Au cours des dernières années, beaucoup de personnes m’ont contactée pour me demander des conseils, pour me faire part de leur désir de mettre leurs propres écrits en ligne afin de se faire connaître. Après 11 ans d’existence, mon site (et par extension, mon roman) a acquis une certaine notoriété et reçoit environ 1 000 visites par mois (ça a un peu baissé depuis que je n’y publie plus de nouveaux chapitres).
Alors, publier son roman sur internet va-t-il vous apporter une certaine notoriété et vous ouvrir toutes les portes ? La réponse est claire : non.
Un peu d’histoire…
Quand j’ai décidé de mettre en ligne ma saga, nous étions alors en janvier 2002 et internet n’était pas ce qu’il est aujourd’hui. Les blogs n’existaient pas, php n’existait pas, Facebook non plus, et faire son propre site n’avait rien d’une partie de plaisir. En conséquence, il y avait beaucoup moins de sites qu’aujourd’hui, ce qui rendait la concurrence bien moins rude.
À l’époque, j’ai mis le roman en ligne plus pour m’amuser à faire un site et lui donner un contenu que pour vraiment recueillir des critiques. Une amie à moi avait fait de même (ce qui m’a donné l’idée de l’imiter, vu qu’elle se sentait un peu seule), puis une amie à elle, et une amie de cette amie, et nous nous sommes vite retrouvées à quatre à se partager nos quelques rares lecteurs.
Nous tournions alors en circuit plus ou moins fermé et c’était assez frustrant. Les trois autres ont arrêté, mais j’ai persévéré, ce qui n’a pas toujours été évident (mettre autant d’énergie dans quelque chose qui ne m’apportait strictement aucune satisfaction n’était pas facile). Un jour, j’ai décidé que si je voulais vraiment faire les choses, je devais les faire bien. Donc j’ai potassé des sites expliquant le référencement, j’ai acheté un nom de domaine (j’étais chez Free, comme beaucoup de gens à l’époque), j’ai commencé à faire un peu de promo…
En deux semaines, je suis passée de la fin de la page 36 sur Google pour « roman en ligne » à la troisième place. Tout de suite, les choses ont commencé à changer. Je me suis mise à fréquenter les forums, j’ai fait imprimer de jolies cartes postales et cartes de visite que j’ai distribuées sur les salons littéraires près de chez moi, puis moins près…
Faire la promo du site a été un véritable investissement, à la fois en temps, en énergie, et m’a coûté des sous, mais au final, les visites ont enfin décollé.
Du coup, oui, ça a marché, mais à quel prix ! J’ai eu la chance d’être au bon endroit au bon moment (début du web « populaire »), d’avoir les compétences requises pour mettre en place une structure (d’abord un site internet au design assez moyen sans trop de fonctionnalités, puis quelque chose de plus poussé avec de l’interactivité), compétences que j’ai acquises dans ce seul but (j’ai dû apprendre le html, les css, puis php, actionscript et la création des graphismes), et d’avoir un roman dont la qualité littéraire, sans être transcendante, était à des lieues de ce qui était posté alors sur le net. Il n’est pas trop difficile de sortir du lot quand le lot est petit et constitué de concurrents assez moyens (mes trois « concurrentes » étaient, quant à elles, excellentes, mais elles avaient abandonné des années auparavant), il l’est davantage quand on essaie de se faire une place parmi des milliers d’autres, ce qui est le cas aujourd’hui. « Au royaume des aveugles, le borgne est roi. »
Est-ce que mon site aurait eu le succès qu’il connaît actuellement si je l’avais créé l’an dernier ? Clairement non. Si j’avais su avant de commencer tout ce qu’il faudrait faire pour arriver là où je suis, j’aurais peut-être laissé tomber.
Le bilan ?
Maintenant, est-ce que mettre mon roman en ligne m’a offert des opportunités que je n’aurais pas eues sans cela ? Non, encore une fois. Il ne faut pas croire qu’un éditeur va vous envoyer un mail pour vous supplier de daigner lui faire parvenir votre chef-d’œuvre, il aura bien assez à faire avec tous les manuscrits envoyés par la poste ou les traductions de best-sellers américains. Au cours de toutes ces années, UN éditeur m’a contactée et il s’agissait d’une maison d’édition québécoise assez douteuse qui était d’ailleurs en faillite.
Les éditeurs sont-ils sensibles au fait que le roman ait remporté son petit succès sur internet ? Je n’en ai pas vraiment l’impression. On parle ici d’un livre gratuit, c’est à peine mieux que les prospectus que ces gens distribuent dans la rue. Bon, j’exagère un peu, mais le succès de quelque chose de gratuit n’intéressera pas vraiment un éditeur français (les éditeurs américains, c’est peut-être différent).
Mais alors, pourquoi tout cela ?
Vous êtes sans doute en train de vous demander quel est l’intérêt de toute cette démarche qui consiste à perdre du temps, de l’argent, de l’énergie pour gagner une notoriété complètement inutile ?
Les lecteurs.
Les lecteurs donnent tout leur sens à cette expérience littéraire. Leurs critiques, leurs encouragements, leur envie de découvrir la suite font que cette démarche au bilan négatif devient une source de plaisir et de satisfaction.
Donner la possibilité aux lecteurs de commenter a été vraiment enrichissant pour moi et leurs remarques m’ont été utiles dans la réécriture du tome 1 et dans l’écriture du reste de la saga. Je me suis améliorée grâce à eux et je suis persuadée que l’histoire a beaucoup profité de cette interaction avec ce qui est au final son public-cible.
J’ai toujours été très honnête avec les lecteurs, déjà parce que c’est dans ma personnalité, mais surtout par respect pour eux. Je ne vais pas annoncer des statistiques de téléchargements mirobolantes, je ne vais pas modérer les commentaires pour ne garder que ceux qui sont positifs, je ne vais pas me faire de la pub en me faisant passer pour une fan. Si j’arrive un jour à quelque chose, je veux que ce soit grâce à la qualité de mon travail et pas grâce à un coup de bluff. Cela dit, peut-être qu’en bluffant un peu, j’aurais décroché un super contrat avec Spielberg pour une série télé, on peut toujours rêver. ^^
Au final, bonne ou mauvaise idée ?
Si vous pensez que mettre votre roman en ligne est un bon moyen de vous faire connaître, faites plutôt une parodie de Gangnam style sur Youtube. Si vous espérez être lu et obtenir des critiques, vous pouvez essayer, mais il vous faudra beaucoup de patience et beaucoup de travail. Tournez-vous plutôt vers les forums de bêta-lecture, l’ambiance y est en général très bonne et ce sera probablement plus enrichissant. Si vous voulez juste être lu, écrivez un roman érotique.
Malheureusement, le temps des romans en ligne est plus ou moins révolu, et à moins d’avoir un coup de chance incroyable ou d’avoir une célébrité qui va vous faire de la pub, il vous sera très très difficile de vous faire connaître ainsi.
J’ai conscience d’avoir une vision très sombre de tout cela, mais après onze ans, je crois que j’ai un peu fait le tour de la question. Cela dit, je ne regrette rien. Si je devais refaire les choses, je les referai, mais probablement pas de la même manière.
« (…) un livre gratuit, c’est à peine mieux que les prospectus que ces gens distribuent dans la rue. »
C’est plus que juste. Même sans parler des éditeurs (qui ont tellement d’autres chats à fouetter), espérer la moindre reconnaissance est illusoire. Être audoédité en numérique est déjà préférable, comme si c’était plus légitime, comme si faire payer était un gage de qualité. Même si on se constitue un réseau qui soutiendra le livre, on passera quand même pour pas grand chose auprès des gens « sérieux ».
Globalement, on peut encore être lu (tiens, quand je vois comment marche mon Bazar des Anges sur Feedbooks, je ne me plains pas, même si j’ai toujours du mal à comprendre…), mais hormis un certain nombre de téléchargements il ne faut pas s’attendre à grand chose. D’une part, il y a une logique de consommation impulsive qui fait qu’on télécharge et qu’on oublie, d’autre part vu la masse de bouquins qui sont juste à côté, on a toutes les chances de passer inaperçu.
Alors, ça ne sert pas à grand chose. Mais est-ce que ça doit empêcher de tenter le coup? Les résultats seront dérisoires, mais moins que si on ne fait rien du tout. N’empêche que pour se faire un nom, désormais il faut s’accrocher si on tient absolument à en rester au roman (ou recueil de nouvelles) en ligne. Non seulement le mépris sera récolté puisque plus amateur que ça y a pas (franchement, c’est comme ça qu’on nous considère, la gratuité dévalorise a priori), mais pire encore on sera perdu dans une vaste forêt de titres plus alléchants les uns que les autres.
La seule façon de s’en sortir (même si c’est seulement pour avoir un orteil qui dépasse du sable), c’est effectivement la présence sur des forums, ou de mettre en ligne au bon endroit. Feedbooks n’en est pas vraiment un (il n’y a jamais de retours, ce qui est déplorable, et on ne saura jamais si on est vraiment lu), et je préfère ma petite présence sur Atramenta (l’ambiance est bonne, il y a un forum, et le site est plutôt pratique). Récolter une pincée de lecteurs reste une mince perspective? Oui, mais ce sont des lecteurs, et si déjà on fait plaisir à quelques uns, c’est énorme.
Atramenta & co, j’ai un peu l’impression que les lecteurs sont les autres auteurs du site. Alexandrie, à l’époque, c’était vraiment sympa aussi.
Et pour le mépris, tu as raison. J’ai des « amis » qui ne me mettent même pas dans leurs liens d’amis auteurs, parce que « tu comprends, tu n’es pas vraiment publiée »… Le mépris vient surtout des autres auteurs, je ne pense pas être méprisée par mes lecteurs (haïe quand je mets trop longtemps à poster le chapitre suivant, peut-être). Mais les autres écrivains, ben… On a parfois des surprises. Je suis probablement assez peu aimée dans le milieu de l’édition de l’imaginaire, parce que je dérange, je ne fais rien comme les autres, et ça a l’air de poser un problème existentiel à certains, ce qui est bien triste (ou alors c’est parce que je suis hyper chiante, ce qui est aussi une possibilité ^^).
Tes romans font partie des rares romans excellents que l’on peut trouver sur internet, je me souviens à l’époque, quelques années après la création de mon site, quand je surveillais la « concurrence » et que je suis tombée sur ton site… J’y ai passé la soirée, j’ai lu le roman d’une traite avec fascination.
(d’ailleurs, pour les éventuels lecteurs qui passeraient par-là, allez lire les romans de Jean-Christophe Heckers, ils sont tout bonnement excellents !)
Que les lecteurs soient aussi les auteurs sur le site, c’est plus vrai avec Atramenta qu’avec Alexandrie. Qui était alors un site sympa, oui, mais qui n’a tellement pas évolué qu’il est devenu un peu dinosaure. Feedbooks, c’est une vitrine qui pourrait être bien, si d’une aprt les auteurs ne se contentaient pas d’apporter leur prose pour ensuite ne pas s’en préoccuper – à de rares exceptions près. Quand on dépose un commentaire c’est en pure perte. Comme les lecteurs n’en mettent jamais, on finit peut-être par ne plus rien attendre. Bazar des Anges atteindra sous peu les 1200 téléchargements, et aucun retour. Alors pour moi, Feedbooks, il n’y a rien à en tirer (donc je n’ai pas mis le recueil de nouvelles, pour lequel je tiens de toute façon à passer par la case édition ou autoédition).
La réaction « tu n’es pas vraiment publié/e » est à la fois idiote, insultante, et elle-même méprisable. Je l’ai écrit ailleurs, je le répète: il y a trois degrés dans l’estime préalable d’un livre, il est édité c’est merveilleux, autoédité c’est très bien (quel courage!), s’il est simplement en ligne c’est de la m****. Gradations qui reflètent un état d’esprit: si c’est payant, ça vaut quelque chose, si c’est gratuit ça ne vaut rien. Pourtant il suffit de lire, on a de ces surprises parfois, on se demande comment un bouquin peut végéter dans l’indifférence alors qu’il mérite tout sauf qu’on s’en détourne sans aller plus loin que la lecture du titre. J’ai vu ça plus que trop. Parfois j’ai envie de hurler, quand des autoédités se la jouent « je suis trop bon » et qu’on suit, alors qu’il y a des pépites extraordinaires qui traînent et qu’on crache dessus parce qu’il y a juste à les cueillir sans ouvrir son porte-monnaie. Il y a des auteurs, évidemment, qui n’osent pas sortir de leur cachette, on aurait envie de leur balancer des coups de pieds quelque part pour les faire avancer. Il faut les débusquer, ça vaut vraiment le coup, il m’arrive de chercher à partager certaines lectures et ces partages recueillent souvent une indifférence à peine polie. Et franchement, à force, ça me gonfle sinon plus – les termes que je devrais honnêtement utiliser seraient trop grossiers, donc j’éviterai.
Je pensais que j’ai passé par toutes les phases, en ce qui concerne la visibilité de mes écrits. Une fois, j’ai créé un blog pour écrire un roman (ou je ne sais pas ce que c’était, d’ailleurs) en me faisant passer par la blogueuse… (Oui, j’sais…)