« Le cochon littéraire » – à prononcer avec deux chewing-gums dans la bouche en prenant votre plus fort accent texan, parce que ça fait plus classe que dire entraînement, formation, mentorat, accompagnement, développement… Le français est une langue si pauvre en vocabulaire, faut dire aussi ! – Qu’est-ce que c’est ?
Si vous pensez que le monde de l’édition est sympa, plein de petites paillettes roses et dorées avec des nounours souriants et des fées, alors cet article est pour vous.
Si vous pensez que le monde de l’édition est tenu par des rapaces sanguinaires prêts à vous bouffer la jambe dès que vous essaierez d’y poser le pied, alors cet article est aussi pour vous.
Enfin, si vous vous foutez du monde de l’édition comme de la seconde paire de bas de laine de votre arrière-grand-mère, cet article est tout de même pour vous !
Bref, je vous invite tous à suivre des aventures rocambolesques dans les paragraphes qui suivent. Il y aura du rire, des pleurs, de la surprise, des rebondissements… tout ce qu’il faut pour un bon mélodrame moderne, qui sait, on y trouvera peut-être même un peu d’amour.
Le cochon littéraire, prise 2, scène 1 – ACTION !
Tout a commencé par une sombre nuit du mois de mai dernier. J’étais hagard, l’œil torve rivé sur mon écran, fatigué par une semaine de dingue au boulot, à mille lieues de mes préoccupations d’apprentis auteur. Un vendredi, pas loin de minuit, et une tonne de courriels en retard… C’est dans cet état d’esprit que je tombe sur ce mail – il est d’origine, je n’ai rien altéré, promis – d’une pro du milieu de l’édition.
Décryptage d’une missive toute moisie
Le mieux est encore de reprendre le contenu pas à pas.
L’entête
Dénomination générique = À bannir si vous voulez appâter le chaland. Un vrai nom serait ici plus propice et personnel.
Compte email perso = laposte.net… vraiment ?? C’est super pro comme adresse… Je me sens en confiance de laisser mon manuscrit entre les mains de cette boîte. Ça va cartonner en matière de communication avec les éditeurs, j’en suis sûr.
Le champ vide = Quand on spamme (pardon : quand on envoie des courriels en masse), il est de bon ton de maîtriser l’option « fusion et publipostage » de Word et Outlook. Un simple champ « Titre » permettrait d’avoir ici un objet personnalisé avec le titre du manuscrit en question au lieu d’un blanc. (Plus de détails ici pour vous permettre à vous auteurs, de spammer les éditeurs).
L’intro
Ha la la, la boulette ! L’intro typique des arnaques des années 90 : « Vous détenez quelque chose qui pourrait nous intéresser – moyennant la somme de… (qui se trouve toujours en fin de lettre, comme c’est d’ailleurs le cas ici aussi) ». Notez au passage la démarche psychologique (éculée, pour les loups de mer, mais toujours aussi efficace chez les néophytes) qui consiste à inverser le besoin (vous n’êtes plus en position de demandeur, on vous donne le pouvoir, c’est l’autre qui a besoin de vous, du coup vous êtes plus attentif).
Le pitch
Déontologie = Au prix où ils sont payés (quand ils le sont, car il s’agit le plus souvent de stagiaires), pas étonnant qu’ils cherchent à bouffer à tous les râteliers, je ferais pareil à leur place.
Incises = Dieu sait qu’en français on a des tonnes de séparateurs :
- le trait d’union
- le tiret cadratin
- le tiret demi-cadratin
- le tiret insécable
Par contre le triple tiret n’existe pas, un cadratin en début phrase est réservé aux dialogues, il y a toujours une espace de chaque côté… Des erreurs de typographie toutes bêtes, que je passe bien volontiers habituellement, sauf quand on me vante 30 ans d’expérience dans l’édition et une correction rigoureuse de mes écrits !
Ponctuation = Toujours une espace insécable AVANT les « deux points », et en général pas de majuscule après. De toute façon, ici… il n’y avait pas besoin de ces deux points. Une virgule ou un point serait plus correct.
Données personnelles = C’est sympa, vous me confierez les siennes, de coordonnées ? Que je puisse les envoyer à la CNIL, ça va les intéresser comme pratiques « professionnelles ». D’ailleurs cette pratique a fâché plus d’un auteur et donné lieu à un article dans le Monde du 26/09/2012 suivi d’un droit de réponse dans le numéro du 07/10/2012.
Le corps, boulettes sur boulettes
Manque un mot
Ponctuation = En français il y a 1 point (fin de phrase), 2 points (verticaux) et 3 points (de suspension). Par contre, 11 points… je ne connais pas.
Ben, c’est-à-dire, vous ne venez pas déjà d’avoir un retour d’un de vos lecteurs ? Je cite : « puisque nous travaillons ensemble »…
Signature
Typographie = pas d’espace de chaque côté du séparateur dans les constructions de ce type.
Salutations = C’est joli « Fidèlement, », mais à moins que nous n’ayons été amants au XVIIIe siècle, ce n’est pas approprié.
Pas de ponctuation sur les signatures
C’EST TRÈS IMPRESSIONNANT LA CAPITALISATION, ET BRAVO POUR L’ACCENTUATION DES MAJUSCULES AU PASSAGE (QUI EST CORRECTE, JE LE DIS ET JE LE RÉPÈTE AUX FRANÇAIS FAINÉANTS). DOMMAGE QUE LA RÈGLE NE SOIT RESPECTÉE QUE DANS LA SIGNATURE ET PAS LE RESTE DU TEXTE. PAR CONTRE, LES MAJUSCULES ONT UNE CONNOTATION TRÈS INTRUSIVE DANS LES COURRIELS. SURTOUT EN GRAS…
Syndrome de la signature qui n’en finit plus
En vrac
C’est con, c’est invariable « maisons d’édition »… pour une pro du domaine, ça la fout mal…
Moi je commence à démarcher quand j’en ai ciblé entre 40 et 50… c’est une autre technique, c’est sûr, en même temps… je ne suis pas un pro.
Moi aussi j’ai des « techniques » : je relis ma lettre d’introduction avant de contacter quelqu’un de manière professionnelle, et je joins une enveloppe pour les retours. C’est miraculeux, je vous assure, essayez, j’ai un taux de retour de 99%.
Ha ! oui, et « quand ça ne marche pas », je réessaie ailleurs, aussi, comme quoi on peut arriver aux mêmes conclusions avec moins de 30 ans d’expérience dans le milieu.
Bonne idée de ne pas trop jouer la carte de l’oncle célèbre, ce dernier étant l’un des écrivains les plus réputés pour son usage intensif et systématique de nègres littéraires (Patrick Cauvin, Guy Benhamou, Claude Klotz…) pour la production de ses œuvres. [source, le monde littéraire. Source, Marianne]
Comme je vous le disais au début, la fameuse contrepartie financière en fin de missive… (Vous n’êtes plus si en position de force que ça maintenant, si ce n’est celle de sortir votre chéquier 😉 )
Tarifs sans commentaire, puisque la plupart des auteurs en herbe ne toucheront même pas ça en droits d’auteur à leur première publication…
Et bien sûr, le Nota Bene qui tue :
N. B. Au cas où vraiment vous n’êtes pas publié… je garde quand même la moitié du blé : une sympathique échappatoire à la clause de rupture de contrat 😉
Superbe maîtrise du copier/coller… ou pas… Mais toujours aussi fidèle en tout cas et c’est ça qui compte, non ?
Au-delà de la lettre : Cochon littéraire – LE SITE WEB !
Je sais, vous vous dites : « C’est pas possible, c’est trop énorme ! Ils ont laissé la pauvre gamine en contrat de qualif’ rédiger ce courriel et l’envoyer sans faire de vérification ».
J’ai pensé comme vous, évidemment. C’est pour cela que je suis aussi allé faire un tour sur le site web…
Outre un SEO (Search Engine Optimization) très discret, avec répétition intempestive de mots clés dans tous les sens – on leur dit que Google ne se base plus sur ça depuis environ 2005, ou pas ? –, on retrouve une mise en page chatoyante digne des débuts de l’Internet. Je pensais y trouver une liste complète des fameuses « grandes maisons d’édition » avec lesquelles ils travaillent, voire… une liste des œuvres éditées, mais non. Rien. Ha ! Si, tout de même une adresse email « pro », il y a peut-être un espoir.
On note tout de même 5 ans d’expérience en moins par rapport aux informations du courriel, et un « contact permanent avec plus de 1 600 éditeurs » => il y a un nom pour ça (maintenir un contact permanent avec des milliers de gens) : le spam !
Conclusion
Arnaque ou simple manque de professionnalisme ? Je vous laisse seuls juges. Moi, en tout cas, je ne ferais pas confiance au cochon littéraire, il ne m’a pas l’air très kasher…
N. B. Notez bien qu’il existe des conseillers littéraires et correcteurs professionnels. Ne les mettez pas tous dans le même sac. Ce sont de nobles métiers, difficiles, et je les salue au passage. – mais comment faites-vous pour supporter les auteurs ? Ils sont vraiment pédants des fois !
Cadeaux
C’était un article un peu long, pour vous récompenser, [Espaces Comprises] vous permet d’économiser 900 € en retrouvant des services comparables sur la toile. Le reste… c’est de l’huile de coude et de la persévérance, et pour ça… la balle est dans votre camp.
On en parle sur Internet :
-
Wrath (surtout les commentaires)
Pour des relectures détaillées
- http://co-lecteurs.bboard.it/ (tout genre)
- http://tremplinsdelimaginaire.com/cocyclics/phpBB3/ (SFFF)
- http://www.comite-de-lecture.com/ (tout genre)
Pour des conseils de pro
Pour les éditeurs : (1600 en 30 ans… ce n’est pas efficace, 1600 en 30 minutes, ha, là on parle, bienvenue au XXIe siècle !)
Bien sûr, mettez [Espaces Comprises] dans vos favoris. De nouveaux articles, conseils, profils d’éditeurs et dossiers complets à portée de clavier toute l’année.
FiDèlEMenT,
Kanata
Beau travail sur le fond, excellent sur la forme (je sens que je vais venir faire ma cure de rire régulièrement par ici).
Je note les adresses au passage, merci pour le tuyau (parce que moi, j’ai la flemme de chercher).
… (ça va ? pas trop la pression ?)…
Ouch! Qu’elle déception… Moi qui avais préparé un article sérieux, un sujet grave même ! V’la t’y pas que ça fait rire…
Je ferais plus sérieux la semaine prochaine, promis, je vais vous faire chialer comme des mômes.
(J’ai relâché la pression hier, j’ai eu droit à une fraise Tagada !)
Article très intéressant même si je connaissais déjà un peu le sujet 🙂
Par contre à noter que les articles du Monde ne sont pas accessibles pour les non-abonnés.
Malheureusement c’est vrai, certains sont disponibles pour le grand public mais la plupart des articles du Monde ont un accès restreint. Il va falloir croire Kanata sur parole, pour ceux qui ne sont pas abonnés…
Je sais, malheureusement, je ne peux guère en faire un copier-coller ici, ce ne serait pas déontologique, je ne peux que citer un extrait (qui correspond à ce qui est visible par le lien aux non-abonnées). Je n’ai pas d’actions dans Le Monde 😉
Aller… je vais voir avec la journaliste si je peux le reproduire avec son autorisation.
Excellent et très drôle! Je connaissais les tentatives désespérées de Katia Joffo pour aider les ego des aspirants écrivains…
Au-delà de la démarche (le fond), c’est la forme qui m’a le plus choqué…
Cette lettre de présentation est au monde de l’édition et de l’écriture en général, ce que seraient les cours d’auto-école d’un instructeur qui n’aurait jamais passé le permis : a minima, c’est à mettre en doute !
… incroyable. Et ça se pense « très sérieux » je pense…
D’accord, je sais maintenant où je dois ne PAS m’adresser. Merci ! 😀
(… t’as eu le droit qu’à UNE fraise ? aïe… ^^ »)
oui, une seule, mes une vraie, une grosse, pas une mini en petit sachet !
Eh bien… Un non averti tomberait facilement dans le piège! Je me souviens avoir ouvert deux ou trois mails de ce type il y a quelques années. Ça s’annonçait bien et puis, subitement, au milieu de la lettre (lorsque ce n’était pas à la fin), on mentionnait discrètement une contrepartie financière. Dans ce merveilleux monde de l’édition, c’est sûr qu’on ne se refuse rien. Merci, Kanata, pour cet article!
De rien, et la suite (car oui, il y a une suite…) est juste, hum… délicieuse !
Euh comment dire, à la fois risible et pitoyable… non pas l’article mais le courriel. Certes il m’a était donné ce genre d’occasion en or pour être publié… enfin à compte d’auteur, restons modeste. Mais au moins, la boutique avait la délicatesse entre l’énumération des différents tarifs, d’écrire en bon françois bin dché nous et pas en ptit nègre chinois élevé à l’argent facile.
J’avoue, je n’avais pas été plus loin… faute de financement, mes poches étaient toutes trouées. Et le projet est tombé à l’eau, heureusement… Après une relecture du manuscrit une année plus tard, je me suis rendu compte que c’était aussi indigeste qu’un verre d’eau saturé de sel.
Bref je ne regrette rien, sauf une chose… de ne pas eu ton article entre les yeux plus tôt.
Greg, du temps où j’étais innocente, naïve, j’ai cru que le compte d’auteur était « normal ». J’aurais dû attendre un an aussi, parce que j’ai bigrement honte de ce premier roman ! 😉
À l’époque, je ne connaissais ni blogs ni sites qui parlaient de tout ça, depuis, celui qui tombe dans toute sorte de piège ne peut plus se plaindre du manque d’information. 🙂
Ça pourrait être pire, au moins la liste des éditeurs fournis par ce service ne contient pas (à ma connaissance) d’éditeurs à compte d’auteur. Vous imaginez : raquer pour le coaching, qui vous redigerait (avec quelques rebonds) ensuite vers sa propre structure d’édition à compte d’auteurs… heureusement, ce n’est pas possible, les gens sont bien trop honnêtes.
Je déterre, mais je viens de voir que le site du « cochon » en question est parfaitement accessible par le .pdf cité au-début de l’article, malgré le gros trait noir… 😉
(il suffit de survoler pour voir le lien s’afficher)
Hum… et les avocats top notch sont passés à côté de ça ?
Maintenant que j’en suis informé, je me dois d’enlever le lien 😉