Ce titre vous choque ? Moi aussi. C’est pourtant ce que j’entends régulièrement autour de moi… Récemment, sur Facebook, quelqu’un (un tantinet provocateur, à mon avis) a lancé à la ronde qu’un correcteur ne servait plus à rien depuis qu’il y avait des logiciels de correction orthographique. Oui. D’ailleurs, dans le même ordre d’idée, je vous annonce que les architectes ne servent plus à rien depuis qu’on peut télécharger gratuitement des programmes d’architecture 3D et faire sa propre maison en quelques clics.
La correction est un métier. Qui s’apprend. Alors quand j’entends des éditeurs me dire « non, mais tu comprends, c’est vrai que tu nous fais un bon prix, mais j’ai une amie prof de français qui… La secrétaire de mon beau-frère est super bonne en orthographe et… », ça me crispe un peu. Vous imaginez le même dialogue transposé dans un métier plus « manuel » ? « Non, mais vous comprenez, Monsieur le terrassier, mon petit-fils a coulé une fois une dalle de béton pour son hamac, alors ma terrasse, là… » « Mon cousin a une scie, il va pouvoir me couper mes planches et me faire ma toiture… ». Allez, une dernière : « mon petit frère sait utiliser Photoshop, regardez, d’ailleurs il a fait un super montage photo, là, c’est lui qui va s’occuper des couvertures des prochains romans, pas besoin d’engager un graphiste, parce que vous savez, maintenant, avec Photoshop, tout le monde peut faire une couverture, ahahah ». Ah non, celle-là, elle est bien réelle…
Mais au juste, que fait le correcteur ?
Bref, revenons-en à la correction. Parce que derrière ce que beaucoup considèrent comme un simple substitut humain à un logiciel orthographique bien moins cher se cache un vrai métier. Un correcteur va, évidemment, s’occuper de vérifier la grammaire et l’orthographe d’un texte (ça, vous vous en doutiez un peu, je pense), mais il va également se charger de tout ce qui est typographie (où faut-il mettre une majuscule, où n’en faut-il pas, est-ce que ce mot est en italique ou en romain, est-ce une espace sécable ou une espace insécable, faut-il des tirets à cet endroit…). Déjà, l’amie prof de français et la secrétaire du beau-frère commencent à pédaler un peu, là. Un correcteur vérifie aussi le fond en lui-même, en plus de la forme. Les faits sont-ils corrects ? Telle date historique est-elle juste ou pas ? Est-ce bien Trucbidule qui a gagné le marathon intervillages de 1972 ? (Bon, je ne sais pas si un marathon intervillages existe, mais vous voyez ce que je veux dire.) Quelle est la température d’ébullition de l’eau à 3 500 mètres d’altitude ? Le Coca-cola existait-il en 1918 ? Est-il logique qu’un personnage touché à l’artère fémorale cavale encore deux heures après ?
Vous l’aurez compris, un correcteur, c’est un peu le guichet d’information universel. Il doit emmagasiner énormément de connaissances, dans des domaines très différents. Après, il existe des correcteurs spécialisés dans diverses branches un peu pointues, genre la médecine ou le droit.
Un correcteur va également vous signaler des problèmes de cohérence. Vous venez d’écrire que deux mois se sont passés depuis l’anniversaire de votre héros fin juin et il sort pour découvrir un paysage couvert de neige et des décorations de Noël sur les fenêtres ? Normalement, un éditeur devrait relever ce genre de choses, mais ce n’est pas toujours le cas, et le correcteur est là comme dernier « filtre » avant le lancement public de l’ouvrage. Certes, l’exemple que je viens de citer est un peu extrême, mais moins que ce que l’on trouve malheureusement dans certains romans…
Un correcteur est avant tout un lecteur, et en tant que tel, il peut tout à fait être choqué par la tournure d’une phrase ou l’autre, par le comportement complètement aberrant d’un personnage. Pour ma part, je le signale dans la marge, avec des suggestions de réécriture (volontairement « basiques », car mon but n’est pas de m’immiscer dans le texte et de diriger l’écriture de l’auteur, mais bien de lui donner une direction différente à explorer, s’il le souhaite) ou mes impressions sur une scène ou un bout de dialogue qui m’ont dérangée. Certains auteurs pourraient crier au scandale, dire que ce n’est pas mon rôle, que c’est leur œuvre, que je n’ai pas le droit d’y toucher, etc., après, c’est comme ils veulent, ils peuvent choisir de ne rien changer. Mais comme je l’ai dit, un correcteur est avant tout un lecteur. Si quelque chose l’a profondément dérangé pendant sa lecture, il serait bon que l’auteur lui accorde quelques minutes avant que ce même quelque chose ne dérange les milliers de lecteurs potentiels.
Pourquoi engager un correcteur…
Le correcteur est, à mon sens, un élément essentiel de la chaîne du livre. Tout aussi essentiel qu’un graphiste. Une maison d’édition ne fera pas l’impasse sur une couverture (encore que, parfois… on se demande), parce que c’est ce qui va attirer le lecteur. Ça se comprend, évidemment. Dans une démarche purement commerciale, on veut vendre, on veut que le chaland achète. Après, si la qualité est mauvaise, on s’en fout, le livre est vendu. Oui, mais non. Car non seulement le lecteur est desservi, mais l’auteur aussi, et les autres auteurs de la même maison d’édition le sont également. Si vous achetez un roman, que vous l’ouvrez, qu’il est bourré de coquilles, d’incohérences, de phrases lourdes, et que de peine et de misère vous parvenez à la fin, allez-vous recommander cet auteur à vos amis ? Allez-vous mettre une bonne critique sur un site ? Allez-vous acheter des romans du même auteur ? De la même maison d’édition ? Chat échaudé craint l’eau froide. Personnellement, si j’achète quelque chose au magasin, dans un joli emballage, et que quand je l’ouvre, je vois que c’est de la très mauvaise qualité, le genre qui va se casser après deux utilisations, je vais aller gueuler. Les gens commencent à avoir ce réflexe pour les livres : ils vont gueuler sur les sites de critique.
Le problème du marché actuel
De nos jours, les éditeurs veulent investir de moins en moins. Certes, le marché du livre se casse la figure, les livres ne se vendent pas, il est difficile de rentabiliser une couverture (alors un correcteur, pensez-vous !)… Du coup, on fait un joli emballage, et derrière, l’objet est bien là, mais il n’est pas aussi bien fini qu’avant. C’est d’autant plus vrai avec les éditeurs exclusivement numériques. Avec un prix tournant autour des 6 €, c’est très difficile de dégager assez de bénéfices une fois qu’on a retiré la part du libraire et la part de l’auteur pour payer une couverture et un correcteur. Donc c’est le correcteur qui part en premier (la prof de français, la secrétaire du beau-frère, la petite sœur en prépa littéraire seront trop heureux de le remplacer). Le graphiste est souvent payé à coup de lance-pierres. L’auteur aussi, notez bien.
Malheureusement, on va de plus en plus vers un marché de livres « low-cost », vaguement relus, avec une couverture créée en deux coups de cuillère à pot, et je ne vais même pas me lancer sur le sujet de la qualité du travail éditorial, car cela nécessiterait un article entier. C’est dommage, mais je dois dire qu’il n’y a pas vraiment de solution.
Quand je vois des livres publiés par de petites maisons qui contiennent quelques fautes ou des coquilles, je suis indulgente. Quand je vois d’autres livres, publiés par de grandes maisons d’édition qui ont clairement les sous pour payer un correcteur, bourrés de fautes, avec un travail éditorial très limite, je trouve ça inadmissible. Éditeurs, respectez vos lecteurs (et vos auteurs, mais ça, logiquement, ça va de soi) !