En juillet 2001, j’ai 19 ans tout frais et je quitte l’Afrique du Sud avec mon Bac L dans la poche et le projet d’être psychologue en tête. En septembre, j’arrive à Montpellier. Le rêve d’être publiée, malgré les trois romans que j’ai déjà commis, est si bien enfoui en moi qu’il est inexistant. Je suis convaincue que je rentrerai en Angola (en avez-vous déjà entendu parler ?) et serai psychologue tout-terrain pour les enfants-soldats de mon pays.
C’est cela, oui.
Quelque part en chemin, la psychologie est reléguée au dernier plan. J’ai appris à réfléchir en français, alors dans mon esprit, j’ai plus de chances d’être publiée en France que n’importe où ailleurs et le marché français me convient infiniment mieux que le lusophone. Je décide alors de reprendre Vents qui soufflent (c’est d’un poétique…) que j’ai écrit à l’âge de 17 ans. Ça raconte l’histoire d’une danseuse contemporaine, Alyzée (alizé, vent, tout ça), qui rentre à Paris après dix ans d’absence pour se venger. À l’époque, mes cousines (dont l’aînée avait 30 ans) avaient adoré et c’était pour moi un gage de qualité que d’être appréciée par des adultes (sainte innocence). Je n’ai pas l’original avec moi, je le réécris donc de mémoire. Quand je termine, mon roman s’intitule Gazelle (le surnom d’Alyzée). Je crois, du haut de mes 20 ans tout frais, que c’est un très bon roman et que quiconque me signera fera une très belle affaire (et quelle affaire !).
Je ne connais rien à rien au milieu de l’édition. Je ne suis pas uniquement provinciale, je suis étrangère, je viens du bout du monde. Je n’ai aucune raison de savoir comment fonctionnent les soumissions, quels sont les différents types de contrats et les pigeonnades à éviter. Je ne sais rien. Nada. Nadica de nada. Je ne sais même pas si, en 2002, il y a déjà des blogs sur l’impitoyable milieu de l’édition français.
J’écris à quelques éditeurs pour demander s’ils acceptent les romans de jeunes étrangères. Tout le monde il est gentil. Les éditions Anne Carrière m’encouragent à soumettre chez eux et tout et tout (je punaise même la lettre au mur de ma chambre) (sainte naïveté). On m’encourage à soumettre, donc je le fais, je ne suis pas compliquée comme fille. Très vite, premières lettres de refus, « envoyez un chèque de cinq euros pour qu’on vous retourne votre manuscrit », blablabla.
Un jour, je regarde le programme télé et je vois une annonce des Éditions Dagobert (en vrai, vous n’avez qu’à lire sur la couverture) qui cherchent de nouveaux auteurs. C’est un signe divin, mon cœur palpite, je sens que c’est le moment. Je soumets Gazelle. Très vite, l’été 2003, je reçois une lettre qui, je crois, va changer ma vie.
Finalement, elle la changera bien, mais pas de la manière dont je rêvais.
Dagobert veut me faire signer un contrat, il me promet une distribution dans toutes les grandes librairies nationales, des revues de presse dans les plus grands quotidiens. Moi, 21 ans (toujours frais), naïve et avec un rêve, je dis : « oh oui, Dagobert ! ».
Lorsque je reçois le contrat, je ne tique même pas sur le fait qu’il faille payer la publication (quatre versements d’environ 850 €) (l’ignorance coûte cher). Je me souviens d’une interview de Paulo Coelho (PC pour les intimes), à l’époque mon écrivain favori, où il raconte qu’il n’avait pas voulu investir dans un livre auquel il ne croyait pas et qu’il avait alors fait un autre choix de premier roman. Je ne cherche pas à savoir ce qu’il voulait dire exactement : investir, c’est forcément de l’argent. Je crois donc que tout les primo-romanciers (je ne connaissais pas ce terme à l’époque) investissent dans leurs premiers romans. Ça ne peut que marcher, il suffit de voir le succès planétaire de PC. Avant de signer le contrat, je le montre à mon père, qui veut bien me faire le cadeau et dit « ok ».
Je signe le quatrième et dernier chèque fin 2005. Je n’ai pas de contact privilégié dans la boîte, je ne sais même pas à qui j’ai affaire quand j’ai quelqu’un de chez Dagobert au téléphone. Je corrige seule les épreuves. Je parle quotidiennement trois langues, je commets des barbarismes à longueur de journée, alors imaginez le carnage. Je note sur une feuille mes remarques de peur qu’ils ne les loupent.
À cette époque, je commence à fréquenter des forums de lecture et c’est en parlant en privé avec un des participants que j’apprends que j’ai en fait signé un compte d’auteur. Je ne veux pas le croire. Il y a des écrivains qui ont signé plusieurs fois de suite avec Dagobert, il devait bien y avoir quelque chose de bien. La sortie de Gazelle est annoncée pour mai 2006, mon roman est envoyé à une dizaine de quotidiens nationaux et régionaux (sans résultats). J’essaie de me voiler la face le plus longtemps possible, mais c’est trop tard, le mal, pour moi, est déjà fait.
Une fois, dans le train, ma sœur lisait mon roman à côté de moi et me demandait régulièrement « c’est vraiment comme ça qu’on dit ça ? ». À voix haute, cela me semblait immonde, il y avait de ces lourdeurs… Aujourd’hui, je suis correctrice, mais je ne me corrige pas, alors à l’époque ! Il n’y a pas eu de travail éditorial, il n’y a eu personne pour me guider et pour me dire qu’il fallait nettoyer tout ça.
Je suis entrée dans le milieu de l’édition par la mauvaise porte, celle du fond, dans la cuisine, et je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas de passage vers la grande salle.
Pendant des années, je n’ai pas parlé de ce premier roman. L’histoire est maladroite, j’ai honte du produit final. Ce roman figure toujours dans ma bibliographie – j’assume –, mais c’est comme le cousin dont tout le monde a honte. On le glisse entre tous les autres pour qu’il soit moins vu. Ces choses-là, personne ne me les a expliquées. C’est après la sortie de Gazelle que j’ai tout appris. C’est un peu comme si j’étais tombée du haut d’un pont sans élastique.
Si vous signez en connaissance de cause alors que tout le monde vous dit de ne pas le faire, ne criez pas à l’arnaque, ne parlez pas de mauvaise expérience dans l’édition.
Parce qu’on vous l’a bien dit.
Moi, en tout cas, je vous l’ai bien dit.
Et pas qu’une fois.
Merci pour ce témoignage qui devrait être lu par tout premier auteur. Vous reprenez bien les différentes variables qui font du compte d’auteur un commerce juteux : naïveté, espérances et méconnaissance de l’auteur. Dans un marché où l’argent est plus simple à trouver dans la poche des auteurs que dans celle des lecteurs, il faut toujours se méfier des « services » vendus aux auteurs. Dans votre cas, il est triste de penser que des communautés d’auteurs auraient gratuitement fait un meilleur travail de relecture que ce soi-disant éditeur.
L’ignorance est un fait et j’avoue qu’à l’époque, je n’aurais même pas su comment me renseigner. Ça ne me viendrait pas à l’esprit de chercher l’historique de la maison, par exemple. Aujourd’hui, si je dois soumettre un roman, je sais à quel éditeur je veux l’envoyer, je ne tente pas les maisons qui me sont 100% inconnues (pour une question de ligne éditoriale, aussi).
Mais le pire, c’est qu’on peut prévenir de jeunes écrivains sur ce cas de figure, et ils signent quand même « parce que c’est un début ». Moui. Et quel début !
J’ai déjà vu sur un forum quelqu’un qui disait : « Ne pas payer pour être édité, je n’y crois pas ! »
Dans un monde où rien n’est gratuit, le truc lui semblait trop beau…
Même en racontant ma propre expérience, je crains de ne pas avoir réussi à convaincre cette personne.
C’est triste d’arriver à penser de cette façon ! Peu étonnant que tous les ans, de nouveaux Dagoberts se créent et s’enrichissent…
Merci pour ce témoignage dans lequel je me suis retrouvé dans de nombreux points avec une petite maison d’éditions à compte d’auteur également. Depuis je ne cherche plus à être édité ou alors à de très rares reprises lorsque j’essaye de participer à des appels à texte mais j’ai été dégoûté à la limite de ne plus jamais écrire (même si c’est presque le cas).
Une mauvaise expérience ne devrait jamais arrêter quelqu’un d’écrire, je trouve ça dommage. J’ai cumulé les mauvaises expériences et D* seul sait que je n’ai pas cessé pour autant. L’écriture et l’édition sont deux univers à part, ne les laisse pas te couper l’inspiration. 🙂
L’écriture n’est maintenant pour moi que très très passagère, une esquisse et puis s’en va que l’on pourra qualifier ça ^^.
Peut-être qu’un jour, l’envie d’écrire se refera plus pressante, voire même le courage de retravailler tous les textes qui ne sont que des premiers jets mais comme tu dis, D* seul sait.
J’espère que la passion te reviendra. 🙂
Eh bien, s’il en est ainsi, je reviendrais me faire bêta lire et faire de la bêta lecture sur Cocyclics ^^.
Merci Jo Ann, c’est précis et franc, tout y est. Le problème est que la plupart des gens se renseignent après…
Oph, pour répondre à ton gars sur « Ne pas payer pour être édité, je n’y crois pas ! », tu aurais pu lui demander : « qu’entendez-vous par « être édité » ? » Si la réponse avait été « figurer en librairie », tu aurais su quoi rétorquer.
Enfin, je précise, comme je le fais partout à propos du compte d’auteur, que ce n’est pas en soi une pratique vertueuse ou condamnable ; cela dépend précisément du besoin de l’auteur/client : http://ecriture-livres.fr/publier-livre-1001-conseils/compte-d-auteur-bien-ou-mal
Mais même quand on parle (il suffit d’aller dans les forums), les plus jeunes insistent « il faut bien commencer quelque part » ou « je veux passer à autre chose ». Désabusée, parfois. Si on veut juste avoir un objet livre pour la famille, pourquoi pas hein (passez par Lulu, c’est moins cher). Mais pour ceux qui veulent être publié « en vrai »…
Pour moi, Lulu et les sites d’imprimeurs à la demande ne sont rien d’autre que du compte d’auteur. En arrivant sur ces sites, on est traité comme un auteur qui veut publier, pas comme le détenteur d’un texte que l’on veut faire imprimer.
(sinon comment on fait pour suivre un sujet ?)
C’est le moindre mal : on ne paie rien en mettant son roman en ligne et on le retire à n’importe quel moment. Mon roman est encore en vente sur Amazon, par exemple…
En attendant un petit bouton sympa : http://espacescomprises.com/mecompte-dauteur/feed/
(soit URL de l’article + /feed/)
Pour tout le site : http://espacescomprises.com/feed/
Pour tous les commentaires : http://espacescomprises.com/comments/feed/
Merci Jo Ann, j’ai trouvé ton témoignage émouvant. Je me rappelle la première fois que j’ai fait une recherche sur les éditeurs il y a 10 ans : je suis tombée sur l’Oie Plate. Ils font eux aussi un travail de prévention formidable. Même s’il reste des incrédules, ce genre d’information fait mouche chez beaucoup d’aspirant-écrivains, c’est très utile. J’ai vu l’immense stand de Le Manuscrit au salon du livre à Paris, avec une dizaine d’auteurs alignés derrière leurs piles de romans à dédicacer et pas un seul lecteur. L’allée était cruellement vide. J’ai eu le cœur serré en passant devant eux. Malheureusement, les marchands de rêve ont encore de beaux jours devant eux (et pas que dans l’édition ;-))
Mon souci avec l’Oie Plate c’est que des années se passent entre chaque mise à jour.
Jean-Christophe a également témoigné sur son expérience chez le Manuscrit. Et dire qu’ils continuent !
Quand je disais L’oie Plate, je pensais à la section « conseils aux auteurs » de leur site internet, la présentation est vieillotte (ils parlent même de disquette!), mais concernant les arnaques à compte d’auteur, tout y est.