Coups de cœur

[Ernest Pépin] Le soleil pleurait

This entry is part 2 of 3 in the series Les lectures afro-caribéennes de Gangoueus

C’est en écoutant Ernest Pépin à la Maison de l’Amérique latine que la lecture de ce roman est devenue une priorité. L’homme posé, véhiculant de la sagesse et de la qualité dans la défense de ce projet littéraire m’a convaincu que je ne perdrai pas de temps dans cette lecture. 

 En plus, il me paraissait intéressant de m’immerger dans ce regard d’un guadeloupéen sur la destinée d’Ayiti par l’entremise d’un kidnapping malheureux.

Régina est une jeune fille de 20 ans, mulâtresse, métisse. Une jeune lycéenne brillante pour laquelle les parents issus de milieux très modestes ont totalement investi tous leurs deniers pour la réussite. Elle est avant tout la fille de Marie-Soleil, une jeune rurale ayant fui un drame vécu à Paulette, sa terre natale pour rejoindre les faubourgs populeux et miséreux de Port-au-Prince.
Régina est kidnappée. Elle est mulâtresse. Elle a donc, dans l’esprit des malfrats, une ascendance qui pourra payer la rançon de plusieurs dizaines de milliers de dollars. 

Ernest Pépin se propose donc de brosser autour de la question du kidnapping un portrait de la société haïtienne actuelle avec cette question de la couleur de la peau, si fortement associée aux différentes classes sociales de ce pays. Et si de mon point de vue et mes susceptibilités, je me disais que cet exercice périlleux pour une personne extérieure à Haïti, force est de constater que ce roman est une réussite.

D’abord à cause de la qualité littéraire du projet, de la poésie qui imprègne chaque ligne, la langue d’Ernest Pépin où le parler des Caraïbes sans la lourdeur de revendications porte le propos des protagonistes que sont Marie-Soleil, Régina ou le raconteur. La polyphonie semble réinventée sous la plume. Tantôt la mère s’exprime, tantôt la fille s’exprime, souvent le raconteur fait ce lien. « Je », « tu », « il » selon l’inspiration de l’auteur, tout cela sans que naisse la moindre confusion dans l’esprit du lecteur. La densité du propos, la souffrance des personnages, la proximité avec cette mère à qui on a arraché le fruit de ses entrailles et qui symbolise ce que certains appelleront le drame haïtien et qui doit accepter la corruption de l’âme et du corps pour espérer quelque chose… Ce qui se joue là dépasse le cadre des personnages pour parler d’autres choses. Le soleil pleurait fait partie de ces romans qui au-delà de l’esthétique du projet vous font ressentir intimement la réalité d’une situation, d’un vécu, d’un pays.
C’est aussi l’exploration de toutes les causes de cette violence, de ce malentendu sur la question de l’origine, quelle soit celle de Régina, à travers la quête de ce père inconnu qu’entreprend le narrateur en allant à Paulette, la passion, ou quelle soit celle d’Haïti, la liberté, la première nation noire. Pas seulement… Ce malentendu dermique et historique récurrent dans la littérature contemporaine comme Gary Victor ou Kettly Mars l’ont très bien fait ressortir dans leurs récentes productions.
Cette mère va tout faire pour extraire sa fille du gang qui maintient captive Régina dans une cellule sordide. Tout.
Il faut beaucoup d’amour pour écrire un tel bouquin qui sûrement un des plus beaux textes que j’ai lu sur Haïti. D’ailleurs, son raconteur s’y perd lui-même dans ses débordements. A-t-on des narrateurs intervenir même dans le sujet qu’il conte ?Tout passe dans ce roman. Le final est bouleversant. Il pourrait paraître comme une sentence, une impasse. Mais, il a sa charge d’espérance. Chacun l’interprétera à sa manière. Mais, c’est un livre à découvrir et à faire découvrir écrit par un très grand auteur.

Ernest Pépin, Le soleil pleurait
Editions Vents d’ailleurs, 1ère parution en 2011, 140 pages

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