Subliminale, Lise Syven (Castelmore)

Subliminalesubliminale
Lise Syven
Roman jeunesse
Castelmore
10,90 €
Mai 2014

Mystères et sortilèges ! Élie vient de perdre ses deux parents dans un accident de voiture. Depuis, rien ne va plus. À la maison, son frère Karl nourrit une obsession absurde pour les canards en plastique et sa tante Magalie se met à fabriquer des badges à la chaîne. Le jour où l’adolescente surprend des messes basses entre eux deux où il est question d’un Ordre mystérieux et de sortilèges, elle se demande si elle n’est pas la seule personne saine d’esprit de sa famille ! Ou alors… cela pourrait signifier qu’elle aussi serait une magicienne. Et si la mort de ses parents n’était pas vraiment due à un accident ? Élie va mener l’enquête pour découvrir la vérité avec l’aide de son frère, de sa tante mais aussi de ses camarades de collège… 

Si je vous dis que je n’aime pas les adolescents, vous m’en voudrez ? Non, parce que, j’ai une fâcheuse tendance à arriver devant un livre avec une multitude d’a priori et je sais que c’est mal, mais que voulez-vous, je ne suis qu’humaine.
Donc, reprenons : je n’aime pas les adolescents. Ou plutôt, je n’aime pas l’adolescence. On arrive tous à cet âge en ayant l’impression d’être grand, de tout savoir sur tout, alors qu’on n’a encore rien vécu (enfin, il y a des cas plus extrêmes que d’autres). Élie et Karl n’échappent pas à cette phase ingrate. Et encore heureux. (Va-t-elle se décider, m’enfin.)
Élie et Karl viennent de perdre leurs parents, leur vie est totalement chamboulée, mais pas que la leur. Leur tante Magalie décide de venir vivre avec eux. Elle fait de son mieux, mais on voit que c’est (un peu) galère. Son copain, Karim, est très conciliant, il la soutient, mais la situation n’est pas toujours facile. Le pire, c’est lorsqu’Élie découvre qu’on lui a caché des informations importantes. Non, parce que, être issue d’une famille de magiciens, ce n’est pas juste cacher un oncle embarrassant, ça change absolument tout ! Et quand on est sous surveillance aussi ! Après la mort des parents, il y a un peu trop de « nouveautés » à assimiler.
Heureusement pour elle, elle a sa meilleure amie Fatou, le frère de cette dernière Diomé. Et puis, il y a les intrigues de couloirs du collège, les premières amours, les premières ruptures (amicales), aussi. Les découvertes habituelles de la jeunesse quand on n’a pas peur d’être kidnappé…

Le texte que nous offre Lise Syven est fluide et se lit d’une traite. Ses personnages sont réels et réalistes, les discussions bêtes qu’on peut avoir à cet âge le sont également. Il y a même ces moments où on se dit « bon sang, mais on est idiots, quand même ».
Point bonus pour la diversité de ses personnages !
Mon seul regret, et encore minime, est la langue. Élie est la narratrice et elle ne parle pas du tout comme on parlerait (à mon avis) à 13 ans, et ça m’a quelques fois sortie de ma lecture, mais rien de très méchant.

Le tome 2, Phénoménale, vient de sortir !

PS : je suis occulte, et vous ? Qu’êtes-vous ?

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Dix conseils ou astuces pour écrire une romance M/M (2/2)

This entry is part 2 of 4 in the series Dix trucs ou astuces pour...

Suite et fin de l’article de Valéry K. Baran et Hope Tieffenbrunner.

6/ Être extrêmement vigilant avec les sujets casse-gueule

Quʼil vous faudra généralement aborder pourtant.
En M/M, ils sont au nombre de trois, pour les principaux : la découverte de ses tendances homosexuelles, le viol et lʼhomophobie.

Concernant le premier, laissez tomber tout de suite les « je ne suis pas gay mais avec toi ce nʼest pas pareil parce que je tʼaime, et puis couchons ensemble dʼailleurs ». Ce nʼest pas réaliste et ça ne le sera jamais. Un personnage ne peut pas se découvrir homosexuel du jour au lendemain sans que jamais dans sa vie auparavant, il nʼait ressenti ne serait-ce que le moindre trouble pour un autre homme. Il aura peut-être eu du mal à se lʼavouer, et il peut y avoir un travail à lui faire faire à ce sujet (hautement casse-gueule, mais cʼest faisable), mais en aucun cas, jamais, il ne passera de « je suis totalement hétéro, il nʼy a eu jamais aucun signe antérieur » à « oh, tiens ! Je suis finalement homosexuel, allez, couchons ensemble ».
Par ailleurs, à partir du moment où il a une attirance sexuelle pour quelquʼun du même sexe que lui, il ne peut pas se dire : « je ne suis pas homosexuel, cʼest juste toi » (ou alors offrez-lui un dictionnaire et lisez-lui à voix haute la définition du mot homosexualité). Et, si vous abordez le sujet délicat de la première fois homosexuelle pour un homme nʼayant eu que des rapports hétérosexuels, il va falloir aborder comme il le faut ce quʼil ressent par rapport à ça. Ce nʼest pas anodin.
Enfin, si votre personnage, nʼayant vécu que des relations hétérosexuelles jusque-là, éprouve du désir pour un homme, il nʼa pas forcément à se dire quʼil est soudainement devenu homosexuel, mais plutôt quʼil est bisexuel. Eh oui.

En deux : le viol. Avant même de penser à en mettre un, réfléchissez ! Cet acte n’est pas anodin, que la victime soit un homme ou une femme et quel que soit l’agresseur. Ne participez pas à la banalisation dʼun acte dʼune telle gravité. Est-ce vraiment le seul ressort scénaristique qui vous vient à l’esprit ? Est-ce vraiment important pour l’histoire ? N’est-ce pas une solution de facilité ? Si la réponse est oui, réfléchissez encore. Si vraiment vous y tenez, prêtez extrêmement attention à la façon dont vous allez aborder ensuite les rapports : exit le rapport méga hot peu après. Bonjour, le travail sur la psychologie et la reconstruction de votre personnage. Il faudra laisser passer du temps après l’agression et, surtout, surtout, ne négliger à aucun moment cet élément extrêmement important lorsque vous décrirez le premier rapport sexuel qui se déroulera après: celui-ci ne peut se faire que sous la présence, en fond, de ce viol vécu.

En trois : lʼhomophobie. Renseignez-vous bien avant dʼécrire certaines choses (exemple : en France, on nʼinterdit jamais aux compagnons de personnes hospitalisées de leur rendre visite, quʼils soient dans un couple hétérosexuel ou homosexuel) et, là encore, évitez à tout prix les clichés.

7/ Ne jamais se forcer à mettre ou ne pas mettre une scène de sexe explicite

Comme nʼimporte quelle scène, sa présence doit être justifiée.
Si vous n’aimez pas les détails et préférez quand la caméra s’arrête sur un fondu avant le lendemain matin, pourquoi vous forcer à écrire une scène que vous ne voulez pas sous prétexte que ça « vendra » plus ? Si vous ne prenez pas plaisir à la faire, il y a fort à parier que votre lecteur le ressentira d’une façon ou d’une autre.
A contrario, si vous avez envie de vous faire plaisir, allez-y, ne vous retenez pas !

8/ Rester cohérent et réaliste dans cette scène de sexe 

En terme de vocabulaire, déjà ! Même si c’est possible, comprenez que, si jusque-là vos personnages n’utilisaient pas de vocabulaire extrêmement cru, ça peut être déstabilisant pour vos lecteurs s’ils se mettent soudain à parler comme dans un porno.
En parlant de porno, respectez aussi l’expérience des personnages, ce qui est valable en M/M comme dans n’importe quelle romance : pas de vierges qui se transforment en véritable acteur du genre.
Ensuite en terme de caractéristiques physiques. Pour éviter de rentrer dans les détails, parce quʼil y aurait beaucoup à dire, vous pouvez lire les guides que nous avons déjà rédigé à ce sujet il y a quelques années, soit le Guide du gay-sex où vous trouverez toutes les informations utiles pour écrire des scènes de sexe réalistes, et le Guide du lemon yaoi pour des conseils plus larges relatifs à lʼécriture dʼune scène de sexe.

9/ Ne pas omettre le safe sex

En premier lieu lʼusage du préservatif. Ça sʼinsère en deux seconde dans un texte et ça nʼa absolument rien dʼun élément cassant lʼaspect « torride » de la scène, comme le craignent parfois certains auteurs. Vous pouvez même vous en servir comme un élément vous permettant de traduire lʼempressement des personnages.
Si vraiment vous ne parvenez pas à lʼintroduire dans votre histoire/si ça vous est trop difficile, mettez un mot à ce sujet avant ou après votre histoire pour au moins informer vos lecteurs que, dans la réalité, il faut absolument se protéger.
Lorsque lʼon vend des histoires dʼamour rêvées à des lecteurs, histoires auxquelles ils vont sʼidentifier, il est important de faire en sorte de ne pas leur donner pour idéal, pour rêve, une situation dans laquelle ils vont mettre leur vie en danger. Et il est important de rappeler que certains jeunes lecteurs font leur éducation sexuelle en lisant vos histoires. Ne les mettez donc pas en danger.

Si vous écrivez du BDSM, il faut impérativement respecter les règles minimales de précaution. La base étant le safeword et la règle de base : sane, safe and consensual, à graver dans son esprit. Tout ce que vous pourriez écrire ne respectant pas ces principes de base ne sera pas du BDSM mais des pratiques inquiétantes et dangereuses.

 

10/ Nʼécrivez pas de romance M/M

Ecrivez une romance. Tout court. Et même pas : écrivez juste une histoire, avec des vrais personnages, un vrai univers, pas de caricatures, des personnages justes et cohérents, pas de raccourcis, des dialogues crédibles, des comportements expliqués et justifiés.

Bref, oubliez que vous écrivez une romance M/M, écrivez juste une bonne histoire.

 Éclatez-vous !

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Dix conseils ou astuces pour écrire une romance M/M (1/2)

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Valéry K. Baran et Hope Tieffenbrunner sont deux auteures écrivant de la romance MM, à l’origine dans la fanfiction, puis en écrits originaux. Elles sont aujourd’hui publiées chez Láska et Harlequin.
Valérie a déjà contribué sur [Espaces Comprises] sur le thème de la fanfiction.

Pour ceux voulant écrire une histoire réaliste, bien sûr. Pour ceux qui se moqueraient du réalisme et/ou de la cohérence, ces conseils ne sont pas pour vous.

1/ Prendre en compte le fait que les hommes ne sont pas comme les femmes…

Si vous êtes une auteure féminine et si vous avez lʼhabitude de vous projeter à lʼintérieur de vos personnages, il peut alors y avoir un vrai travail de distanciation à faire avec ces derniers.
Vous devez en particulier vous poser des questions si votre personnage principal (celui dans la tête de qui vous vous placez) est plus petit, plus fin, plus émotif, pleure sans arrêt, a besoin dʼêtre protégé… voire adore faire des câlins aux animaux/faire la cuisine/est un maniaque du ménage, et est, bien sûr, celui se faisant pénétrer dans les rapports sexuels. Et si lʼautre personnage est plus grand, plus musclé, le « mâle alpha » avec une voix bien grave, a la place la plus haute dans la chaîne sociale/gagne le plus dʼargent… et est celui qui pénètre lʼautre (voire le fait à coup de dirty-talk mêlé à du choupinou : « Oh oui, mon ange, dis-moi que tu aimes ça, hein ? »), là vous pouvez être sûr que vous nʼêtes même plus dans une transposition des rapports homme/femme, mais dans une caricature de ceux-ci.
Quelques petites astuces qui peuvent aider à éviter de tomber là-dedans :
– Si, lorsque vous écrivez, vous remarquez que vous avez mis des accords au féminin et/ou des « elle » à la place de « il », il faut vraiment vous poser des questions importantes sur la manière dont vous vous projetez à lʼintérieur de vos personnages,
– Si vous ne supporteriez pas dans une romance M/F ce que vous écrivez en M/M, ne lʼécrivez pas : ça ne se mettra pas à devenir quelque chose de tolérable parce que ça se passe entre deux hommes. 

2/ … mais quʼils ne sont pas si différents non plus.

Lʼinverse de la caricature citée ci-dessus : les gays version double-testostéronne qui « baisent » avec tout ce qui passe, aiment dans les rapports sexuels une dureté que vous ne supporteriez probablement pas, vous, dans un rapport, et sont incapables de parler sans user de grossièretés tous les trois mots et de dirty-talk dans les rapports représente, là aussi, une caricature, et certains lecteurs gays pourront vous regarder tout autant de travers que pour la caricature cités ci-dessus. Si si.
Bien sûr, tout est possible : il peut y avoir des personnages « super-testostéronne », comme il peut y en avoir des « petite chose fragile » mais, comme pour tout, tout est question de dosage. Un homme ne réagira pas forcément comme une femme (et encore, tout dépend quel homme et quelle femme), mais il ne réagira pas non plus forcément différemment. Entre les caricatures, à un moment donné, il y a le « juste », et cʼest le « juste » quʼil faut chercher. 

3/ Être impitoyable avec les clichés

 Rappelons dʼabord ce quʼest un cliché : un cliché, cʼest quelque chose qui est tellement vu ou revu quʼil en devient insupportable. Cʼest à distinguer dʼun « trope », comme le disent les anglophones, dʼun « gimmick » comme le disent dʼautres, dʼun de nos « trucs » sʼil y a un genre/thème quʼon aime particulièrement… bref, de tout ce qui représente un schéma déjà vu mais quʼon va aimer retrouver. La différence fondamentale ? Le cliché va faire grincer des dents alors que le trope/gimmick/truc va faire couiner dʼappréciation les adeptes ou passer leur chemin à ceux qui nʼaiment pas ce type de schéma, tout simplement.
Or, en M/M, les clichés, cʼest quoi ?
Eh bien tout ce dont on a parlé plus haut mais aussi le personnage qui se découvre gay du jour au lendemain et lʼaccepte comme ça, les personnages qui ne sont que douceur et pureté et ont des sourires qui irradient comme un soleil, le baiser qui met les personnages en apnée, les couleurs dʼyeux qui pourraient les faire briller dans le noir tellement quʼils sont dʼun vert/bleu profond/lumineux, etc. Et ça peut aussi prendre la forme de clichés de formulation : « un visage dʼange », les langues qui se mettent à jouer un « ballet sensuel », « mon cœur saigne », des cheveux « blonds comme les blés »…
Bref, traquez, supprimez ! Quels que soient les personnages/lʼhistoire/les évènements que vous voulez écrire, il y aura toujours une manière plus subtile de le faire.

4/ Oser

On vient de parler des clichés et il est vrai qu’il peut être effrayant, pour un auteur, de sortir de ces schémas : les lecteurs vont-ils suivre ? Vont-ils apprécier quʼon les éloigne de leurs habitudes ? Vont-ils tolérer une bad end ? Vont-ils accepter une histoire dʼamour dans laquelle les personnages ne se disent pas explicitement « je tʼaime » ?…
Ne vous posez pas ce genre de question ! Vous avez une idée, elle sort un peu des clous des habitudes du genre, une seule chose à dire : génial ! Ecrivez ! Ne cherchez surtout pas à faire « comme les autres », ne restreignez pas vos possibilités de peur de bousculer votre lectorat. Ne bridez ni vos envies, ni votre imagination.
Pansexualité, asexualité, handicap physique ou mental, personnages ne répondant pas aux critères de beauté usuels… Il y en a des éléments novateurs qui peuvent être abordés.
Bref, libérez-vous !

5/ Ne pas tomber dans le dénigrement des relations hétérosexuelles et/ou des personnages féminins

Pour commencer, tomber amoureux ne signifie pas que toutes les relations que lʼon a eues avant ne comptaient pas ou nʼétaient en fait pas de lʼamour, cʼest important de sʼen souvenir. Mais cʼest encore plus important lorsque toutes les relations précédentes étaient hétérosexuelles parce que la description du rapport amoureux des deux personnages masculins se transforme alors trop souvent en critique caricaturale des personnages féminins, qui tout à coup sont toutes superficielles ou cruches ou pénibles… et ça peut aller jusquʼà celles avec qui le personnage nʼa pas eu de relations  (à part celles qui sont trop vieilles ou en couple suffisamment stable pour être « hors course »), alors que les hommes, en fait, cʼest bien mieux.
Vous êtes pour la plupart du sexe féminin et avez des relations hétérosexuelles, respectez-vous, respectez les autres femmes, respectez les relations hétérosexuelles. Il nʼy a nul besoin de rabaisser les uns pour rendre plus beaux les autres.

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Pourquoi j’aime les genres (2/2)

Suite et fin de Pourquoi j’aime les genres par Manon Bousquet.

Bon, alors on dira que c’est mal écrit – ce qui est faux –, mais il va falloir sortir un argument plus convainquant.
epousedeboisCette fois, je sors mon petit favori toutes catégories : L’Épouse de bois de Terri Windling (1996). Avec un légendaire varié et coloré, anglais et amérindien, le style nous emporte dans le désert de l’Arizona : il est poétique, fluide et pourtant jamais simpliste. (Saluons au passage le remarquable travail de traduction de Stephan Lambadaris, pour l’édition aux Moutons Électriques.)
Juste derrière, Même pas mort et Gagner la guerre de Jean-Philippe Jaworski, deux romans auxquels on peut rajouter le recueil Janua Vera. Là, aucun traducteur à suspecter d’avoir embelli le style : la verve est toute française, gouailleuse avec le narrateur de Gagner la guerre, soignée dans Même pas mort. L’auteur y déploie des trésors de la langue française, de tous les registres et sur tous les tons, il joue avec les mots. D’ailleurs, si dans Gagner la guerre, le devant de la scène est occupé par les complots, des échauffourées et mésaventures du narrateur, le fond évoque les dérives d’une oligarchie. Dans une interview, l’auteur explique que son livre est une lecture principalement pour s’évader et se divertir, mais que cela n’empêche en rien « une arrière-pensée politique. »

Je recherche souvent un style recherché dans mes lectures, car tout autant que les contrées que l’on visite avec eux, ils me font voyager au creux des mots. Et je trouve dommage qu’on diminue la qualité stylistique d’un livre pour une raison ou pour une autre, mais plus encore à cause de son genre, de sa couverture. C’est comme dire que les classiques sont ennuyeux sans en ouvrir un seul.
Ces préjugés mutuels sont d’autant plus dommage que certains livres connus et reconnus comme des classiques appartiennent aussi aux littératures de l’imaginaire. Jules Verne a été l’un des premiers écrivains à faire de la science-fiction, et il inspire maintenant toute une génération qui se met à produire du steampunk. Théophile Gautier, Honoré de Balzac, Edgar Allan Poe… autant de noms qui ont déjà produit du fantastique. Et que dire alors des récits mythologiques, qui sont les premiers de fantasy ? Pourtant, ils sont classés avec les romans respectables. Le sont-ils moins quand on se rend compte de leur genre ?
Voilà pourquoi il ne faut pas se borner à ces frontières, bien trop mouvantes pour être arbitrairement fixées. Intrigue et style transcendent ces genres : qu’importe pour une histoire d’amour si elle se déroule au XIXe, au XXIe siècle ou dans un autre monde, elle reste une histoire d’amour. Il en va de même pour les enquêtes policières (Les souffles ne laissent pas de traces, de Timothée Rey, qui se déroule à la Préhistoire, est classé tantôt en policier, tantôt en historique, tantôt en fantasy !), et même pour les réflexions métaphysiques. Bien souvent, c’est l’éditeur qui donne le genre : certains grands noms ne mettraient jamais « science-fiction » sur ses livres, et pourtant… Heureusement, d’autres s’y ouvrent, comme Actes Sud avec sa collection d’Exofictions.

Plutôt que de me limiter à un genre, j’ai réussi à cerner ce qui me plaisait, ou pas, dans les livres que je lisais, en piochant des livres à droite à gauche, d’auteurs variés, venant de pays variés, de genres variés. J’ai fini par entrapercevoir ce qui me plaît dans la lecture, par exemple avec L’Épouse de bois (Terri Windling, Américaine, fantastique mythologique), La Renarde du désert (Xuebo Guo, Mongol, conte vaguement fantastique), etc. J’aime les récits qui m’emportent ailleurs, que cet exotisme soit lié à un pays lointain, un pays fictif, à l’imaginaire instillé dans le quotidien, que ce soit dans la plongée de l’âme humaine ou encore grâce à la simple poésie des mots. Ainsi, Le Bâtiment de pierre (Asli Erdogan, Turque, poésie pamphlétaire ?) n’a rien de beau par le fond, rien de propice aux rêveries, car l’auteure aborde des thèmes durs et actuels comme la censure, la répression, la torture, les interrogatoires et les prisons. Pourtant, ses mots montrent ces aspects sous un autre jour, qui happent entre les pages sans pathos, dans toute la beauté des mots et dans toute la réflexion qu’ils peuvent entraîner.

Mes grands coups de cœur me portent dans des mondes souvent développés, ou dans des styles recherchés, mais j’aime aussi découvrir l’insolite et le merveilleux dans notre monde. Et ce n’est pas nécessairement quelque chose d’imaginaire. Ce peut être une anecdote historique, un émerveillement pour la beauté, ce peut être la tendresse. Je pense que cet amour de l’histoire et du merveilleux a donné naissance, chez moi, à un amour inconditionnel pour les légendes et les mythes, que ce soit dans leur lecture, leur réécriture, et dans la lecture des réécritures des autres. C’est ce qui fait, en plus de leur plume superbe, que j’ai beaucoup aimé L’Épouse de bois de Windling (oui encore ! Si à la fin de l’article, il n’est pas dans votre wishlist, j’ai raté mon coup !) et Les Contes myalgiques de Nathalie Dau, entre autres livres et auteurs.

Je n’aime pas les barrières.
Pourquoi un livre de l’imaginaire n’aurait-il pas le droit à un style recherché, travaillé, poétique ou argotique ? Pourquoi dans l’esprit des gens se résument-ils à des fadaises féeriques mal écrites ? Un monde étranger au nôtre n’est-il pas le terreau le plus fertile pour la critique de notre société, comme le fit La Fontaine avec ses animaux ?
Pourquoi aimer lire pour le plaisir serait-il un mal ? Est-ce que cela empêche de réfléchir ? De penser à la gravité de ce qui nous entoure ? Non, cela nous y prépare ! Et ce, que l’on soit un lecteur « sérieux », un lecteur de l’imaginaire, ou pire. Un lecteur tout court.
Au fond, si vous avez un peu pitié des lecteurs d’imaginaire, dites-vous qu’au moins… ils lisent ! Et chaque mot est une arme…

Une petite bibliographie pour la route, des livres qui font rêver et/ou réfléchir en SFFF :

  • Bacigalupi Paolo, La Fille automate, Au diable vauvert, 2012
  • Bradbury Ray, Fahrenheit 451, 1953
  • Clarke Susanna, Jonathan Strange & Mr Norrell, Robert Laffont, 2007
  • Damasio Alain, La Horde du Contrevent, La Volte, 2004
  • Dau Nathalie, Les Contes myalgiques I & II, Griffe d’Encre, 2007 & 2010
  • Fazi Mélanie, Notre-Dame-aux-Écailles, Bragelonne, 2008
  • Guo Xuebo, La Renarde du désert, Bleu de Chine, 2001
  • Keyes Daniel, Des fleurs pour Algernon, J’ai lu, 1972
  • Le Guin Ursula K., La Main gauche de la nuit, Robert Laffont, 1975
  • Le Guin Ursula K., Le Dit d’Aka, Robert Laffont, 2000
  • Jaworski Jean-Philippe, Gagner la guerre, Les Moutons électriques, 2009
  • Jaworski Jean-Philippe, Même pas mort, Les Moutons électriques, 2013
  • Okorafor Nnedi, Qui a peur de la mort ? Panini Books, 2013
  • Pullman Philip, À la croisée des mondes, Gallimard, 2003
  • Rivero Mathieu, La Voix brisée de Madharva, Walrus et Rivière Blanche, 2014
  • Stoker Bram, Dracula, Ebooks libres et gratuits, 2004
  • Windling Terry, L’Épouse de bois, Les moutons électriques, 2010

Et pour la partie non-SFFF :

  • Erdogan Asli, Le Bâtiment de pierre, Actes Sud, 2013
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Pourquoi j’aime les genres (1/2)

Manon Bousquet est auteure de SFFF dont les nouvelles ont été publiées par Val Sombre et les Netscripteurs. Correctrice et bêta-lectrice sur CoCyclics, Manon est également co-directrice de la collection e-courts des Éditions Voy'[el].

Depuis que je fréquente le monde de la littérature de l’imaginaire, via Elbakin ou CoCyclics, je me rends compte à quel point ces genres sont mal vus par la plupart des lecteurs (étranges mises en abyme puisque de nombreux lecteurs de ces genres méprisent la romance – et pire, la romance fantastique ! – ou le roman de gare).
Je me rends compte aussi que je ne lis presque que de ça. Alors j’ai tenté de me faire une culture littéraire, pas parce que j’ai honte, mais parce que j’aime découvrir, parce que j’aime l’acte de lecture, j’aime les livres, les textes, les mots, et ce, au-delà de barrières de genres imposées pour des contraintes éditoriales. Et je me suis rendue compte que, à quelques exceptions près, je n’aimais pas souvent ça. Qu’est-ce qui me nourrit alors, dans la littérature de l’imaginaire ? Et pourquoi est-elle si décriée alors qu’elle recèle tant de trésors ?
Je n’ai pas envie de pousser un coup de gueule, il y en a assez comme ça, je pense, et je doute que ce soit en criant dans tous les sens qu’on convaincra les nobles lecteurs de l’ami Proust (j’ai rien contre Proust, je ne l’ai pas lu. Il paraît qu’il fait de très bonnes madeleines). Par contre, j’aimerais montrer à tout le monde, car même les lecteurs d’imaginaire ont des préjugés sur leurs lectures, qu’il y a des livres pour tous les goûts dans ces genres-là, qu’ils ne sont pas que pour les enfants, pas tous mal écrits, qu’ils peuvent être propices à la réflexion comme à la distraction (oui, vous comprenez, c’est mal d’écrire pour détendre les gens, leur permettre de passer un bon moment, on est censé tirer la tronche toute la journée en pensant aux problèmes mondiaux).

Avec ses belles couvertures colorées, ses aquarelles délicates, ses photomontages un peu ratés, et ses mondes féeriques, les lecteurs non-avertis prennent facilement les livres de l’imaginaire, principalement la fantasy, pour des livres pour enfants (je ne vous citerai pas les termes exacts de l’un des usagers de la bibliothèque, j’aurais peur de choquer vos chastes oreilles). J’espère qu’à terme, les éditeurs ne rangeront pas les artistes dans un placard sous prétexte de faire « plus mature », car certains titres sont de petits chefs-d’œuvre. Passons.
Cet argument est le plus simple à réfuter : sérieusement, qui laisserait son bambin de huit ans regarder Game of Thrones ? (Bon, à part ceux qui le laissent jouer à Call of Duty sans voir le gros -18 rouge derrière la boîte et qui vont colporter partout que les jeux vidéo rendent violents.) Le Trône de fer (George R.R. Martin, 1996) n’est pas la version édulcorée de la série, le monde n’y est pas spécialement beau, ni gentil, ni chaste (et heureusement, on le lit pour un peu tout ça).

Il suffit d’ouvrir un livre ou deux pour tomber sur une bataille sanglante en fantasy, une scène osée en romance fantastique juste avant d’aller régler son compte à la bestiole du coin, un petit peu de boucherie en fantastique, et… et en SF, ils sont plutôt cool, on finit par mourir dans l’espace. C’est plus propre pour les femmes de ménage. Tous les livres ne sont heureusement pas comme ça, et surtout, ce ne sont ni les scènes érotiques ni les scènes sanglantes qui prouveraient la maturité d’un livre.
Cela rejoint en grande partie un autre préjugé : les lecteurs qui n’ont que rarement, voire jamais, ouvert un livre d’imaginaire pensent qu’ils sont pleins d’aventures gentiment niaises, avec quelques batailles (nous progressons, ils savent qu’il y a des batailles, on éloigne les enfants !), et que ça se lit uniquement pour se distraire, que ce n’est pas la vraie vie. D’une part, se distraire, ça permet de se reposer l’esprit et d’être prêt à attaquer de grosses problématiques, et d’autre part, ils ont tout faux.

Qui a peur de la mort okoraforJ’aurais une foule d’exemples à citer, mais partons sur un livre qui m’a marquée pour cette année 2014, par les thèmes qu’il aborde, sa diversité, son histoire et ses personnages : Qui a peur de la mort ? de Nnedi Okorafor (2010).
La trame principale suit celle, classique, de la quête (quête de soi, quête de l’autre), mais le fond et les personnages permettent d’aborder des thèmes graves et surtout des thèmes d’actualité. L’auteur traite de nombreuses problématiques liées à l’Afrique dans son roman, certaines très en profondeur, d’autres en lisière. Elle aborde le racisme, les très violentes guerres, le viol, le rejet, l’excision, le sexisme. Autant d’obstacles pour la narratrice, femme ni noire ni blanche dans un monde sans pitié.
J’aimerais aussi parler d’Ursula le Guin qui a écrit une série de livres, Le Cycle de Hain, qui se déroule sur plusieurs planètes. Autant d’éclairages qui lui permettent d’observer l’humain sous toutes ses coutures : elle met en exergue certains traits grâce à des créatures non-humaines, mais dont les caractéristiques ne peuvent que renvoyer aux nôtres. Souvent, derrière des histoires douces-amères, elle aborde des sujets politiques et sociétaux, comme la place de la culture dans le progrès, ou encore la conception du genre ou du couple.

Autant de thématiques qui font que j’aime les littératures de l’imaginaire : elles peuvent aborder tous les sujets sans tabous, et surtout, on peut les lire comme on le désire, comme une simple aventure, ou comme une réflexion sur quelque chose. À quel moment peut-on se dire que ce sont des livres accessibles aux enfants, légers et sans réflexion ? Et cette histoire de « ce n’est pas la vraie vie » : quand on lit un livre qui se passe dans la Chine médiévale ou dans la Russie protohistorique, je doute que les auteurs aient été voir comment ça se passait. Ils ne nous rendent qu’une vision fantasmée d’un lieu qui n’existe pas vraiment…

(À suivre…)

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