Le miroir aux alouettes

CL 2 – Le jambon, la suite qui tue le cochon

Attention, cet article peut heurter la sensibilité des jeunes auteurs qui dorment encore avec leur peluche, croient en la magie ou pensent que les hommes sont foncièrement des gens bons et sans malice.

Dans le Cochon Littéraire, nous découvrions une magnifique lettre proposant les services professionnels d’une entreprise de coaching littéraire, renforcée par le dynamisme d’un site web chatoyant. Dans un suspense irrésistible, nous arrivions à une conclusion ouverte du type « Arnaque éhontée ou amateurisme de bas étage ? ».

Dans « CL 2 – Le retour », l’histoire commence après la signature d’un contrat avec cette professionnelle du monde de l’édition (30 ans d’expérience, je le rappelle pour ceux qui ne suivent pas au fond). Une innocente primo-romancière (Marie Duponst, alias MD pour la suite) va en effet suivre les périples du coaching littéraire. L’histoire qui suit est le montage épistolaire des faits réels intervenus sur une période de plusieurs mois. Seuls les noms, titres et dates ont été altérés pour protéger l’anonymat des protagonistes. Les fautes sont d’origine, je n’ai fait que du copier/coller. (Insérez menaces de poursuites judiciaires ici, mais prenez en compte que j’ai les originaux, les autorisations et d’autres preuves…)

Scène 1 – La douloureuse

Vous trouverez ici une capture écran de la facture. Outre un style dépouillé sans en-tête ni logo digne de la facture de mon plombier quand je le fais bosser au noir (insérez menace de poursuite par le fisc ici, mais prenez en compte que j’ai votre adresse IP, celle du XVIIe, côté Carnot, que je pourrai partager avec eux, en plus d’un paquet de « factures » et du SIRET de la société de communication écran utilisée pour les encaissements), on notera :

CAPITALISATION = Merci d’avertir votre secrétaire que la touche CAPS LOCK (VERR MAJ) est activée sur son clavier.

Monnaie = Si c’est en Roubles, là du coup, c’est pas cher. Mais je ne peux pas vraiment juger puisque la monnaie n’est pas indiquée sur la facture (est-ce que c’est même légal, ça ?).

Scène 2 – Le produit acheté

Pour la modique somme de 980 € TTC, notre héroïne est l’heureuse propriétaire d’un document de 4 pages.

  • Fiche de lecture (2 P)
  • Bla bla commercial (0,5 P)
  • Liste d’éditeurs (1 P)
  • Modèle de lettre de présentation type (0,5 P)

La fiche de lecture

Sans être détaillée, la fiche de lecture est intéressante et donne même des pistes d’amélioration. Du bon travail de lecteur professionnel de comité de lecture. Un bon point, l’héroïne avance vers son but.

La demi-page de bla bla

Elle dénote encore une fois un niveau étrange de français, de mise en page et de professionnalisme pour une société œuvrant dans le monde de l’édition :

Combinaison pendant + entretemps = c’est une incohérence en français. Une action ne peut pas être menée « entretemps » « pendant » une autre. Il manque une phrase entre les deux ou il faut reformuler la seconde phrase.

Contre-productif = Je rêve d’un job comme celui-ci. Pas de résultats, pas d’objectifs, pas de suivis, pas de métriques, et le boss est content. Mais il me semble que retenir l’attention de certains éditeurs et les démarcher pour placer des textes demande exactement l’inverse : se faire connaître, et suivre de près les prospections.

Démarchage des éditeurs = Vous comprenez tous comme moi que les collaborateurs de cette société de service en coaching littéraire vont s’entretenir et contacter des éditeurs spécifiquement pour l’ouvrage en recherche de publication (on nous le répète 3 fois, je pense qu’il est donc difficile de mal l’interpréter). Retenez bien cette info, nous y reviendrons plus tard.

La liste des éditeurs

  • Une liste de 15 éditeurs dont 1/3 ne traitent même pas de fictions. Pas facile de placer un roman dans ces conditions.
  • La plupart des « contacts » ne sont autres que les dirigeants ou gérants eux-mêmes. Une information aisée à se procurer par les statuts de l’entreprise et totalement inutile pour la soumission d’un manuscrit. Un bon contact serait celui d’un éditeur ou d’un directeur de collection, ce sont eux les décisionnaires en matière de publication, mais surtout, n’envoyez un manuscrit adressé à une personne en particulier que si :
  1. Elle l’a sollicité ;
  2. Votre manuscrit lui a été présenté et elle est en attente de sa réception.

Si vous pensez que passer par le PDG, le DG ou le Directoire va aider votre cause, demandez-vous comment serait reçu quelqu’un s’adressant au Président de PSA pour discuter du financement de sa voiture d’occasion. Quel retour attendriez-vous du Directeur de Nestlé à votre demande de recette du gâteau au yaourt ? Iriez-vous acheter votre place de cinéma auprès du Directoire des studios de la FOX 20th Century ?

La lettre type

Surtout n’enlevez pas ça = C’est connu, tout le monde a un FAX chez soi et envoie ses lettres depuis Paris – de toute façon en dehors de la capitale, y a quoi dans le monde, je vous le demande ?

Personnalisation = Quand on a un contact si durement glané, ne serait-ce pas ici le bon endroit pour placer son nom, plutôt que de rester impersonnel ?

Recalé = Si vous voulez vraiment vous griller auprès d’un éditeur, c’est LA phrase à utiliser. En une seule ligne vous passez pour :

  • Quelqu’un peu sûr de son manuscrit. (« Auriez-vous la gentillesse et vous est-il possible de… » ??? « …s’il vous plaît sans vouloir vous déranger, avec toute la bonté que je sais être la vôtre, par pitié lire mon texte… ») C’est un ÉDITEUR. C’est son MÉTIER. On peut être courtois et pour autant parler en toute clarté d’un projet d’édition. Parce que… si vous ne l’avez pas contacté pour être édité, clairement, vous vous êtes trompé d’interlocuteur.
  • Quelqu’un d’imbu de sa personne. (« – pas trop tard – » parce que j’ai une vie moi, contrairement à vous là, assis toute la journée dans votre fauteuil à rien foutre.)

=>  À moins que ce ne soit une stratégie pour vous faire passer pour l’archétype de « l’écrivain artiste torturé », vous venez de mettre au grand jour vos troubles de la personnalité, ou votre amateurisme, ou les deux.

Conseil de Kanata : utilisez n’importe quelle lettre de présentation SAUF celle-ci ! (Je dis ça… c’est pas comme si j’étais édité ou quoi que ce soit du genre… 😉 )

Signature = On ne ponctue jamais les signatures avec un point de fin de phrase.

Scène 3 – Et après ?

Heureusement, pour 980 € TTC, notre héroïne n’a pas reçu QU’UNE fiche de lecture. Souvenez-vous : les collaborateurs de notre fameuse société de service en coaching littéraire ont contacté les éditeurs, préparé le terrain. Et avec les contacts dorés remis à Marie, si l’édition n’est pas forcément acquise, un passage dans le comité de lecture et un retour constructif l’est certainement !

FAUX !

Retour d’un premier éditeur

Éditeur1 : « Je vous remercie de votre proposition de manuscrit […] mais j’ai toutefois le regret de vous dire qu’elle n’a pas été retenue par notre comité de lecture car nous ne publions plus de fiction. »

Évidemment, l’héroïne, tremblante, cherche à comprendre.

MD : « Je suis très étonnée de votre réponse car ce sont les services de « la société en coaching littéraire » de « la célébrité expérimentée du monde de l’édition depuis plus de 30 ans »  qui étaient censés vous avoir contactée avant de me donner vos coordonnées. Merci d’avance de me préciser si vous avez été contactée par « la célébrité expérimentée du monde de l’édition depuis plus de 30 ans » ou non. »

Et là, le doute s’installe.

Éditeur1 : « J’avoue que je ne m’en souviens plus. »

On semble être assez loin des « liens étroits entretenus dans le monde de l’édition depuis plus de 30 ans… ». Mais qu’à cela ne tienne, il s’agit sans doute d’une erreur, d’un malentendu, d’un oubli. Une héroïne ne se laisse pas abattre par le premier obstacle venu, et la nôtre ne déroge pas à la règle. Elle persévère :

Retour d’un second éditeur

Ou plutôt un non-retour… Au bout de 4 mois, notre héroïne relance :

MD : « … Je vous ai envoyé pour la deuxième fois cette année mon manuscrit à l’attention de Mme YYYYY.
En effet, j’ai été contactée par un organisme de coaching littéraire qui m’a donné une liste d’éditeurs, soi-disant sélectionnés par leurs soins et contactés par eux au sujet de mon ouvrage.
Pour votre maison d’édition, le nom de Madame YYYYY apparaît comme étant celui d’une éditrice, or je viens d’appeler madame YYYYY, et j’ai eu au téléphone une dame m’expliquant qu’elle ne s’occupait pas du tout d’édition, mais de gestion administrative. Je tombe des nues. »

Éditeur2 : « Tous les manuscrits sont réceptionnés et traités par le service des manuscrits qui se charge de les étudier et de les orienter vers les différents membres de l’équipe éditoriale, dont ne fait pas partie YYYYY, étant, effectivement, présidente du directoire de Éditeur2 et ne recevant pas de projets éditoriaux par conséquent. »

Oups… Une autre erreur ? Sur une liste de 15, ça commence à faire élevé comme pourcentage.

Et on continue…

MD : « Je vous ai envoyé un manuscrit […], suivant les conseils de mon coach littéraire qui m’a donné votre adresse, à l’attention de M. ZZZZZ.

Or, ayant passé un coup de fil à votre maison d’édition, il semblerait que votre maison ne publie pas de littérature. »

Éditeur3 : « Effectivement, nous ne publions que des ouvrages médicaux ayant pour cible les professionnels de santé.

Monsieur ZZZZZ était notre Directeur Général mais a quitté la société depuis plus d’un an maintenant. »

Bon, je crois que tout le monde commence à se faire à l’idée que le calvaire de notre héroïne tourne de mal en pis. Alors forcément, arrive le moment de la confrontation finale, et notre héroïne de contacter « la célébrité expérimentée du monde de l’édition » pour y voir plus clair.

Escroquerie vs diffamation

MD : « Je vous avais adressé un mail il y a quelque temps pour vous demander des explications au sujet d’un éditeur qui m’avait envoyé un mail m’annonçant qu’ils ne publiaient plus de fictions.

Or, vous affirmiez, dans votre contrat, avoir contacté pour moi spécialement des éditeurs, il était là clairement démontré que ce n’était pas vrai.

Vous trouverez un mail que je vais vous transférer, des éditions Éditeur2, démontrant une fois de plus que vous m’avez trompée.

Madame YYYYY, présentée par vous comme éditrice au sein de cette maison d’édition, se révèle n’être que responsable administratif.

Forte de ces documents, j’envisage de vous poursuivre devant les tribunaux pour escroquerie et de demander au tribunal le remboursement INTEGRAL du versement de 980 euros + le remboursement de mes frais d’envoi aux éditeurs + un dédommagement pour le préjudice moral + le remboursement de mes frais d’avocat.

A moins que vous n’ayez une solution amiable acceptable à me proposer. »

KJ : (Note de Kanata : les erreurs sont d’origine) « MERCI pour ce mail mensonger
YYYYY est la patronne de Éditeur2    crée par son père XXXXX .
[L’autre éditeur] avait , il y quelque temps pris un de mes auteurs ….
d ‘ou  ….
il n y a pas là  d escroquerie .
[…]
je transmets d ores et déjà  à mon avocat
pour diffamation.
regardez bien notre site : vous y verifierez notre serieux  !

je ne suis pas contre un appel de vous si vous revenez à la raison

bien à vous et

belle journée »

On apprend plein de choses dans cette missive :

  1. On est tous d’accord que YYYYY est la patronne de XXX. Le souci c’est que (et les Éditions XXX le disent eux-mêmes) ce n’est pas du tout la bonne personne à contacter. De plus, il est évident que YYYYY n’a jamais été contactée par la société de service dans le cadre d’une prospection éditoriale pour MD.
  2. La société de service n’est pas du tout au courant des changements d’orientation et de catalogue des éditeurs.
  3. La définition d’escroquerie (vendre un produit ou un service qui ne correspond pas à ce qui est annoncé) et de diffamation (atteinte à une personne appuyée par des contre-vérités) semble très vague pour la gérante de cette société.
  4. « regardez bien notre site : vous y verifierez notre serieux  ! » ===> ROFLMAO. Dieu, je n’ai pas autant ri depuis… depuis… non, je n’ai jamais autant ri de ma vie, en fait ! (pour rappel : le site en question, très « sérieux » donc…)

Malheureusement, pas de « Happy ending » pour cette histoire. Notre héroïne Marie Duponst ne sera ni éditée, ni remboursée.

Conclusion

Autant on pouvait avoir des doutes à la suite de la phase de prospection (arnaque éhontée ou amateurisme de bas étage ?), autant, à l’issue de cette enquête en profondeur, le doute s’amenuise, vous ne trouvez pas ?

Sur ce,,, je vous en gage à vérifier
mon sérieux et
belle journée……….
Kanata.

PS : (bla bla, diffamation, bla bla intimidation… je renvoie au résultat de l’épisode 1 ceux qui voudraient se lancer dans un second match, on gagnera du temps)

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8 réponses à CL 2 – Le jambon, la suite qui tue le cochon incluant les trackbacks et les pings.

  1. John a dit :

    Merci pour cet article ! J’ai bien ri.

  2. Jo Ann a dit :

    À quand la suite ? 🙂

  3. Sycophante a dit :

    C’est hallucinant…

  4. Eana a dit :

    Et notre héroïne ne peut pas envisager de parler avec un avocat ? c’est aberrant quand même ><

    • Kanata a dit :

      Elle a bien évidemment mentionné son intention de porter plainte pour tromperie. Elle a été reçue par des menaces de plainte en diffamation, et a alors lâché le morceau…

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