Souvent, je tombe sur des « cartes » qui disent J’aime l’odeur des vrais livres. Ou Un livre papier a une âme. Ou encore Rien ne vaut le livre papier et ces pages qu’on tourne. Je tombe aussi, souvent, trop souvent, sur des discussions où un/e intervenant/e est catégorique : Je hais le numérique ! C’est la mort du livre ! Le numérique est une voie de garage ! Cette guerre entre le « vrai livre avec une âme » et le « brouillon numérique par dépit » est lassante en plus d’être totalement ignorante.
Il y a quelques années, j’étais de celles et ceux qui ne voulaient pas troquer le livre papier pour rien. Je regardais les blogueuses littéraires qui troquaient l’encre pour l’e-ink et je me disais « Zeus, comment c’est possible ?! Quelle trahison ! ». Note : je me disais. À aucun moment, je ne suis allée attaquer ces mêmes blogueuses parce qu’elles testaient, à chacun son éducation… Puis, en 2012, ma vie a changé. Je vivais entre deux pays (l’un des deux pays étant loin sous les Tropiques) (Quand on dit Tropiques, on pense de suite aux Caraïbes. Non, camarades, ce ne sont pas ces cocotiers-là.) (En plus, il n’y a pas que des cocotiers, sous les Tropiques, il y a aussi des gratte-ciels modernes, en verre et béton armé dernier cri.) et je n’avais plus mes livres avec moi. J’avais (et j’ai…) une centaine de romans papier qui attendaient patiemment que je me dévoue et leur consacre du temps, mais le temps, je n’en avais pas/plus, et je n’ai pu qu’emmener trois livres dans mon sac à dos en me demandant si je ne faisais pas une erreur. C’est vrai, quoi, de 100+ romans, pourquoi ces trois-là ? Pour la bibliophile que je suis, c’était un crève-cœur. Pendant que j’étais sous le soleil (c’est pour l’image, hein ? Je n’aime pas trop le soleil, au fait.), j’ai terminé mes trois romans et je me suis penchée sur les livres qui étaient à ma disposition, mais aucun n’était en français. (Note pour ceux qui viennent de tomber sur [EC] — Bienvenue, au passage —, je ne suis ni française ni francophone de naissance.) Et j’avais besoin de lire en français, et j’ai eu la panne de lecture de ma vie. Là où j’étais, la poste est inexistante, alors rien que de penser commander un livre en France pour le faire expédier c’était de l’utopie (j’attends toujours une lettre et ça fait deux ans qu’elle a été envoyée…). J’ai lu des manuscrits qu’on m’envoyait en .pdf et c’était pénible, non pas parce que c’était du .pdf, mais parce que je ne pouvais lire que sur mon ordinateur et c’était pas l’idéal. À ce moment-là, j’ai commencé à envisager sérieusement l’achat d’une liseuse. Quand je suis rentrée en France, j’ai sauté le pas et j’ai acheté mon deuxième meilleur ami après l’ordinateur. Pouvoir acheter un livre en un clic et le lire une seconde plus tard, même à l’autre bout du monde, c’était comme un rêve. Après avoir été privée pendant des mois, me revoilà plongée dans la littérature francophone. C’était l’euphorie, je venais de découvrir le chocolat.
En découvrant le format numérique, mon moi-lectrice était comblé. Restait le moi-écrivain, celui qui ne pouvait pas les soumettre parce que les soumissions papier étaient impossible. Je ne lisais quasiment plus que des e-books, c’était l’idéal pour la nomade digitale que j’étais. Vivre entre deux continents, faire toujours attention à l’excès de bagages et être passionnée de littérature, l’équation est vite faite et le résultat est vite trouvé : le numérique était ma solution. Alors j’ai soumis des romans à des maisons d’édition exclusivement numériques. Ce n’était pas par dépit, c’était un véritable choix qui s’inscrivait dans mon mode de vie. Depuis, j’ai publié cinq livres, un en papier (et j’ai dû attendre un nouveau passage en France pour l’avoir dans les mains, ce qui est vraiment frustrant pour un écrivain) et quatre exclusivement en numérique. Et selon les retours que j’ai eus, j’ai pu faire rire, sourire et pleurer avec mes textes digitaux et ils ont autant d’âme que s’ils avaient été imprimés.
Ce n’est pas le support qui fait le livre. Ce n’est pas le support qui donne l’âme à votre écrit. Ce sont les mots. Et les mots n’ont pas besoin de papier pour vivre. On peut être ému quand on entend un conteur, quand on écoute une musique, quand on voit un film. À aucun moment, le support n’a été la raison pour laquelle vous avez ri, souri, pleuré, ou/et réfléchi. À aucun moment, le papier n’a été la raison pour laquelle une histoire est devenue vivante. L’imagination n’a pas besoin de papier et d’encre, elle a juste besoin d’expression. Un tableau. Une sculpture. Ou pas. La paréidolie joue de vos sens, vous raconte quelque chose. Vous avez le droit de ne pas aimer le numérique. Vous avez le droit d’adorer l’objet livre. Je suis un auteur numérique et je ne hais pas le papier, je ne le renie pas. Les deux formats peuvent vivre ensemble (trois formats, d’ailleurs, avec le livre audio !). C’est clairement plus facile de faire dédicacer un livre papier (même si dédicacer un e-book est tout à fait possible). C’est beau, ces étagères qui croulent sous les livres, ces couvertures dans les rayons d’une librairie. Mais avoir ma bibliothèque, de 100+ livres dans un objet fin comme un passeport, avoir accès à toutes mes lectures à l’autre bout du monde sans passer par le dilemme du livre à emporter… Quel pied !
Les gens, vous aimez lire. Alors lisez. Papier. Liseuse. Papier toilettes. Boîte de céréales. Notices. Peu importe. Lisez. Vous n’avez pas eu besoin de papier pour imaginer, vous avez besoin de mots. Alors voyagez avec les mots et les histoires qu’on vous raconte. Le support, franchement, n’est qu’un détail.
Bonnes vacances et bonnes lectures. 🙂
Jo Ann von Haff.