- La Loi Lang sur le prix unique du livre
- La Loi Lang sur le prix unique du livre – points de vue et détournements
La Loi Lang, de son vrai nom « Loi 81-766 du 10 août 1981 modifiée relative au prix du livre », est une spécificité française méconnue. Bien que quelques autres pays aient adopté des textes qui s’en rapprochent, l’intervention de l’État dans le domaine du commerce de la culture n’a eu lieu qu’en France. Mise en place lorsqu’on a commencé à craindre pour la pérennité des librairies françaises, le but premier de cette loi était de réglementer le marché pour aider les petits commerces à s’en sortir. Objectif atteint ? Pas vraiment.
Que dit la loi et comment s’applique-t-elle?
La loi Lang tire son nom écourté du gouvernement qui l’a mise en place. Si vous souhaitez avoir accès au texte complet, c’est par ici, mais je vous préviens, c’est indigeste. Les deux phrases-clés de cette loi, celles qui permettent d’en comprendre l’essentiel sans se retourner le cerveau, se trouvent dans l’article 1 :
« Toute personne physique ou morale qui édite ou importe des livres est tenue de fixer, pour les livres qu’elle édite ou importe, un prix de vente au public. »
« Les détaillants doivent pratiquer un prix effectif de vente au public compris entre 95% et 100% du prix fixé par l’éditeur ou l’importateur. »
En plus simple : l’éditeur fixe le prix du livre et le libraire (quel qu’il soit) n’a pas le droit d’appliquer une remise supérieure à 5% sur ce même prix.
Cas pratique : j’achète un livre de poche dont le montant affiché est de 7€. J’ai la carte Fnac, j’achète sur Amazon ou alors mon libraire de quartier est super sympa et accepte de me faire une remise. Cette remise sera donc de 5% maximum.
7*5/100 = 0.35
7 – 0.35 = 6.65
Je paierai mon livre 6.65 €, du moins si le détaillant qui me le vend respecte la loi.
À vous, consommateur, cette remise peut vous sembler ridicule. Le libraire, lui, affiche une perte qui peut peser lourdement sur son chiffre d’affaire qui n’est déjà pas forcément mirobolant.
Les cas particuliers
Bon, jusque-là, c’était à peu près facile. On a édicté la règle générale. Maintenant, venons-en aux exceptions.
« Article 3 : (Modifié par Loi 2003-517 du 18 Juin 2003, art. 4, JORF 19 juin 2003) Par dérogation aux dispositions du quatrième alinéa de l’article 1er et sous réserve des dispositions du dernier alinéa, le prix effectif de vente des livres peut être compris entre 91 % et 100 % du prix de vente au public lorsque l’achat est réalisé :
1° Pour leurs besoins propres, excluant la revente, par l’État, les collectivités territoriales, les établissements d’enseignement, de formation professionnelle ou de recherche, les syndicats représentatifs ou les comités d’entreprise ;
2° Pour l’enrichissement des collections des bibliothèques accueillant du public, par les personnes morales gérant ces bibliothèques.
Le prix effectif inclut le montant de la rémunération au titre du prêt en bibliothèque assise sur le prix public de vente des livres prévue à l’article L. 133-3 du code de la propriété intellectuelle. Le prix effectif de vente des livres scolaires peut être fixé librement dès lors que l’achat est effectué par une association facilitant l’acquisition de livres scolaires par ses membres ou, pour leurs besoins propres, excluant la revente, par l’Etat, une collectivité territoriale ou un établissement d’enseignement. »
Traduction : la remise accordée peut atteindre les 9% (soit 0,63€ sur un livre de poche dont le prix éditeur est de 7€) lorsque le livre est vendu à l’Etat, aux collectivités territoriales, aux établissements d’enseignement, aux syndicats, aux comités d’entreprise, ou aux bibliothèques, à la condition que ces organismes ne revendent pas les livres qu’ils ont ainsi achetés.
Par exemple, un collège qui achète ses manuels scolaires peut bénéficier de 9% de remise sur leur prix à condition qu’il les mette gratuitement à dispositions des élèves. Si l’établissement les leur revend, alors la remise à l’achat ne peut excéder les 5% énoncés dans l’article 1er.
« Art. 4. – Toute personne qui publie un livre en vue de sa diffusion par courtage, abonnement ou par correspondance moins de neuf mois après la mise en vente de la première édition fixe, pour ce livre, un prix de vente au public au moins égal à celui de cette première édition. »
Pour éclairer cet article, il convient d’expliquer ce dont il est question. Qu’est-ce qu’une personne qui diffuse un livre par « courtage, abonnement ou correspondance » ? Il s’agit tout simplement des clubs, à l’image de France Loisirs par exemple. On parle ici de « personne » comme dans « personne morale » et donc « organisme ayant une existence légale ».
Comment fonctionnent ces clubs ? Ils rachètent les droits sur les œuvres aux éditeurs originels en vue de rééditer les textes. Si vous êtes un adepte de ce genre de prestataires, vous avez pu constater vous-même que les couvertures différaient, entre autres. Le gros « plus » de ces clubs, c’est qu’ils vendent bien souvent les livres moins chers que la première édition. Pourquoi ? Parce qu’ils les rééditent au moins neuf mois après la sortie du livre d’origine. Ils bénéficient donc d’une certaine latitude pour fixer leur prix. S’ils décident de rééditer une œuvre moins de neuf mois après sa première publication, ils sont dans l’obligation de fixer un prix au moins égal à celui du premier éditeur.
« Article 5 : Les détaillants peuvent pratiquer des prix inférieurs au prix de vente au public mentionné à l’article 1er sur les livres édités ou importés depuis plus de deux ans, et dont le dernier approvisionnement remonte à plus de six mois. »
Ce qui veut dire que oui, votre libraire peut appliquer une remise supérieure à ces 5% pourvu qu’il ait le livre en stock depuis au moins six mois et que celui-ci ait été édité depuis plus de deux ans. On pourrait croire que ça donnerait lieu à des remises plus souvent, mais en fait pas du tout. Pourquoi ? Parce que votre libraire est un commerçant et que garder pendant six mois des bouquins en stock qui ne se vendent pas, c’est une perte de place et donc une perte d’argent. Si on bloque de l’espace pour Le guide de la cuisine à la limace pour les nuls, on en a moins pour stocker le dernier Nothomb. Or le Nothomb (allez savoir pourquoi) se vend bien mieux que notre super guide et il est donc bien plus intéressant de l’avoir en stock. Le libraire fera donc jouer le système des retours et renverra à l’éditeur/au distributeur les ouvrages qu’il ne parvient pas à vendre.
Au final, cette loi Lang est un peu compliquée. Quand on rentre dans les détails. Mais pour le lecteur lambda, elle est très simple : soit votre livre est très récent (il est sorti il y a moins de deux ans) et il est inutile d’espérer une remise supérieure à 5%, soit il est plus ancien et vous pouvez l’envisager. La plupart du temps, en tous cas, une même édition d’un même livre doit être vendue au même prix, quel que soit le détaillant, ce qui est censé limiter la concurrence et donc permettre aux petits commerces de survivre face aux grands groupes, tout en assurant au lecteur-consommateur des prix raisonnables et constants.
Alors cette loi a-t-elle atteint son objectif ? Qu’en pensent les principaux acteurs du domaine ? C’est ce que nous verrons dans la deuxième partie.
Merci pour cet article !
Pour le compléter, l’éditeur (que ce soit une maison d’édition ou auteur auto-édité) peut proposer des remises supérieures à 5% pendant les phases de souscription (pré-commandes avant publication du livre) et de lancement (période commençant à partir de la commercialisation), sans non plus pouvoir vendre à perte, ce qui est interdit par la loi.
A bientôt, Fred
Merci pour cette précision, je ne le savais pas du tout ! Et ça donne des perspectives intéressantes pour booster un lancement 🙂
Effectivement, il est bon de le préciser. J’avais oublié de l’intégrer mais certains auteurs auto-édités (dont notre Vanessa nationale!) pourraient être intéressés.
Je vais aller faire un tour sur votre site, qui m’a l’air très intéressant!
Ahah, je n’ai encore rien fait, mais effectivement, j’ai tout de suite imaginé les possibilités pour le lancement de mon roman en autoédition, si je choisis finalement cette voie…
Il y a aussi quelque chose que j’avais vu passer il y a quelques années, comme quoi l’éditeur n’avait pas le droit de proposer des frais de port gratuits ? En tout cas, il y avait eu des soucis pour Mille Saisons, car le port était gratuit, et apparemment, ce n’était pas légal. Est-ce que ça tombe aussi sous la loi Lang ? Du genre parce que les frais de port sont gratuits sur la boutique de l’éditeur, cela correspond indirectement à un rabais sur le prix éditeur fixé derrière le livre ?
Eh bien, Amazon, entre autres, a eu des souci car le site offrait les frais de port. Ils ont notamment payé des amendes astronomiques! Le souci, c’est que la loi Lang interdit les « ventes à prime », considérées comme une remise supplémentaire excédent donc les 5% d’origine. Mais le concept de vente à prime n’est pas très clair et les décisions de justices se sont parfois contredites, certaines condamnant la gratuité des frais de port comme étant une prime, d’autres disant le contraire… J’en parlerais plus en détail quand j’aborderais l’avis des libraires et les différents détournements de cette loi dans la suite de l’article.
Merci pour cette précision, je ne le savais pas du tout ! Et ça donne des perspectives intéressantes pour booster un lancement 🙂
Ness a commenté sur [ESPACES COMPRISES]:
Merci pour cette précision, je ne le savais pas du tout ! Et ça donne des perspectives intéressantes pour booster un lancement 🙂