Auteur, scénariste BD, éditeur, correcteur et même relieur, Nicolas Kempf est la quintessence du monde du livre.
[EC] a le plaisir de s’entretenir avec lui pour vous dévoiler quelques conseils et partager le point de vue d’un homme du milieu sur certains sujets propres à l’édition.
1. [Espaces Comprises] Nicolas, pourrais-tu te présenter, toi et ton parcours dans le monde de l’édition ?
Après quelques années en fac de lettres, j’ai été embauché (le 11 septembre 2001 !) dans une maison d’édition régionale. Nous avions la chance de publier des auteurs en résidence, ce qui fait que j’ai côtoyé des « pointures » comme si j’avais eu un bureau rive gauche à Paris.
Comme nous étions une petite équipe, j’ai dû me frotter à toutes les tâches d’une maison d’édition. Manutention, correction, représentation presse, organisation événementielle, secrétariat, comité de lecture, compta, visite de libraires, rédaction d’argu et de 4e… Chaque journée était une pure surprise. En 2009, j’ai racheté l’entreprise avec un ami, et j’ai donc porté officiellement la casquette d’éditeur.
Depuis 2011, j’ai changé de couvre-chef, même si je reste dans le même secteur : je suis installé comme prestataire dans le domaine de l’écrit.
À côté de cela, je suis aussi auteur et scénariste BD.
Et je suis relieur amateur.
Et puis je conçois des maquettes en papier… Bref, tout ce qui touche au livre et au papier me passionne.
2. [EC] En quoi consiste ton activité de « conseiller en écriture » ?
C’est vrai, dans mon métier de prestataire de l’écrit, j’ai une spécialité rare : le conseil aux écrivains.
Je propose aux écrivains le même genre de services que j’assurais dans notre maison d’édition.
Si tu fais relire ton manuscrit avant de le soumettre, par une personne au regard professionnel, et que tu le reprends en conséquence, celui-ci sera bien plus solide lorsque tu le lâcheras dans l’arène. Demander l’avis de lecture d’un professionnel, payé pour être impartial, augmente tes chances d’être publié.
Par ailleurs, je travaille actuellement sur une autre offre, pour ceux qui cherchent des conseils plus spécifiques. Je passe mon temps sur mes fourneaux et mes cornues pour mijoter ce nouveau produit… Tout ceci arrivera en septembre, mais chut !
3. [EC] Quels sont pour toi les 5 ingrédients principaux d’un bon manuscrit ?
Nous parlons bien d’un manuscrit, c’est-à-dire d’un texte proposé à la publication, et qui est censé séduire un éditeur…
Selon moi, il doit, dans l’ordre, être :
Pertinent, et correspondre à ce que fait l’éditeur. Bien sûr, chaque manuscrit est un prototype, et s’éloigne forcément, d’une manière ou d’une autre, de la ligne éditoriale toute tracée. C’est même un plaisir et une angoisse, pour l’éditeur, de se demander à chaque fois : « Est-ce que c’est pour nous ou pas ? Je le tente ? » Cela dit, le texte doit quand même raisonnablement correspondre à ce que publie déjà la maison.
Abouti ; un manuscrit est un texte complet, dactylographié et relativement propre. Je précise que la typographie se corrige, comme l’orthographe.
De qualité, et je parle ici de qualité relative, pas du goût absolu. La qualité pour XO n’est pas la même que pour Viviane Hamy. Un bon roman de terroir comporte certains ingrédients, une saga de fantasy en comporte d’autres…
Original : même un texte « de genre », qui s’inscrit dans un faisceau de codes, doit comporter un élément original et nouveau. Le public de la maison d’édition aime certes retrouver ses repères au fil des parutions, mais il veut aussi lire du nouveau. Exemple (inspiré d’une situation vraie) : un polar breton qui met en scène Sherlock Holmes à Saint-Malo, voilà qui serait original. Un deuxième polar breton qui mettrait en scène Arsène Lupin à Rennes… bof bof.
C’est par ce critère que le manuscrit va parler à la subjectivité de l’éditeur. Le nouveau, l’inédit ne se chiffrent pas dans un business plan. Et pourtant, auteurs, éditeurs, lecteurs commettent des bassesses pour « trouver du nouveau ».
Dans l’air du temps : selon les éditeurs, ce critère se place plus ou moins haut dans la liste. Un projet est meilleur quand il arrive chez l’éditeur au bon moment.
Notre quotidien regorge d’actualités, de « faits de société ». Notre mémoire garde trace d’événements, de symboles collectifs, parfois abondamment commentés par les livres, parfois à moitié oubliés, mais prêts à resurgir… À chaque groupe ses symboles et ses centres d’intérêt ; certains sujets touchent toute la population. C’est un ami éditeur qui m’a ouvert les yeux sur cette question, il y a peu : un manuscrit aura plus de chances d’intéresser s’il fait, ainsi, résonner une corde dans l’inconscient collectif.
4. [EC] Quel est ton top 5 des éléments indispensables à faire / soigner / inclure dans un dossier de prospection éditoriale ?
Penser à joindre un dossier à son envoi est déjà super !
Lorsque j’établis un dossier pour un client, je donne la priorité aux éléments qui vont faciliter et accélérer la prise de décision de l’éditeur.
J’y fais donc figurer des informations techniques (caractéristiques du projet) et éditoriales (résumé, note d’intention…) Ensuite viennent des éléments sur l’auteur, choisis selon leur intérêt pour l’éditeur : parcours personnel, littéraire, disponibilité…
Je pourrais rajouter d’autres points, mais en ce qui me concerne, j’essaie de maîtriser le volume d’informations qui figurent au dossier. Je constate à l’usage qu’un dossier trop épais s’avère décourageant. Un comble, quand ce document est censé épauler la prise de décision.
5. [EC] Si tu devais donner 5 conseils à un auteur en herbe pour faire face à la critique, quels seraient-ils ?
Aaaah ! C’est une excellente question ! Je vais répondre principalement sur la critique négative, puisque c’est à celle-ci que tu penses, sans doute.
Être prêt au pire, agir pour le meilleur : quand tu envoies ton texte à ton conseiller littéraire, tu es plein d’espoir. Tu rêves toujours un peu de recevoir en retour une brassée de compliments. Or, c’est rarement le cas ; non pas parce que les conseillers littéraires sont de vilains aigris. Non pas parce que tu es en dessous de tout, et irrécupérable pour l’écriture ; mais simplement parce que les avis positifs ne servent pas à grand’chose pour le travail technique.
C’est là d’ailleurs un point délicat à gérer pour nous, en termes de psychologie métier : nos clients nous paient pour recevoir des critiques…
Quand tu me remets ton manuscrit, tu dois t’attendre à ce que je braque les projecteurs sur les points d’amélioration. Malgré cela, à cause de cela, tu dois mettre le meilleur de toi-même dans son texte. Le conseiller littéraire, dans le cadre de sa prestation, pointe les difficultés les plus gênantes ; si ce sont des difficultés basiques, elles occulteront peut-être des points plus avancés, qui seront peu ou pas abordés.
Distinguer la main qui écrit et l’esprit qui juge : il faut apprendre cette schizophrénie de l’artiste. Tant que tu es celui qui crée, qui invente, tu es tout-puissant et invulnérable. Tandis que tu écris, tu es l’œuvre, et rien que l’œuvre.
Mais l’écriture de livres demande bien d’autres tâches que la création pure. En dehors des phases de création, tu dois être juge de ton texte. Le conseiller littéraire se penche, à tes côtés, sur lui. Sur une œuvre qui n’est pas de lui. À ce moment précis, elle n’est pas de toi non plus.
Se donner le temps de la digestion : recevoir l’avis de lecture est rarement un moment agréable. Tu dévores avidement le commentaire, et en même temps, tu voudrais le survoler, ne pas voir de trop près les critiques négatives. Ton conseiller voit tout, tout ce que tu avais, peut-être inconsciemment, poussé sous le tapis… Tu voudrais chantonner très fort pour couvrir cette voix agaçante…
Il est important d’aller au bout de cette première lecture. Ensuite, laisse-toi le temps de la digestion : tu vas de toute façon ruminer ce que le conseiller t’a écrit. Tu vas débattre avec lui en pensée, tu vas lui en vouloir, lui faire des concessions, des objections… Prends le temps de ce dialogue imaginaire.
Quand tes pensées commenceront à tourner en rond, quand tu commenceras à oublier les détails de l’avis, il sera temps d’y revenir. Tu seras parvenu à sortir de ton texte, de ton appartenance viscérale à ton texte. C’est seulement là que cet avis de lecture deviendra hautement bénéfique pour toi.
Souvent, à ce stade, mes clients revenaient vers moi pour avoir, en chair et en os, la discussion fantasmée. Les questions, les arguments avaient eu le temps de se décanter dans leur esprit. J’ai fini par inclure dans ma prestation un moment officiel de « debriefing » pour répondre à ce besoin de dialogue.
Faire un plan de retravail : Mes avis de lecture comportent des remarques sur plusieurs niveaux, qui appellent des interventions plus ou moins longues et complexes. Voilà pourquoi je suggère, à la fin de l’avis, des pistes de retravail.
Quoi qu’il en soit, laisse passer la période de digestion, puis réfléchis aux remarques et conseils que tu prendras en compte, et ceux que tu rejetteras. Une fois que tu sauras ce que tu vas changer, organise-toi ! Certaines modifications te demanderont juste un remplacement auto dans le traitement de texte ; d’autres réclameront un peu de cogitation, et plusieurs soirées d’écriture. Certaines tâches ne pourront se faire qu’après certaines autres, sous peine de gâcher tes efforts… Fais-toi un plan d’action. Remets-toi aux manettes, reprends ta place dans le fauteuil de l’amiral.
Savourer la critique positive : dans la page 1 de mes avis, j’indique les points de retravail, mais aussi les principaux points positifs. Nous avons tous des points forts, et il est bon de les connaître ; c’est le mur contre lequel nous adosser.
Si la critique qu’on ta rendue ne comporte pas ce type d’information, à toi de la synthétiser. Entre deux moments de discussion imaginaire avec ton sacré bon sang de foutu maudit conseiller littéraire, demande-toi pourquoi tu fais tout cela. Pourquoi tu as pris un avis. Quels progrès tu veux faire. Pourquoi tu écris, comment tu imagines le jour de ta publication… Tes motivations, ton élan, sont ce qui existait avant tout le reste. Remets-les toi en mémoire. Et tu verras mécaniquement cet avis de lecture si obsédant prendre la place qui est la sienne : un coup de fouet, une marche un peu haute à franchir dans ton parcours d’écrivain. Rien de plus, et rien de moins.
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Dans la seconde partie de cet entretien, Nicolas nous parlera de lecture, des différents modes d’édition, et de « papier vs numérique »… Tout un programme, ne manquez pas la publication de mercredi prochain.
Sherlock Holmes à Saint-Malo me fait penser à Sherlock à Rio avec Élémentaire, ma chère Sarah de Jô Soares. À mourir de rire.
Merci pour cette interview, Nicolas ! 🙂
Ha ! Merci, je ne connaissais pas !
En fait je me demande où Sherlock Holmes n’est PAS allé…
La décence m’interdit ici d’énumérer les endroits où il n’a pas été.