nous n’avons pas encore épuisé toutes les possibilités !
Chronique d’un amour fou, aux éditions Láska, n’a pas été pensé directement comme une série. En revanche, le récit sous forme de journal intime se prête particulièrement bien à la forme roman-feuilleton. Pas d’histoire à l’intérieur de l’histoire, cette fois les péripéties se suivent et s’enchaînent sans que l’épisode ne constitue un arc en lui-même. Chacun apporte un rebondissement, non une réponse. Conséquence sur le format : les épisodes sont beaucoup plus courts (c’est par exemple le choix pratiqué par le Petit Caveau, tant au niveau taille des épisodes qu’enchaînement de ces épisodes – quoi que dans un genre très différent).
Enfin, j’écris actuellement la suite d’une de mes nouvelles parues aux éditions Láska, Les Yeux de tempête. La nouvelle se tient en elle-même à la base (c’est l’histoire d’une rencontre), mais j’ai eu envie de retrouver mes personnages, savoir ce qu’ils devenaient après. Là, je dirais que nous avons une structure à la Sherlock Holmes : on retrouve les même héros d’un épisode à l’autre, sans que les épisodes ne se suivent immédiatement, chaque épisode formant une aventure complète.
Et cette fois, je crois que nous avons fait le tour ! Les séries que je suis, en tant que lectrice, sont bâties plutôt sur le modèle de Chronique d’un amour fou : avec des épisodes qui s’enchaînent directement pour former une histoire complète. Mais le genre reste encore un gigantesque laboratoire, sans règles encore bien établies. Autrement dit, le terrain de jeu idéal pour les auteurs qui aiment tester de nouvelles façons d’écrire.
Tant mieux qu’il y ait cette forme d’écriture pour tester justement de nouveaux formats! J’en suis de plus en plus et je dois dire que c’est super agréable. Vive la diversité!
Pour les auteurs, certes: l’expérience est très enrichissante (notamment en termes de structure narrative, puisque on peut se permettre bien des audaces). Pour le lecteur, c’est souvent une forme de publication encore à (re)découvrir. Pas besoin d’ailleurs d’aller chercher du côté des publications payantes, le terrain de jeu est occupé depuis pas mal de temps via des supports de publication divers et variés – sans qu’interviennent des contraintes éditoriales (temps de lecture, volume de texte), ce qui offre une liberté plus délicieuse encore. Je laisserai à tous le soin de chercher où trouver de bonnes webséries gratuites, ce n’est pas si difficile. (remarque qui n’est pas destinée à faire plaisir aux radins, mais parce que le nombre d’excellents auteurs qui se passent d’éditeurs et restent hors préoccupations commerciales est assez conséquent pour qu’on ne les laisse surtout pas de côté).
Souvent, les premiers épisodes sont gratuits, de quoi voir si on continue (ou pas). 🙂
Tant mieux: d’ailleurs ça devrait s’appliquer systématiquement, et aussi pour les romans (premier chapitre ou premières pages).
Ce que je veux souligner, c’est qu’il n’est pas besoin de de courir après / compter sur des éditeurs pour se lancer dans l’aventure du feuilleton. Il suffit d’avoir un certain goût du risque, et ne pas craindre que des lecteurs décrochent. D’un autre côté, en fidéliser au moins une poignée donne du courage et du cœur à l’ouvrage (parfois, c’est ce qu’il faut).
Oh, je m’interroge:
« 15 000 mots, plus ou moins » pour un épisode (ou 17 000 plus loin), y aurait pas comme une erreur ?
Les séries et les éditeurs ne sont pas les mêmes. 😉
Je viens justement de me lancer dans une série numérique (de chez Walrus) sans savoir que c’en était une. Du coup, j’ai été assez surprise de la brièveté du « tome 1 », mais grâce à cet article je pige un peu mieux le concept ^^
Au final, ce format me semble très attrayant pour (comme dit plus haut) la liberté qu’il offre. Ça donne très envie de s’essayer à cet exercice!
pour ma part, je lis beaucoup de polars. les auteurs de noir ont une nette tendance à utiliser un héros récurrent dans leurs séries, avec une intrigue personnelle qui se poursuit d’un tome à l’autre, mais où chaque roman contient une enquête propre, ce qui fait que chaque roman peut en principe être lu indépendamment. j’aime beaucoup ce format-là 😀