Les corrections éditoriales sont souvent un sujet tabou dans les communautés d’auteurs. On ne les cite que pour dire qu’on a reçu des consignes ou qu’on les a terminées. Résultat, lorsque l’on découvre un beau jour de quoi il retourne, bien souvent, on a un choc !
Voici donc ma propre expérience des corrections éditoriales, à mille lieues de tout ce que j’avais imaginé.
Quand j’étais petite (bon, ok, il y a deux ans), je pensais qu’on envoyait un manuscrit à un éditeur et que si celui-ci le retenait, alors il pouvait demander des corrections éditoriales à l’auteur.
Pour moi, il s’agissait de la correction des fautes, doublée d’une éventuelle bêta-lecture, comme celles que l’on peut voir sur certains fora (Co-Lecteurs ou Co-Cyclics, pour ne citer qu’eux), peut-être un peu plus approfondie. Mais pas tant que cela : l’éditeur nous a quand même choisis, que diable !
Mais ça, c’était avant.
Étape 1 : Surmonter le choc
Mes premières corrections éditoriales sont arrivées avec ma première nouvelle acceptée par un fanzine. La directrice dudit fanzine m’a renvoyé une version commentée de mon texte pour correction.
Voilà un bout du mail qu’elle m’avait envoyé à l’époque :
« Je sais que ça va te paraître impressionnant, toutes les couleurs et les remarques, quand tu vas ouvrir le fichier. Prends ton temps, fais les choses les unes après les autres, selon l’ordre ou par catégories. […]
Si tu as des questions, des remarques, j’y répondrai. Et souviens-toi : ta nouvelle a été choisie avec un rapport d’un texte sur cinq, c’est qu’elle est bonne ! Il s’agit maintenant de polir le joyau. »
Et donc moi, très confiante, j’ouvre la pièce jointe…
Heureusement qu’elle avait mis la dernière phrase parce que je suis restée en état de choc pendant cinq minutes en découvrant le sapin de Noël qu’était devenu mon texte ! (Si ma mémoire est bonne, j’ai même appelée ma maman pour me faire plaindre…)
Traque des répétitions, des adverbes, des constructions bancales, des formulations « à peu près », suggestions en tout genre, j’ai découvert que j’avais encore beaucoup de chemin à faire avant de pouvoir prétendre jouer dans la cour des grands !
Étape 2 : Prendre et apprendre
Mes textes suivants sont passés dans ma propre moulinette en suivant les conseils que j’avais reçus sur ce premier, mais à chaque fois qu’un texte était retenu par une structure un peu sérieuse, des corrections éditoriales m’attendaient au tournant (plus jamais aussi nombreuses que la première fois, soit dit en passant, j’apprenais au fur et à mesure).
Étape 3 : Comprendre les demandes implicites
J’ai gravi la marche suivante des corrections éditoriales avec un anthologiste.
Après lecture de mon texte, il m’a envoyé un mail très simple pour me dire que le texte lui plaisait bien pour son appel à textes, mais qu’en gros, il ne comprenait pas l’intérêt de l’existence du frère de l’héroïne. Je croyais d’abord qu’il voulait que je lui explique le pourquoi du comment, jusqu’à ce que je comprenne dans un magnifique éclair de lucidité qu’en réalité, il me demandait plutôt une sorte de correction éditoriale. Il voulait que je modifie le personnage du frère pour le mettre à un pied d’égalité avec mon héroïne. Peut-être était-ce une façon de savoir si j’étais capable de retravailler mon texte sur de si courtes indications, afin de me mettre au niveau des autres auteurs retenus. Peut-être avait-il juste vu de l’intérêt dans ma nouvelle mais qu’elle était un peu faible pour le niveau global. Peut-être savait-il exactement ce qu’il voulait que je fasse et qu’il me l’aurait dit si je n’avais pas trouvé moi-même. Peut-être voulait-il me faire progresser… ?
Quoi qu’il en soit, j’ai fondu sur mon ordinateur, j’ai revu le frère en question d’un bout à l’autre et j’ai renvoyé le tout.
La réponse de l’anthologiste n’a pas tardé, ça a été un oui.
Pour avoir eu l’occasion d’en reparler avec lui beaucoup plus tard, je sais désormais ce qu’il en est : lui, en tant qu’éditeur, sait mettre le doigt sur quelque chose qui ne va pas, mais sans savoir forcément comment y remédier. Il laisse donc à l’auteur l’initiative du changement, en espérant que l’étincelle jaillira. J’y reviens à la fin de l’article.
Étape 4 : Faire confiance
L’étape suivante fut l’acceptation d’un texte par un webzine.
Là, j’ai eu le retour suivant : le texte avait beaucoup plu, mais l’introduction était trop longue et la fin tombait à plat, donc l’idée était que je me débrouille pour mettre l’introduction en chute !
Traduction : modifier le fond et réorganiser l’histoire. Rien que ça.
J’en suis restée toute perplexe (pourquoi avoir choisi ma nouvelle si tout était à refaire ?) et j’avoue avoir accepté sans trop savoir ce que ça donnerait… Pourtant, après deux heures de travail à tortiller les trucs dans tous les sens pour que ce soit clair et cohérent jusqu’au bout, j’ai trouvé que la nouvelle était mille fois meilleure dans cette nouvelle version ! Les gens du webzine avaient réussi à voir ce que donnerait quelque chose que je n’avais même pas imaginé, rien qu’en lisant mon texte (je ne m’en suis toujours pas tout à fait remise).
C’était vraiment impressionnant et je suis très heureuse d’avoir pu faire une expérience pareille.
Étape 5 : Les corrections éditoriales de roman
Quand mon éditrice m’a parlé de quelques corrections éditoriales pour mon roman, je ne me suis pas inquiétée outre mesure. Mes expériences de corrections sur les nouvelles m’avaient bien habituée à prendre les choses avec une grande sérénité, à bien voir qu’il s’agissait de mon texte, pas de moi, à comprendre qu’elle ne faisait que m’aider à m’améliorer, tout ça, tout ça…
Quand elle m’a donné mon roman annoté, ainsi qu’une feuille (recto verso) avec toutes les modifications qu’elle souhaitait voir, je me suis sentie revenir quelques mois en arrière, quand j’avais ouvert mon tout premier fichier de corrections de nouvelle. J’aurais peut-être été moins choquée par le débarquement d’une armée de dinosaures dans ma chambre !
Il m’a fallu une demi-heure (et une demi-plaque de chocolat) pour me dire « mais si, je vais y arriver ! ».
Et là, j’ai vraiment été très heureuse d’avoir eu toutes ces expériences de corrections précédentes, parce que sans cela, je serais sûrement encore en train de pleurnicher quelque part (sous mon lit peut-être).
Là, j’ai eu de tout ! De la forme, du fond, de la réorganisation, un personnage à rajouter…
J’ai eu plusieurs questions par rapport à cela, auxquelles je peux répondre ici :
1 – As-tu osé demander de front aux éditeurs pourquoi ils avaient choisi ton texte, s’il y avait tant de choses à revoir ?
Oui, je l’ai fait, au bout de quelques mois de travail main dans la main et de complicité dans le boulot. Ce à quoi mon éditrice a répondu qu’à ses yeux, ces corrections étaient mineures car le texte, les personnages, le style, le souffle, le ton [… – insérer ce qu’on veut ici – …] étaient excellents. Elle n’a pour ainsi dire jamais publié un texte en l’état, car sur un manuscrit aussi gros qu’un roman, il y a toujours un petit quelque chose qui cloche (une accroche « bonne » et non « excellente », un comportement étrange d’un personnage dans un chapitre donné, un temps mort dans le récit…).
Ayant moi-même fait partie d’un comité de lecture, je ne peux que comprendre ce qu’elle disait. Un texte pour lequel on a un coup de foudre à la première lecture n’est pas forcément exempt de petites erreurs.
Par ailleurs, un éditeur (un bon, en tout cas) connaît parfaitement le public qu’il vise et ce que ce public va aimer ou moins aimer. Un auteur, pas nécessairement. Par conséquent, certains ajustements peuvent être demandés.
2 – Est-ce que tu as ressenti la fameuse impression de devoir travestir ton texte, sacrifier ta vision des choses sur l’autel de la publication ou de devoir, en quelque sorte, le trahir ?
Non, jamais.
Et pourtant, il est vrai qu’au premier abord, j’avais l’impression qu’on me demandait de trahir mon texte en modifiant certaines choses (mon style, un personnage secondaire…).
Toutefois, en y réfléchissant bien, les corrections suggérées tenaient plus des idées générales – des remarques telles que celles qu’avait pu me faire l’anthologiste – et de la demande globale donc, que d’un ordre indiscutable.
Ainsi, l’anthologiste avait dit « À quoi sert le frère de l’héroïne ? » et non « Supprime-le » ou « Donne-lui le superpouvoir de boire de l’eau sans rouiller ».
De même, mon éditrice de roman m’a dit « Rajoute un meilleur ami à ton héroïne ». C’est tout. Elle n’a pas dit « Ajoute Francis, 22 ans, peintre en bâtiment, qui aime manger des côtes de porc grillées sur le barbecue ». Alors oui, c’est un ordre et ça change beaucoup de choses au roman, mais ce meilleur ami, il est de moi. Donc au final, même modifié sur « ordre » des corrections éditoriales, il s’agit toujours de MON texte, avec MES mots, MON souffle, MES personnages, MES valeurs et ce que J’AI envie d’y voir, même si cela a changé par rapport au texte initial. Un éditeur n’aurait jamais pu faire ça tout seul et, plus encore, il n’aurait jamais pu faire ça sans moi.
Bien entendu, cela implique :
– de ne pas se draper dans sa dignité en lâchant que l’éditeur est un sinistre crétin qui n’a rien compris à son génie (je vous assure que ça existe, c’est terrifiant !) ;
– de ne pas estimer que l’on devient un « larbin » si l’on « s’abaisse » à accepter des modifications (ne riez pas, je l’ai lu aussi) ;
– d’accepter que certaines personnes sont aussi compétentes que nous pour sublimer nos écrits (et que ces personnes ne sont pas nos ennemis, loin de là) ;
– que le génie, comme le reste, ça se travaille…
Notez bien que la seule fois où mon éditrice a évoqué un changement qui, pour moi, aurait été une vraie trahison de mon personnage principal, je l’ai refusé, arguments à l’appui.
Tout le reste, j’y ai réfléchi avec beaucoup de soin pour l’adapter à ma sauce.
Après tout, quel serait l’intérêt pour un éditeur de donner des corrections qui modifieraient le texte au point de changer son âme, autrement dit de supprimer ce qui lui avait tant plu au départ ?
Alors, rassuré ?
Pas du tout ?
Vous n’avez encore rien vu…
Merci !!!
Rassurant, je ne pourrais pas dire ça, mais une bonne baffe derrière les oreilles, ça ne fait jamais de mal à personne.
Quand je recevrai les corrections et suggestions de ma correctrice (avant même les éditoriales) je me souviendrai de ton témoignage. Il est extrêmement douloureux de voir remettre en question ce sur quoi on a travaillé et rêvé si longtemps et si complètement (en ce qui me concerne). Mais garder à l’esprit que, même si on est l’auteur (le papa ou la maman de son texte), on en est pas le seul, unique et omnipotent propriétaire, c’est salutaire. Comme un enfant a aussi besoin pour grandir des dames de la crèche, du maître d’école, du prof de sport et j’en passe, un livre ne saurait s’épanouir pleinement sous la seule autorité de son créateur. Merci donc, Roxane, pour cette piqûre de rappel.
Mais de rien ! Je suis ravie si cela peut aider !
Je viens ajouter ma petite pierre à l’édifice.
« Traque des répétitions, des adverbes, des constructions bancales, des formulations « à peu près », suggestions en tout genre… » : c’est en cela qu’il est important de confier son manuscrit à un correcteur avant de l’envoyer aux maisons d’éditions. Ces tâches font partie du travail de correction et permettent ensuite à l’éditeur d’être encore plus convaincu par le texte. Bien sûr, il adaptera ensuite (et donc demandera d’autres aménagements) selon le public visé, mais le travail sera bien moins important.
Je plussoie à 100% les arguments de Blanche/Roxane.
Autant il m’est arrivé de placer des nouvelles sans qu’on me demande d’y toucher ou presque, autant pour mon premier roman, l’éditeur m’avait prévenue qu’il y aurait beaucoup de boulot. Il a annoté le manuscrit dans tous les sens, y laissant plein d’indications, mais aussi des mentions de type « lourd », « bof », « paragraphe à réécrire », du super bon pour le moral, en gros. Il a néanmoins précisé que je n’étais pas obligée de suivre absolument tout.
Au final, j’ai ignoré… une seule remarque, sur une formulation à laquelle je tenais.
Bref, j’ai beaucoup réécrit, mais à aucun moment je n’ai eu l’impression de devoir dénaturer mon texte. Et j’y ai acquis des principes que j’applique depuis.
C’est peut-être pour ça qu’on m’a demandé un peu moins de travail éditorial sur le deuxième roman…
Ceci dit, il reste un truc qui me hérisse profondément : voir le correcteur réécrire directement le texte, avec suivi des modifications pour voir si on accepte ou pas. Je l’ai vécu une fois et j’en reste un peu traumatisée : cette méthode est trop invasive pour moi. Surligner, commenter, annoter, oui. Mais c’est moi qui réécris, merci.
En tant que correctrice, je ne réécris jamais directement le texte (sauf si c’est une demande de l’éditeur genre pour la correction d’une traduction, mais là on s’en fout, c’est pas l’auteur qui reçoit les corrections ni même le traducteur) justement car je trouve ça trop intrusif. Je propose des suggestions dans la marge, volontairement très basiques, pour que l’auteur puisse voir le problème avec sa phrase et décide de réécrire sa propre phrase 🙂
Après, reste à voir les compétences de l’éditeur… J’ai publié une nouvelle en littérature générale, je m’arrachais les cheveux en voyant les « suggestions » (donc réécriture en suivi des modifs) des éditrices, alors que quand j’ai bossé ma nouvelle parue dans le webzine Solstice (anciennement 5ème saison, puis Mille saisons), ça a été un vrai bonheur de travailler avec la personne responsable, qui m’a pourtant fait plein de remarques, mais qui étaient toutes très judicieuses…
Ah ça, oui, après les rapports humains, c’est encore une autre histoire.
Je suis d’accord pour dire que parfois, il faut savoir se méfier de certains éditeurs. Je n’ai pas tout raconté dans cet article pour ne pas en faire douze pages, mais j’ai aussi eu des surprises (notamment un éditeur qui m’avait rajouté des fautes de grammaire monstrueuses !!!). C’est pour ça que je précise que je ne parlais ici que des « bons » éditeurs, ceux qui connaissent à la fois leur métier, leur public et qui respectent l’auteur et son travail.
Même si on parle plus volontiers de CELUI qui nous a enquiquiné que des quinze qui ont été parfaits, heureusement pour nous, les « bons » éditeurs sont majoritaires. 🙂
Merci d’avoir partagé ton expérience. C’est très intéressant de savoir à quoi s’attendre. Mais pour parer au premier choc, je crois que je vais conserver tout de même quelques petits carreaux de chocolat auprès de moi ^^.
Oui, le chocolat, c’est toujours salutaire ! 😀
Moi, tout ce que j’ai retenu c’est : « Il m’a fallu une demi-heure (et une demi-plaque de chocolat) pour me dire « mais si, je vais y arriver ! ». »
Je plussoie !! Le reste… c’est juste la vie (dans l’édition 😉 )
Merci Roxane pour ta participation.
Arf ! Tu as retenu le meilleur en gros ! 😀
Merci à vous quatre de votre invitation ! 🙂
Quoi? Seulement une demi-plaque? Je suis stupéfait, moi j’aurais imaginé qu’il en faudrait deux, au minimum.
On a bien fait de t’inviter. 😀
Ne m’encourage pas trop ou je risque de revenir ! 😀
Alors, là, dans le genre « voir le correcteur réécrire directement le texte, avec suivi des modifications pour voir si on accepte ou pas », moi je l’enverrais se faire papouiller par Cthulhu direct. L’aura qu’à écrire ses textes tout seul, tant qu’à faire. L’incitation subtile au surpassement de l’auteur est quand même ce qui se fait de mieux.
Je plussoie !! (d’où l’intérêt de s’offrir un correcteur vraiment pro !)
MERCI !
Je ne saurai pas dire autre chose ! Je viens d’achever la phase de correction de mon roman et de le soumettre à mon bêta-lecteur. Et là, je me prends des claques magistrales : réactions de personnages difficiles à comprendre, scènes dérangeantes, à revoir, dialogues qui laissent à désirer… Moi qui pensais avoir pondu un chef-d’œuvre (ou tout au moins MON chef-d’œuvre), je me rends compte que c’est loin d’être le cas.
Les retours d’un correcteur – pro ou non – sont à la fois terrifiants, violents et extraordinairement enrichissants. Mais j’avais quand même besoin de lire que d’autres ont vécu la même tragédie avant moi (c’est-à-dire le moment où on a envie de pleurnicher sous la couette).
Merci, ça fait un bien fou !
De rien, c’est comme les alcooliques anonymes, tu sais, nous aussi ça nous a fait du bien d’en parler 😉