Pourquoi j’aime les genres (2/2)

Suite et fin de Pourquoi j’aime les genres par Manon Bousquet.

Bon, alors on dira que c’est mal écrit – ce qui est faux –, mais il va falloir sortir un argument plus convainquant.
epousedeboisCette fois, je sors mon petit favori toutes catégories : L’Épouse de bois de Terri Windling (1996). Avec un légendaire varié et coloré, anglais et amérindien, le style nous emporte dans le désert de l’Arizona : il est poétique, fluide et pourtant jamais simpliste. (Saluons au passage le remarquable travail de traduction de Stephan Lambadaris, pour l’édition aux Moutons Électriques.)
Juste derrière, Même pas mort et Gagner la guerre de Jean-Philippe Jaworski, deux romans auxquels on peut rajouter le recueil Janua Vera. Là, aucun traducteur à suspecter d’avoir embelli le style : la verve est toute française, gouailleuse avec le narrateur de Gagner la guerre, soignée dans Même pas mort. L’auteur y déploie des trésors de la langue française, de tous les registres et sur tous les tons, il joue avec les mots. D’ailleurs, si dans Gagner la guerre, le devant de la scène est occupé par les complots, des échauffourées et mésaventures du narrateur, le fond évoque les dérives d’une oligarchie. Dans une interview, l’auteur explique que son livre est une lecture principalement pour s’évader et se divertir, mais que cela n’empêche en rien « une arrière-pensée politique. »

Je recherche souvent un style recherché dans mes lectures, car tout autant que les contrées que l’on visite avec eux, ils me font voyager au creux des mots. Et je trouve dommage qu’on diminue la qualité stylistique d’un livre pour une raison ou pour une autre, mais plus encore à cause de son genre, de sa couverture. C’est comme dire que les classiques sont ennuyeux sans en ouvrir un seul.
Ces préjugés mutuels sont d’autant plus dommage que certains livres connus et reconnus comme des classiques appartiennent aussi aux littératures de l’imaginaire. Jules Verne a été l’un des premiers écrivains à faire de la science-fiction, et il inspire maintenant toute une génération qui se met à produire du steampunk. Théophile Gautier, Honoré de Balzac, Edgar Allan Poe… autant de noms qui ont déjà produit du fantastique. Et que dire alors des récits mythologiques, qui sont les premiers de fantasy ? Pourtant, ils sont classés avec les romans respectables. Le sont-ils moins quand on se rend compte de leur genre ?
Voilà pourquoi il ne faut pas se borner à ces frontières, bien trop mouvantes pour être arbitrairement fixées. Intrigue et style transcendent ces genres : qu’importe pour une histoire d’amour si elle se déroule au XIXe, au XXIe siècle ou dans un autre monde, elle reste une histoire d’amour. Il en va de même pour les enquêtes policières (Les souffles ne laissent pas de traces, de Timothée Rey, qui se déroule à la Préhistoire, est classé tantôt en policier, tantôt en historique, tantôt en fantasy !), et même pour les réflexions métaphysiques. Bien souvent, c’est l’éditeur qui donne le genre : certains grands noms ne mettraient jamais « science-fiction » sur ses livres, et pourtant… Heureusement, d’autres s’y ouvrent, comme Actes Sud avec sa collection d’Exofictions.

Plutôt que de me limiter à un genre, j’ai réussi à cerner ce qui me plaisait, ou pas, dans les livres que je lisais, en piochant des livres à droite à gauche, d’auteurs variés, venant de pays variés, de genres variés. J’ai fini par entrapercevoir ce qui me plaît dans la lecture, par exemple avec L’Épouse de bois (Terri Windling, Américaine, fantastique mythologique), La Renarde du désert (Xuebo Guo, Mongol, conte vaguement fantastique), etc. J’aime les récits qui m’emportent ailleurs, que cet exotisme soit lié à un pays lointain, un pays fictif, à l’imaginaire instillé dans le quotidien, que ce soit dans la plongée de l’âme humaine ou encore grâce à la simple poésie des mots. Ainsi, Le Bâtiment de pierre (Asli Erdogan, Turque, poésie pamphlétaire ?) n’a rien de beau par le fond, rien de propice aux rêveries, car l’auteure aborde des thèmes durs et actuels comme la censure, la répression, la torture, les interrogatoires et les prisons. Pourtant, ses mots montrent ces aspects sous un autre jour, qui happent entre les pages sans pathos, dans toute la beauté des mots et dans toute la réflexion qu’ils peuvent entraîner.

Mes grands coups de cœur me portent dans des mondes souvent développés, ou dans des styles recherchés, mais j’aime aussi découvrir l’insolite et le merveilleux dans notre monde. Et ce n’est pas nécessairement quelque chose d’imaginaire. Ce peut être une anecdote historique, un émerveillement pour la beauté, ce peut être la tendresse. Je pense que cet amour de l’histoire et du merveilleux a donné naissance, chez moi, à un amour inconditionnel pour les légendes et les mythes, que ce soit dans leur lecture, leur réécriture, et dans la lecture des réécritures des autres. C’est ce qui fait, en plus de leur plume superbe, que j’ai beaucoup aimé L’Épouse de bois de Windling (oui encore ! Si à la fin de l’article, il n’est pas dans votre wishlist, j’ai raté mon coup !) et Les Contes myalgiques de Nathalie Dau, entre autres livres et auteurs.

Je n’aime pas les barrières.
Pourquoi un livre de l’imaginaire n’aurait-il pas le droit à un style recherché, travaillé, poétique ou argotique ? Pourquoi dans l’esprit des gens se résument-ils à des fadaises féeriques mal écrites ? Un monde étranger au nôtre n’est-il pas le terreau le plus fertile pour la critique de notre société, comme le fit La Fontaine avec ses animaux ?
Pourquoi aimer lire pour le plaisir serait-il un mal ? Est-ce que cela empêche de réfléchir ? De penser à la gravité de ce qui nous entoure ? Non, cela nous y prépare ! Et ce, que l’on soit un lecteur « sérieux », un lecteur de l’imaginaire, ou pire. Un lecteur tout court.
Au fond, si vous avez un peu pitié des lecteurs d’imaginaire, dites-vous qu’au moins… ils lisent ! Et chaque mot est une arme…

Une petite bibliographie pour la route, des livres qui font rêver et/ou réfléchir en SFFF :

  • Bacigalupi Paolo, La Fille automate, Au diable vauvert, 2012
  • Bradbury Ray, Fahrenheit 451, 1953
  • Clarke Susanna, Jonathan Strange & Mr Norrell, Robert Laffont, 2007
  • Damasio Alain, La Horde du Contrevent, La Volte, 2004
  • Dau Nathalie, Les Contes myalgiques I & II, Griffe d’Encre, 2007 & 2010
  • Fazi Mélanie, Notre-Dame-aux-Écailles, Bragelonne, 2008
  • Guo Xuebo, La Renarde du désert, Bleu de Chine, 2001
  • Keyes Daniel, Des fleurs pour Algernon, J’ai lu, 1972
  • Le Guin Ursula K., La Main gauche de la nuit, Robert Laffont, 1975
  • Le Guin Ursula K., Le Dit d’Aka, Robert Laffont, 2000
  • Jaworski Jean-Philippe, Gagner la guerre, Les Moutons électriques, 2009
  • Jaworski Jean-Philippe, Même pas mort, Les Moutons électriques, 2013
  • Okorafor Nnedi, Qui a peur de la mort ? Panini Books, 2013
  • Pullman Philip, À la croisée des mondes, Gallimard, 2003
  • Rivero Mathieu, La Voix brisée de Madharva, Walrus et Rivière Blanche, 2014
  • Stoker Bram, Dracula, Ebooks libres et gratuits, 2004
  • Windling Terry, L’Épouse de bois, Les moutons électriques, 2010

Et pour la partie non-SFFF :

  • Erdogan Asli, Le Bâtiment de pierre, Actes Sud, 2013
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Pourquoi j’aime les genres (1/2)

Manon Bousquet est auteure de SFFF dont les nouvelles ont été publiées par Val Sombre et les Netscripteurs. Correctrice et bêta-lectrice sur CoCyclics, Manon est également co-directrice de la collection e-courts des Éditions Voy'[el].

Depuis que je fréquente le monde de la littérature de l’imaginaire, via Elbakin ou CoCyclics, je me rends compte à quel point ces genres sont mal vus par la plupart des lecteurs (étranges mises en abyme puisque de nombreux lecteurs de ces genres méprisent la romance – et pire, la romance fantastique ! – ou le roman de gare).
Je me rends compte aussi que je ne lis presque que de ça. Alors j’ai tenté de me faire une culture littéraire, pas parce que j’ai honte, mais parce que j’aime découvrir, parce que j’aime l’acte de lecture, j’aime les livres, les textes, les mots, et ce, au-delà de barrières de genres imposées pour des contraintes éditoriales. Et je me suis rendue compte que, à quelques exceptions près, je n’aimais pas souvent ça. Qu’est-ce qui me nourrit alors, dans la littérature de l’imaginaire ? Et pourquoi est-elle si décriée alors qu’elle recèle tant de trésors ?
Je n’ai pas envie de pousser un coup de gueule, il y en a assez comme ça, je pense, et je doute que ce soit en criant dans tous les sens qu’on convaincra les nobles lecteurs de l’ami Proust (j’ai rien contre Proust, je ne l’ai pas lu. Il paraît qu’il fait de très bonnes madeleines). Par contre, j’aimerais montrer à tout le monde, car même les lecteurs d’imaginaire ont des préjugés sur leurs lectures, qu’il y a des livres pour tous les goûts dans ces genres-là, qu’ils ne sont pas que pour les enfants, pas tous mal écrits, qu’ils peuvent être propices à la réflexion comme à la distraction (oui, vous comprenez, c’est mal d’écrire pour détendre les gens, leur permettre de passer un bon moment, on est censé tirer la tronche toute la journée en pensant aux problèmes mondiaux).

Avec ses belles couvertures colorées, ses aquarelles délicates, ses photomontages un peu ratés, et ses mondes féeriques, les lecteurs non-avertis prennent facilement les livres de l’imaginaire, principalement la fantasy, pour des livres pour enfants (je ne vous citerai pas les termes exacts de l’un des usagers de la bibliothèque, j’aurais peur de choquer vos chastes oreilles). J’espère qu’à terme, les éditeurs ne rangeront pas les artistes dans un placard sous prétexte de faire « plus mature », car certains titres sont de petits chefs-d’œuvre. Passons.
Cet argument est le plus simple à réfuter : sérieusement, qui laisserait son bambin de huit ans regarder Game of Thrones ? (Bon, à part ceux qui le laissent jouer à Call of Duty sans voir le gros -18 rouge derrière la boîte et qui vont colporter partout que les jeux vidéo rendent violents.) Le Trône de fer (George R.R. Martin, 1996) n’est pas la version édulcorée de la série, le monde n’y est pas spécialement beau, ni gentil, ni chaste (et heureusement, on le lit pour un peu tout ça).

Il suffit d’ouvrir un livre ou deux pour tomber sur une bataille sanglante en fantasy, une scène osée en romance fantastique juste avant d’aller régler son compte à la bestiole du coin, un petit peu de boucherie en fantastique, et… et en SF, ils sont plutôt cool, on finit par mourir dans l’espace. C’est plus propre pour les femmes de ménage. Tous les livres ne sont heureusement pas comme ça, et surtout, ce ne sont ni les scènes érotiques ni les scènes sanglantes qui prouveraient la maturité d’un livre.
Cela rejoint en grande partie un autre préjugé : les lecteurs qui n’ont que rarement, voire jamais, ouvert un livre d’imaginaire pensent qu’ils sont pleins d’aventures gentiment niaises, avec quelques batailles (nous progressons, ils savent qu’il y a des batailles, on éloigne les enfants !), et que ça se lit uniquement pour se distraire, que ce n’est pas la vraie vie. D’une part, se distraire, ça permet de se reposer l’esprit et d’être prêt à attaquer de grosses problématiques, et d’autre part, ils ont tout faux.

Qui a peur de la mort okoraforJ’aurais une foule d’exemples à citer, mais partons sur un livre qui m’a marquée pour cette année 2014, par les thèmes qu’il aborde, sa diversité, son histoire et ses personnages : Qui a peur de la mort ? de Nnedi Okorafor (2010).
La trame principale suit celle, classique, de la quête (quête de soi, quête de l’autre), mais le fond et les personnages permettent d’aborder des thèmes graves et surtout des thèmes d’actualité. L’auteur traite de nombreuses problématiques liées à l’Afrique dans son roman, certaines très en profondeur, d’autres en lisière. Elle aborde le racisme, les très violentes guerres, le viol, le rejet, l’excision, le sexisme. Autant d’obstacles pour la narratrice, femme ni noire ni blanche dans un monde sans pitié.
J’aimerais aussi parler d’Ursula le Guin qui a écrit une série de livres, Le Cycle de Hain, qui se déroule sur plusieurs planètes. Autant d’éclairages qui lui permettent d’observer l’humain sous toutes ses coutures : elle met en exergue certains traits grâce à des créatures non-humaines, mais dont les caractéristiques ne peuvent que renvoyer aux nôtres. Souvent, derrière des histoires douces-amères, elle aborde des sujets politiques et sociétaux, comme la place de la culture dans le progrès, ou encore la conception du genre ou du couple.

Autant de thématiques qui font que j’aime les littératures de l’imaginaire : elles peuvent aborder tous les sujets sans tabous, et surtout, on peut les lire comme on le désire, comme une simple aventure, ou comme une réflexion sur quelque chose. À quel moment peut-on se dire que ce sont des livres accessibles aux enfants, légers et sans réflexion ? Et cette histoire de « ce n’est pas la vraie vie » : quand on lit un livre qui se passe dans la Chine médiévale ou dans la Russie protohistorique, je doute que les auteurs aient été voir comment ça se passait. Ils ne nous rendent qu’une vision fantasmée d’un lieu qui n’existe pas vraiment…

(À suivre…)

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Sébastien Degorce, l’interview (2/2)

[FC] : Tu as sorti un autre roman, Treize mois : chroniques d’un larbin en milieu étoilé, quasiment au même moment que Les Portes noires. Peux-tu également nous le présenter ?

Sébastien Degorce : Treize mois est roman totalement différent des Portes noires. Il prend place dans notre monde. Il se déroule dans ma ville natale, au beau milieu du Berry, dans les années quatre-vingt-dix. C’est un ouvrage très cynique, dans lequel je dévoile le quotidien d’un gamin qui passe, du jour au lendemain, de l’école de Jules Ferry, où tout nous est prémâché, au milieu élitiste, voire esclavagiste, de la cuisine étoilée. C’est un roman sur les fractures entre le milieu ouvrier et la fausse bourgeoisie de province, les hypocrisies et le jeu de soumissions qu’il entraîne. J’aborde différentes questions : la drogue, la masturbation, le rapport aux autres, le passage à l’âge adulte, le monde du travail, de l’école. Il est certain que cela ferait plus un film à la Dupontel qu’un téléfilm ultraconsensuel susceptible de passer sur une chaîne de France Télévisions.

Couverture de "Treize Mois" chez les Éditeurs Tranquilles
Couverture de « Treize Mois » chez les Éditeurs Tranquilles

[FC] : Comment s’est déroulée la recherche d’un éditeur pour ce projet ?

Sébastien Degorce : De la manière la plus conventionnelle qui soit ! J’ai fait imprimer une trentaine de copies et j’ai envoyé le tout à différents éditeurs plus ou moins « alternatifs ». Les Éditeurs Tranquilles ont répondu présent, et avec beaucoup d’enthousiasme ! Ce qui est plutôt rafraîchissant quand on lit les réponses des pisse-froid de certaines maisons…

[FC] : L’éditeur t’a-t-il demandé beaucoup de changements sur ce manuscrit ?

Sébastien Degorce : L’éditeur trouvait que j’y allais un peu trop à fond avec l’argot, que cela rendait parfois le discours un peu cryptique ; alors j’ai lissé certains personnages, la coloration du personnage principal, qui est aussi le narrateur, ayant débordé (voire déteint psychologiquement) sur des personnages secondaires… il fallait effectivement équilibrer certains détails, mais rien de trop fâcheux. Nous nous sommes aussi entendus pour modifier la fin. De toute manière, entre le moment de mes envois de manuscrits et la correction des épreuves remises par l’éditeur, des idées avaient mûri.

[FC] : Tu as participé au recueil Réalité 5.0 aux Éditions Goater. Peux-tu nous parler de cette anthologie et de ton texte ?

Sébastien Degorce : Cette anthologie comprend mon tout premier texte publié. Et j’ai l’honneur de partager le sommaire avec Aliette de Bodard. Je n’ai pas une affection démesurée pour ma nouvelle, intitulée Plastique, qui ne renouvelle pas le genre de la SF, qui m’est plutôt étranger. On va dire que l’intérêt d’être publié était une coquetterie mondaine… mais je remercie encore une fois Antoine Mottier (le directeur d’ouvrage, un ami) de m’avoir tendu la main et de m’avoir permis de signer quelques exemplaires aux Utopiales de Nantes.

[FC] : Procèdes-tu de la même façon pour écrire une nouvelle et un roman ?

Sébastien Degorce : Pas du tout. Une nouvelle me vient et je l’écris tout de suite. C’est très spontané, et je réécris peu. Un roman, c’est un tout autre processus. Comme je l’écrivais à une amie il y a quelques jours, durant le travail d’écriture, je prends constamment des notes, quitte à devoir tout retravailler et organiser ensuite ; je laisse une partie de mon esprit bosser sur le sujet sans mettre vraiment la main à la pâte. C’est une opération de sédimentation (ou de fermentation) qui prend du temps, mais qui est toujours payante. J’ai appris à la respecter. Je fais le plan, mais je ne compose pas tout de suite, je priorise, en gardant à l’esprit d’où part le livre et où il doit arriver. De là, les choses mûrissent, et je cherche à distiller au mieux l’ouvrage (ce qui doit être dit, comment, par qui et sous quelles instances). Laisser ce travail de sédimentation s’opérer est payant, même si cela ressemble parfois à de la procrastination, et cela évite de devoir tout déconstruire pour rendre les choses agréables à un lecteur qui ne vous connaît pas. Donc je prends des notes avant que les choses s’envolent pour jamais. La composition vient toujours après. Cela m’évite de « remplir » avec des fadaises qui nous apparaissent une fois le livre imprimé. Le reste, c’est de la mise en scène, des choix de langage, des nuances, et du plaisir !

Couverture de "Réalité 5.0" chez les Éditions Goater
Couverture de « Réalité 5.0 » chez les Éditions Goater

[FC] : Tu écris dans des genres différents. Cela signifie-t-il que tu n’as pas envie d’être cantonné à un genre ?

Sébastien Degorce : En effet, je n’ai pas envie de me limiter à un genre. Les genres m’emmerdent. Ce sont des trucs de marketeurs occupés à faire du fric. Moi, je m’occupe à raconter ma vie, en la travestissant dans des histoires, pour lancer des messages précis. Peu importe le médium, c’est le fond qui a une valeur en soi.

[FC] : Tes lectures influencent-elles ton écriture ?

Sébastien Degorce : Oui, énormément. Surtout les ouvrages de sciences humaines dont je m’occupe, et qui m’apprennent beaucoup sur moi-même et le monde dans lequel on vit.

[FC] : Ton travail d’éditeur et de correcteur influence-t-il ton écriture ?

Sébastien Degorce : Comme je viens de le dire, c’est une source d’inspiration et de motivation. De plus, j’ai la chance de travailler avec des gens impliqués et reconnaissants.

[FC] : Peux-tu parler un peu de tes projets en matière d’écriture ?

Sébastien Degorce : Pour le moment, mon travail d’éditeur me prend tout mon temps. Je n’éprouve plus le besoin d’écrire. Et puis, je suis persuadé que pour écrire, il faut d’abord vivre des choses. Un écrivain qui n’a rien à dire, il passe un contrat et écrit des trilogies pour des grosses boîtes qui lui versent un salaire en veillant à ce qu’il respecte un canon la plupart du temps calqué sur la doxa scénaristique – voire cinématographique – du moment. J’utilise mon temps libre pour jouer de la musique et prendre soin de mes proches. Et cela laisse le temps à mes écrits déjà publiés de faire leur chemin. De plus, je suis publié par des éditeurs indépendants, et mes ouvrages, au sein de leur catalogue, n’ont pas une durée de vie limitée à trois mois…

[FC] : Que conseillerais-tu aux jeunes écrivains qui ont mis le point final à leur manuscrit et souhaiteraient le voir édité ?

Sébastien Degorce : Eh bien, je n’aime pas trop faire le donneur de leçons… je me contenterais de dire : relisez-vous, décortiquez ce que vous lisez des autres, ce que vous voyez autour de vous, méfiez-vous de ce qui caresse et endort l’esprit, allez au plus profond des choses que vous voulez exprimer, et prenez le temps de travailler pour leur donner une forme simple et digeste, quitte à y revenir, encore et encore. Faites les choses avec amour, justesse et sincérité. Osez en restant fidèles à vous-même. Et enfin, ne cherchez pas à draguer des éditeurs sans vous intéresser d’abord à ce qu’ils font. J’arrête là. Je pense que cela fait déjà beaucoup, pour qui « ne veut pas donner de leçons »…

[FC] : Un grand merci pour toutes tes réponses. Si tu as envie d’ajouter quelque chose, je te laisse le mot de la fin…

Sébastien Degorce : Merci beaucoup de m’avoir donné la parole. C’est ce qui fait vivre mes livres à présent que j’ai quitté la France. J’invite évidemment mes lecteurs à prendre contact avec moi. À bientôt !

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Sébastien Degorce, l’interview (1/2)

Après avoir participé à une anthologie des Éditions Goater en 2013, Sébastien Degorce a publié coup sur coup un premier, puis un deuxième roman dans des styles très différents début 2014. Il a gentiment accepté de répondre à quelques questions et de nous parler de son parcours.

Crédit : Cynthia Vanessa photography
Portrait de Sébastien Degorce. Crédit : Cynthia Vanessa photography

[FC] : Bonjour, Sébastien, peux-tu te présenter ?

Sébastien Degorce : Je viens d’avoir trente-cinq ans (le 13 octobre), et je suis auteur de romans. Je vis actuellement en Angleterre, dans le Yorkshire, d’où je travaille comme éditeur d’ouvrages de sciences humaines. Quoi d’autre ?… Je joue de la guitare. En ce moment, je m’essaie au blues.

[FC] : Peux-tu nous présenter Les Portes noires ?

Sébastien Degorce : Ce roman est mon tout premier ouvrage. Il a subi de multiples transformations avant de devenir ce qu’il est aujourd’hui. On peut dire que je me suis formé avec lui. Pour résumer, ce travail m’a aidé à me rendre compte que pour qu’une histoire fonctionne, il faut penser aux autres, aux lecteurs, et ne pas se contenter de se distraire soi-même en couchant ses délires sur le papier.
Il s’agit d’un roman très noir, mais toutefois porteur d’espoir. Certains lecteurs comprennent (Dieu merci !) que je n’ai pas écrit un livre de divertissement, d’action ou d’amour, mais plutôt un roman symbolique qui recèle une profondeur politique (et les prétentions qui vont avec), ce qui demande un certain effort de lecture. L’effort est payant, comme ces romans surannés du XIXe siècle ; je tiens à rassurer les flemmards !!!

[FC] : Comment as-tu imaginé l’univers de ce récit ?

Sébastien Degorce : J’ai imaginé l’univers de ce récit en m’appuyant sur deux choses : l’époque néolithique (les conjectures sur les croyances et les modes de vie), et ma fascination pour le Boischaut Sud du Berry, une région rustique et austère (voire ténébreuse) où ma famille maternelle a vécu durant plus de trois cents ans.
J’ai commencé à écrire ce roman en novembre 1997, lorsque j’ai envoyé une nouvelle sur le thème du vampire à une maison d’édition aujourd’hui disparue. J’ai ensuite écrit et réécrit l’histoire pendant des années, jusqu’à ce que je sois satisfait. Les premières moutures (disons entre 2000 et 2007) ont fait l’objet de plusieurs parutions à compte d’auteur, toutes plus illisibles les unes que les autres. C’est après mes études à Paris, en 2010, que j’ai acquis une certaine épaisseur, et surtout le recul nécessaire. J’ai alors tout retravaillé, sacrifiant les trois quarts du travail réalisé pour équilibrer mon histoire et lui donner sa forme actuelle. J’ai fait appel à différents lecteurs durant la phase finale, des amis, des amis d’amis, dont certains qui m’étaient totalement étrangers. Ma compagne m’a aussi beaucoup aidé (et une providentielle période de chômage…). J’ai tenté de faire des compromis, d’affiner, de révéler ce que le manque de temps et d’espace de cerveau disponible ne permet pas toujours de laisser fleurir.

[FC] : La première version des Portes noires a été autopubliée. Pourquoi avoir fait ce choix ? Comment as-tu procédé ?

Sébastien Degorce : J’ai fait ce choix car je voulais que les gens de ma ville, mes amis, ma famille, puissent me lire. Ces versions étaient illisibles, mais disons que c’était fait avec amour et franchise. Il y avait un sentiment d’urgence plutôt infantile.
Comment j’ai procédé ? Je suis allé voir mon banquier et je lui ai dit que la Fnac et Cultura me suivaient. J’ai tout vendu, mais je n’ai pas vraiment eu de retours. Normal. Quand on lit un truc nul, on ne va pas perdre son temps pour aller en parler à l’auteur !

[FC] : Comment s’est passée la recherche d’un éditeur pour ce roman ?

Sébastien Degorce : J’ai envoyé mon roman à presque tous mes contacts. Tous ont refusé, sauf Morey Éditions, une petite boîte de Saint-Étienne depuis disparue. Dès que j’ai recouvré les droits sur l’ouvrage, je l’ai proposé à d’autres éditeurs, dont Voy’el, qui ont accepté tout de suite, quelqu’un de chez eux ayant eu mon livre entre les mains…

Illustration de Fabien Doulut, alias Saï
Couverture des « Portes Noires » chez les Éditions Voy’el. Illustration de Fabien Doulut, alias Saï.

[FC] : En quoi a consisté le travail éditorial sur ton manuscrit ?

Sébastien Degorce : Il a consisté à revoir certains choix orthographiques, et à mener le travail d’illustration. Aucun changement majeur n’a été apporté vis-à-vis du texte.

[FC] : Les Portes Noires est un roman illustré. Comment s’est déroulée la collaboration avec l’illustrateur ?

Sébastien Degorce : La collaboration avec Fabien [Doulut, alias Saï] s’est plutôt bien passée. Nous avons beaucoup appris l’un sur l’autre. Fabien a fait l’effort de lire le roman deux fois, une première fois d’une traite, comme un lecteur normal, et la seconde fois pas à pas, au fur et à mesure de notre travail. Je l’aidais à saisir les moments clés, en lui décrivant ce que le roman ne mettait pas sous les yeux du lecteur. On a bu des bières, on a échangé, et puis les choses ont pris forme. Je suis vraiment heureux que notre amie commune ait eu l’idée de nous confronter !

[FC] : Comment la promotion pour le lancement de ton livre a-t-elle été élaborée ?

Sébastien Degorce : La promotion a été élaborée par moi, avec des envois d’emails et par téléphone. Une vidéo plutôt sympathique disponible ici retrace mon premier périple.

À suivre…

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Ascenseur pour le futur, Nadia Coste (Éditions Syros)

Ascenseur pour le futur Titre : Ascenseur pour le futur
Auteur : Nadia Coste
Éditeur : Syros
Collection : Mini Syros Soon
Nombre de pages : 139 pages
Date de parution : 21 août 2014
ISBN : 978-2748515022
Format : en version papier (5 €) et en ebook (4,49 €)

Quatrième de couverture : Pour mieux vivre le présent, rien de tel qu’un détour par le futur !
1991. Le jeune Brett est persécuté par Jérémy Mazalet et sa bande. Un soir, il se réfugie dans un entrepôt désaffecté pour tenter de leur échapper. Il se croit perdu, quand soudain la porte d’un ascenseur s’ouvre : à l’intérieur, un adolescent tout en noir, qui semble le connaître… Sauvé ! Brett s’aperçoit alors que le panneau de l’ascenseur comporte une centaine de boutons : 1980, 1981, 1982… jusqu’à 2080. C’est le début d’un incroyable voyage.

Je suis fan de science-fiction et adepte de littérature jeunesse, j’avais déjà lu plusieurs ouvrages de Nadia Coste. Rien qu’avec sa quatrième de couverture, je savais qu’Ascenseur pour le futur avait de fortes chances de me plaire, et au final, ce livre ne m’a pas déçue, c’est même un de mes coups de cœur de cette fin d’année.
Ascenseur pour le futur est un roman court, qui s’adresse aux lecteurs à partir de 10 ans. Il s’agit d’une histoire de voyage dans le temps. J’ai beaucoup aimé la manière dont l’auteure met en place un paradoxe temporel, l’exploite et enfin le résout. L’intrigue est bien construite, et le suspense entretenu jusqu’à la fin.
Ce roman aborde également le harcèlement scolaire, un sujet difficile qui est ici traité de façon intelligente, pas du tout larmoyante.
Par ailleurs, les personnages sont très attachants, leur complicité est un des aspects du récit qui m’a le plus enthousiasmée. Pour finir, j’ai apprécié la fluidité du style et le rythme de l’écriture.

Ascenseur pour le futur m’a fait passer un très bon moment de lecture. Je le recommande donc à tous, aux jeunes et aux moins jeunes.

La page du livre sur le site de l’éditeur
Les premières pages du livre
Le blog de l’auteure

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