Les Foulards rouges, Cécile Duquenne (Bragelonne/Snark)

foulardsrougesinteLes Foulards rouges
Cécile Duquenne
(Feuilleton numérique)
Bragelonne/Snark
Épisode #1, gratuit ; Épisodes 2-7, 1,99 €
L’intégrale paraîtra en janvier 2015 !

Plongez avec Lara dans l’enfer de Bagne, planète-prison où le danger se cache partout, au cœur de chacun de ses sinistres habitants, et même derrière chaque goutte d’eau, chaque ressource naturelle de cette terre irradiée.
Sur Bagne, Lara traverse les étendues désertiques pour remplir ses contrats et ses missions. Car Lara est une Foulard Rouge, appelée à faire régner la loi à grand renfort de balles. Et sur cette planète-prison où les deux-tiers de la population sont des hommes, anciens violeurs ou psychopathes, c’est une vraie chance pour une jeune femme comme elle de ne pas avoir fini dans un bordel. En plus, elle fait son boulot plutôt bien – on la surnomme même Lady Bang. Mais Lara n’a pas obtenu ce job par hasard – tout comme elle n’a pas atterri dans cet enfer par hasard. Elle doit tout ça à quelqu’un en particulier, quelqu’un à qui elle en veut profondément… et qui, pourtant, a peut-être quelque chose de nouveau à lui offrir, une chose qui n’a pas de prix. Acceptera-t-elle de baisser un peu sa garde pour écouter ce que son envoyé, le mystérieux Renaud, a à lui proposer ?

Je ne suis pas fan de western, de steampunk, d’uchronies ou de planet opera. Je pense même être à l’opposé des aficionados du genre. Je ne suis pas non plus fan de chaleur, d’été, de sable. Je ne rêve pas d’île désertes, d’ailleurs. Alors un cocktail avec tous ces ingrédients pourrait non seulement être délicat mais comme fatal pour une contrariante comme moi. Et pourtant !
Je me suis laissé tenter par le premier épisode de sept de ce feuilleton numérique et, surprise : j’ai été happée et j’ai lu les épisodes à la suite avec plaisir et enthousiasme, et j’attends, comme nombreux, la saison 2 !
Cécile Duquenne nous a concocté un savant mélange de magie, de technologie, d’intrigues politiques et complots (que je n’aime pas non plus) (oui, bon, hein). Jadhère totalement à cet univers : le caractère de Lara, l’élégance désuète de Renaud, la fraîcheur de Claudia-jeune (pour la différencier de l’Espagnole). J’aime (enfin, ce n’est pas réellement le mot, j’imagine) l’idée qu’on envoie tous les grands criminels sur Bagne, mais on se demande ce qu’ils peuvent avoir commis d’aussi terrible : Claudia-jeune, qu’a-t-elle pu faire ?! Et Renaud ? Et… Lara ? En plus de leurs crimes, ils cachent tous des secrets, les uns les plus lourds que les autres. Personne ne se fait confiance, tout le monde dort d’un œil ouvert, prêt à dégainer à la moindre suspicion. Vivre de cette façon doit être un supplice, pire encore que le climat aride de Bagne.
Il y a des épisodes que j’ai plus appréciés que d’autres, mais à la fin, tout mis ensemble, presque 700 pages de plaisir que je recommande chaudement (pendant l’hiver, c’est toujours un bonus).

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La Colline de l’oubli, Eve Terrellon (Éditions Láska)

LaColline_petitLa Colline de l’oubli
Eve Terrellon
(Numérique)
Éditions Láska
~2,85 € chez Láska, 3,99 € chez les libraires

John ne connaît rien d’autre que la ferme de ses parents, où il a toujours vécu. Élevé au sein d’une communauté rigoriste, il sait cependant qu’existe davantage que le christianisme étroit et conquérant de son oncle, depuis qu’il a découvert, adolescent, la présence d’Indiens Sioux sur ses terres. L’un d’eux, encore enfant, l’a particulièrement marqué, et il n’a jamais oublié son nom : Mahpee…
Des années plus tard, sa sœur est secourue par une Indienne qui se présente à lui sous le nom de Chumani. Sa ressemblance avec le petit garçon d’autrefois est troublante. Plus troublante encore est la haine que semblent lui porter l’oncle de John, ainsi qu’une partie de la communauté blanche. Partagé entre sa famille, son éducation et son sens moral, John finit par s’attacher à Chumani malgré les avertissements. Mais est-il prêt à entendre la vérité, toute la vérité ?

J’ai lu cette novella l’année dernière et, encore aujourd’hui, le souvenir de cette histoire ne s’affaiblit pas. Dès les premières pages, nous plongeons à la fin du siècle XIX dans les Grandes Plaines, nous sommes happés par l’ambiance réelle et réaliste, un peu comme si nous avions voyagé dans le temps et l’espace.
Nous faisons connaissance avec les winktes, les « hommes-femmes », des femmes transgenres, perçus comme spéciaux et sacrés parmi les Amérindiens. Ces derniers acceptent les winktes tels qu’ils sont, sans jugement. Ils font partie d’eux. Ce qui est en confrontation directe avec les Chrétiens.
Dans ce contexte, nous avons les personnages, crédibles et profonds, parfaitement ciselés. John reste mon préféré avec ses doutes, ses peurs et même ses préjugés. Il se fait violence pour combattre ses croyances, inculquées par une vie entière de formatage pieux. Il est honnête, il est sincère, il est effrayé, il est terrifié, même. Nous, lecteurs, avons envie de lui ouvrir les yeux, de lui montrer que le monde n’est pas aussi étroit que celui que veut bien lui montrer son oncle, mais ce n’est pas ça, l’important, puisque tout ce mélange fait de lui un héros cohérent, authentique. Chumani aussi est magnifique, mais je pense que John est la réelle réussite de ce roman, c’est sur ses épaules que tient l’histoire.
Enfin, enfin, l’écriture, la sublime écriture d’Eve Terrellon, poétique et capable de donner une gifle, parsemée de métaphores et d’images qui peuvent nous couper le souffle. Littéralement. À une ou deux reprises, j’ai laissé échapper un “wow” (à voix haute), ce qui m’arrive rarement (pour ne pas dire jamais).

Ce roman est une romance historique qui nous fait plonger dans une culture que nous ne connaissons peut-être pas, beaucoup plus tolérante à l’époque que nous le sommes aujourd’hui, où on est ce qu’on est sans qu’on ait à se justifier ou à lutter pour avoir cette place. Cette place est la nôtre, point.
Quand je lis des romans qui me marquent de cette façon, je ne peux que remercier leur auteur pour l’avoir écrit : alors merci, Eve, pour cette magnifique histoire.

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De la fanfiction (3/3)

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Mais alors, pourquoi c’est bien ?

(Oui oui, parce que je me doute bien que, à ce stade, tout le monde n’est pas convaincu du bienfait de ce type d’écriture).
Je vais essayer de lister tous les points importants :

  1. Parce que ça fait lire et/ou écrire des gens qui ne l’auraient pas fait sinon.

Celui-là, il est à mettre en gras, en gros et en clignotant. À relire pour bien le faire pénétrer dans son esprit.

  1. Parce que c’est un excellent moyen d’expression.

Non seulement tous les sujets sont abordables dans la fanfiction, mais le public est là.
On trouve depuis longtemps dans la fanfiction des sujets et des genres qui ne commencent qu’à peine à être acceptés dans le milieu de l’édition, pour dire. En premier lieu, celui de l’homosexualité : aujourd’hui, on commence à voir du MM ou du FF (male/male, female/female) arriver chez les éditeurs ; dans la fanfiction, ça fait des dizaines d’années que ces types de romance existent et se développent.
On peut prendre aussi le sujet du BDSM, qui est à la mode en ce moment dans les romans érotiques. On considère que la saga Fifty Shades a été un déclencheur mais cette saga n’a été qu’une copie d’autres fanfictions BDSM qui existaient auparavant et qui ont vu le jour non seulement dans le fandom Twilight mais aussi dans d’autres fandoms. Et ces fanfictions ont créé des émules, derrière. D’une certaine manière, on peut donc considérer que le milieu de la fanfiction influence le milieu de l’édition.
Parlons d’un sujet plus tout-public, sinon : les fameuses schoolfics, par exemple. Ça peut faire sourire mais il faut surtout considérer que c’est un excellent moyen pour de jeunes auteurs de parler de leur propre vie, de leurs questionnements d’adolescents, de leurs peurs, de leurs envies… et ce, avec des personnages aisément maniables, pour eux, et un public proche avec qui ils vont pouvoir interagir.
En fait, dans la mesure où il y a une base : 1) personnages et univers aisément utilisables, car déjà définis, 2) public présent déjà séduit par l’univers et les personnages, 3) liberté totale étant donné que, à la différence de la publication payante, il ne se pose aucune question de succès ou de rentabilité pour pouvoir publier, l’étendue des possibilités est infinie.
Et une variété extrêmement importante de sujets peut être traitée ET partagée avec les lecteurs.

  1. Parce que c’est un formidable moyen de s’exercer à l’écriture.

D’une part, comme cité ci-dessus, c’est plus facile : personnages/univers déjà présents et lecteurs déjà conquis/amoureux de ces personnages et univers… Il faut avouer que ça facilite les choses !
D’autre part, les échanges sont extrêmement nombreux, les auteurs s’entre-commentent, les lecteurs se manifestent aisément… Il y a une très forte émulation entre auteurs. Le fait de lire et de commenter pousse aussi la réflexion sur ce qu’est une bonne fiction, comment en écrire une, comment parvenir à traiter un point précis ou à construire un scénario… Et, extrêmement important, aussi, le fait d’être entre personnes ayant le même niveau, soit le niveau débutant, est beaucoup moins effrayant que de devoir plonger dans un monde d’auteurs aguerris avec qui la différence de niveau serait sidérale.
On trouve de tout, en fait, dans la fanfiction : des auteurs fabuleux (certains de mes auteurs préférés tous types d’écriture confondus sont encore aujourd’hui des auteurs de fanfiction), de tous jeunes débutants extrêmement maladroits, des gens qui n’ont pas encore compris que le SMS était rédhibitoire (ils le comprennent dès les premières tannées qu’ils se reçoivent en commentaire, ceci-dit : pour ça, ça va vite), des gens qui n’ont pas encore une grande expérience mais chez qui on sent l’étincelle magique qui donne envie de les suivre dans l’avenir… C’est formidable, d’ailleurs, de découvrir des auteurs débutants et de les voir évoluer ensuite.

  1. Parce que c’est un vrai terreau permettant l’émergence de nouveaux auteurs.

Savez-vous que Cristina Rodriguez (Le masque, Flammarion…), Cécile Duquenne (Bragelonne…), Anne Rossi (éditions Harlequin…) ou les vedettes internationales toutes traduites en diverses langues que sont Meg Cabot, Marissa Meyer, Ali McNamara, Naomi NOVIK, Cassandra CLARE, Holly Black, Lois McMaster Bujold, Rainbow ROWELL… ont commencé par la fanfiction ? Savez-vous que les best-sellers mondiaux Cinquante nuances (bon, ok, celui-là, tout le monde le sait), Le divin enfer de Gabriel, La soumise, La cité des ténèbres (le film est sorti récemment) et Beautiful Bastard sont d’anciennes fanfictions ? Et on peut ajouter d’une certaine façon John Scalzi, Neil Gaiman, Orson Scott Card…
Les auteurs faisant leurs classes dans ce domaine ne sont plus dénombrables.

  1. Parce que c’est un terrain de jeu extrêmement ludique.

Justement parce que tout est possible.
Des jeux sur le plan de l’écriture sont très souvent organisés. La plateforme « LJ » en est pleine, notamment, avec des défis en tous genres. Citons en vrac :

Tous les défis fonctionnant sur le principe du « prompt » : une idée/une phrase/une image sur laquelle écrire un texte, et roulez jeunesse !
Tous ceux sur le principe du « thème », qui peut être changeant (un thème par mois, par exemple, sur certaines communautés d’auteurs LJ), et on écrit une fiction dessus. Exemples de thèmes : les ennemis jurés, l’apocalypse, la nostalgie, le polar…
Tous ceux construits comme de véritables jeux. L’un des défis les plus insolites consiste d’ailleurs à recevoir une carte de bingo, avec des cases dans lesquelles sont notés des thèmes ou des sujets d’écriture, et à écrire une fiction par thème/sujet, de manière à barrer des lignes horizontales, verticales ou diagonales, voire à cocher toutes ses cases de bingo,
Tous ceux représentant de véritables défis personnels, comme tous les groupes proposant d’écrire 30 fictions sur un thème particulier (exemple de la communauté « 30 baisers ») ou 100 fictions en suivant une liste choisie de 100 sujets/thèmes qu’il faut impérativement respecter,
Tous ceux fonctionnant sur le principe d’échange par cadeaux, où l’on peut faire part de ses désirs (« j’aimerais une fanfiction sur le fandom « Sherlock » dans laquelle Holmes se retrouve devant la tombe de Sherlock »…), inventer des prompts à soumettre aux autres auteurs (« fandom : Le seigneur des anneaux, personnage : Legolas, prompt : Si longues sont les années »…) et, bien évidemment, répondre à ces demandes. Il existe même une communauté dont le but est de faire un don annuel à une association caritative en faisant des demandes de fanfiction, d’une part, somme d’argent que la personne est prête à payer associée, et d’autre part en écrivant les fanfictions correspondantes par des auteurs reversant ensuite les sommes récoltées à l’association,
Et il y a aussi des concours variés, avec prix à la clef (un chèque d’achat sur Amazon, une mise en avant de la fanfiction écrite sur un site de publication…), ou non : la seule satisfaction d’avoir gagné le concours pouvant suffire au plaisir de l’auteur.

  1. Parce que c’est permettre que les personnages et l’univers que l’on a aimés continuent à vivre éternellement.

Et, rien que ça, c’est exceptionnel !

Le mot de la fin

J’ai cité plus haut quelques cas particuliers d’auteurs s’étant positionnés sur le sujet de ce travail de fans, mais j’ai envie d’en citer désormais un autre :

Keno Don Rosa : l’auteur qui a écrit et dessiné La jeunesse de Picsou, adaptée de l’œuvre de Carl Barks. Il a toujours refusé de considérer son travail autrement que comme celui d’un fan, même après avoir été engagé par Disney et malgré le fait que sa vision de la jeunesse de Picsou est estimée quasi universellement comme LA référence. Il cache d’ailleurs systématiquement l’acronyme D.U.C.K dans ses premières pages, en hommage à son maître, ce qui signifie « Dedicated to Uncle Carl by Keno ». Malgré son statut d’auteur plus que reconnu et sa très grande notoriété, ce vieil homme continue donc à se considérer comme un simple « fan », parce qu’il est toujours resté aussi amoureux du travail de Carl Banks et que ce statut de fan est important, pour lui.

Par ailleurs, avoir des fanfictions écrites sur ses œuvres, ce n’est vraiment pas une perte pour un auteur ; au contraire, même : si la chaîne HBO s’est prononcée en la faveur de la fanfiction, ce n’est pas pour rien. Des lecteurs découvrent régulièrement des œuvres ainsi, se mettent à acheter les romans/séries/comics/films concernés, voire militent pour l’édition en français d’œuvres qu’ils ont découvertes par ce biais dans d’autres langues. Pour Le Trône de fer, il m’est déjà arrivé de recevoir un message d’une lectrice m’informant qu’elle avait acheté l’intégrale de la saison 1 de la série suite à une fanfiction qu’elle avait lue de ma part, par exemple, alors qu’elle ne connaissait absolument rien à cette saga auparavant.

Je vais finir sur cette remarque :
Je suis une auteure ayant commencé par la fanfiction et, je peux le dire, si je songe à la récompense ultime que je pourrais recevoir un jour en tant qu’auteur (du genre « fantasme d’auteur »), il ne s’agit pas d’un prix qui pourrait être décerné à l’une de mes histoires, pas plus qu’une émission de télé ou un chiffre de vente à plusieurs zéros. Très honnêtement, ce serait de voir naître des fanfictions sur un roman que j’aurais écrit. Si un jour ça m’arrive, si un jour des personnes développent l’envie de continuer à faire vivre les personnages et l’univers que j’aurais créé, et plus encore si ces fanfictions se développent suffisamment pour faire en sorte que mon univers et mes personnages puissent continuer à avoir une existence propre, là, j’aurais vraiment produit quelque chose de grand.

Pour aller plus loin

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De la fanfiction (2/3)

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En fait, à partir d’un moment, on considère que le fandom (c’est-à-dire l’ensemble des œuvres produites à partir d’une œuvre de base) s’auto-influence. C’est-à-dire que les lecteurs de fanfiction peuvent finir par ne plus lire du tout/ne plus regarder du tout l’œuvre d’origine, si elle est en cours, surtout si les saisons s’enlisent, si la saga devient moins bonne, etc. Mais ils vont par contre continuer à faire vivre l’univers qui les a captivés initialement en continuant à lire et écrire des fanfictions dessus. La référence n’est alors plus l’œuvre en elle-même mais tout ce qui s’est créé autour : le fandom développe sa propre vie. Et là, apparaît toute une variété de dérivations autour de l’histoire de base.
Exemples : un jour, un auteur a envie de faire du personnage d’Edward un Dominateur sexuel (avec un grand « D », comme dans « BDSM ») et, paf, d’autres auteurs vont avoir envie d’écrire des fanfictions BDSM sur Twilight ; un autre a envie d’imaginer comment seraient les personnages du manga Naruto s’ils étaient au lycée et, paf, les schoolfics (ça porte un nom, oui), vont pousser comme des petits pains. Au même titre, on voit parfois des séries de vampire-fics (et si Draco Malfoy était en fait un vampire ?), de Dark!nom du personnage (exemple : Dark!Harry si la version « dark » d’un Harry Potter s’est mise à faire des émules), etc.

Le fait d’avoir un vocabulaire propre favorise aussi l’existence de liens très forts dans le milieu de la fanfiction et peut en arriver au point que l’œuvre originale soit totalement éclipsée par ses imitations.
C’est ce qui est arrivé au fandom Twilight : aujourd’hui, si vous voulez trouver des vampires dans les fanfictions écrites sur cette œuvre, vous pouvez vous préparer à chercher longtemps… trèèèèès longtemps… Et ça fait une paye que ça dure (en fait, s’il y a eu un jour des fanfictions Twilight comportant des vampires, ça n’a pas dû durer longtemps). Toutes les fanfictions Twilight ou quasi n’en sont pas, en réalité : elles reprennent les personnages, qui sont finalement plus qu’aisément réutilisables dans le sens où ils représentent des stéréotypes extrêmement communs en matière de romance, et après les fictions sont toutes des fictions originales : seuls les noms des personnages et certaines de leurs caractéristiques (physiques et de caractère) sont conservés.

En fanfiction, le fait de ne pas respecter les caractères des personnages porte même un nom : OOC (Out Of Character), son opposé étant IC (In Character). Écrire des personnages qualifiés d’IC par les lecteurs est d’ailleurs le plus beau compliment qu’un auteur puisse recevoir s’il a veillé à respecter les personnages de l’œuvre d’origine (le Graal de l’auteur de fanfiction, en quelque sorte), mais la vérité c’est que beaucoup d’auteurs s’en moquent totalement. Nombreux sont ceux qui annoncent sans gêne en entête de leurs fictions le fait que leurs personnages sont OOC. Autrement dit : fichez-leur la paix si leur vision des personnages ne vous convient pas.

Et les auteurs des œuvres d’origine, qu’est-ce qu’ils en disent ?

Du bien, du mal… ça dépend des cas.
Il y a la liste de ceux qui refusent les fanfictions sur leur univers qui ont un avis très critique dessus, il y a ceux qui favorisent la fanfiction au point d’en héberger ou d’en avoir hébergé à un moment donné sur leur site personnel d’auteur, il y a ceux qui sont allés jusqu’à appuyer la publication d’une fanfiction basée sur leur œuvre en tant que roman publié, et il y a surtout l’immense majorité qui n’en dit rien et laisse faire.
Parlons des cas particuliers :

  • G.R.R. Martin (la saga Le trône de fer: fermement opposé à la fanfiction sur ses œuvres, comme on l’a dit plus haut, mais qui n’a pas eu d’autre choix que de l’accepter sur la série qui a été adaptée de sa saga, même s’il a indiqué regretter que la chaîne HBO se soit prononcée en faveur de la fanfiction. Cela faisait partie du contrat qu’il a signé et, dans la mesure où il ne possède pas les droits sur la série, il n’a donc aucun droit moral ou légal de s’y opposer. Le résultat, c’est que ça a ouvert la porte aux fanfictions sur Le trône de fer qui, du coup, ne sont pas annoncées comme tirées des romans mais de la série, ce qui est une distinction on ne peut plus symbolique,

  • J.K. Rowling (la saga Harry Potter) : fortement positionnée en faveur de la fanfiction, mais avec l’émission d’une réserve sur la fin qui, exprimée trop tard, n’a jamais été entendue, du coup. Pour la petite histoire, après avoir exprimé plus que clairement son affection pour les fanfictions, J.K. Rowling est revenue quelque peu sur ses propos en découvrant des fanfictions étant particulièrement poussées, soit sur le plan sexuel, soit sur le plan de la violence, ce qui l’a inquiétée étant donné qu’Harry Potter est une saga de romans jeunesse, donc lue par des enfants pouvant tomber sur ces fanfictions… Il y a même eu une action de ses avocats pour faire fermer un site hébergeant ces fictions et elle a exprimé clairement le fait qu’elle ne voulait pas que ces fanfictions-là soient publiées (porno, très violentes, etc.). Mais, eh, ça faisait des années que le fandom Harry Potter existait et s’auto-alimentait ! Des années que des auteurs de ce fandom écrivaient de l’érotique et/ou des fanfictions comportant de la violence (présente dans les romans, d’ailleurs, même si exacerbée parfois dans les fanfictions). Malgré toute leur affection pour J.K. Rowling, nombreux n’ont pas voulu cesser soudain d’écrire ces fictions situées dans cet univers qu’avec le temps ils avaient fini par s’approprier. Et les habitudes n’ont pas été changées. Note : si j’évoque ce point, je précise toutefois que le fandom Harry Potter est extrêmement varié et que ce type de fanfiction est très loin d’en représenter la majorité,

  • Les frères du groupe Tokio Hotel et les acteurs Robert Downey Jr. et Jude Law : j’ai considéré longtemps avec un certain effarement (ou un effarement certain) l’existence de fanfictions sur ces « personnes » (et non pas ces « personnages ». On appelle ça des R.P.F. : « Real People Fic ». Oui, là aussi, ça porte un nom) mettant en scène ces deux frères dans une relation sexuelle incestueuse ou ces deux acteurs dans une relation amoureuse et souvent sexuelle aussi. Et puis les deux frères ont exprimé publiquement qu’ils connaissaient l’existence de ces fanfictions et que ça ne les dérangeait pas, et les deux acteurs se sont carrément filmés en lisant des fanfictions écrites sur eux et en délirant à ce sujet : ils en rajoutaient même pour titiller leurs fans (au féminin, le mot « fans »), donc bon…,

  • Marion Zimmer Bradley (la saga Ténébreuse) : le cas le plus dramatique qui puisse être cité et celui qui représente désormais la référence en matière de risques liés à la fanfiction. L’histoire est longue mais, pour la résumer vite fait, Marion Zimmer Bradley avait encouragé la production de fanfictions sur sa saga Ténébreuse dans un fanzine d’une manière extrêmement forte dans le sens où elle chapeautait carrément tout ça et qu’elle en rassemblait les meilleures dans une série d’anthologies. Et puis, et c’est là que les versions divergent : soit elle est tombée sur une fanfiction recouvrant des éléments qu’elle avait justement utilisés dans la suite de Ténébreuse qu’elle était en train d’écrire (ou qu’elle comptait utiliser), soit elle a voulu reprendre pour elle des éléments lus dans une fanfiction. Toujours est-il que la petite somme d’argent qu’elle a proposée en compensation à l’auteure concernée pour acquérir tous les droits de sa fanfiction n’a pas suffi à cette dernière qui s’est sentie volée, et l’affaire est allée jusqu’à l’action avec avocats. Et Marion Zimmer Bradley a été tellement douchée par cette histoire qu’elle a fermé totalement derrière la porte aux fanfictions et en a interdit la publication sur ses œuvres.

Conclusion ?

S’il en faut une, le conseil le plus fréquemment donné par les auteurs concernant les fanfictions publiées sur leurs œuvres est de ne jamais les lire, surtout s’il s’agit d’une œuvre inachevée, conseil qui me paraît extrêmement pertinent et qui mérite d’être étudié.
Conclusion 2 : la fanfiction, c’est quelque chose de non maîtrisable. D’une part, aucun auteur ne pourra jamais empêcher qu’il en soit « écrit » : à la rigueur, il peut empêcher qu’il en soit « publié ». D’autre part, il existe même des fanfictions sur les œuvres des auteurs faisant partie de la fameuse liste d’auteurs en refusant. Le site AO3, en particulier, a une équipe légale chargée de contester les plaintes qui pourraient être déposées par les ayants droits en se protégeant pour cela derrière la loi américaine.

À l’arrivée, tenter de lutter contre la fanfiction, pour un auteur, c’est comme tenter de remettre un poussin dans sa coquille : une fois que son œuvre est publiée, elle ne lui appartient déjà plus totalement ; elle appartient aussi à ses lecteurs.

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De la fanfiction (1/3)

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valéry

Valéry K. Baran est auteure de textes érotiques, allant de la fanfiction aux écrits originaux. Elle est aujourd’hui publiée chez Láska et Harlequin.

La fanfiction, c’est quoi ?

Si on ne sait pas ce que c’est, la fanfiction peut parfois donner l’impression de quelque chose de mystérieux, fait par des gens bizarres, sur des sujets encore plus curieux… Et pourtant, d’une certaine manière, on en a déjà tous lu et vu, tout simplement parce que c’est une part normale de notre culture générale.
Des exemples ?
La transposition futuriste de l’Odyssée d’Homère du dessin animé Ulysse 31 que vous regardiez peut-être quand vous étiez enfant, le film O’Brother des frères Cohen, Phèdre de Racine et Œdipe de Corneille, la série Sherlock avec Benedict Cumberbatch, le roman La solitude du docteur March qui a été couronné par le prix Pulitzer, le roman plus décalé Orgueil et Préjugés et Zombies, la série de romans sur Le gouverneur liée à la série The Walking Dead, la quasi-totalité des comics… Tout ça, c’est de la fanfiction !
Bon, OK, ces œuvres-là n’ont pas le titre « officiel » de fanfiction, mais vous verrez que la nuance est infime. Les œuvres que je viens de citer ne sont pas qualifiées de « fanfiction » pour une simple raison : elles sont commercialisées.
C’est tout. Il n’y a absolument rien d’autre qui les distingue d’une fanfiction.
C’est-à-dire que ce sont soit des œuvres tirées de livres tombés dans le domaine public, donc libres de droits (La solitude du docteur March, Orgueil et Préjugés et Zombies, Sherlock, O’Brother, etc.), soit des œuvres dont la production a tout simplement été décidée en accord avec les ayants droits (les romans tirés de The Walking Dead, tous les comics reprenant en diverses versions Superman, les Avengers, Batman, etc.).
La nuance n’est donc que financière :

  • Si c’est commercialisé, ce n’est pas de la fanfiction ;
  • Si c’est invendable pour une question de droits d’auteur, c’est de la fanfiction ;
  • Si c’est commercialisable mais publié toutefois en lecture libre sur le net (cas des fictions sur Sherlock Holmes ou sur Orgueil et préjugés parues sur les sites de fanfiction, par exemple), c’est de la fanfiction.

C’est donc léger léger sur le plan de la différence, hein ? Pourtant, si on se trouve dans le cas de la fanfiction, les règles auxquelles l’auteur doit se plier sont alors très précises :

  • Écrire un « disclaimer » en entête de ses textes pour indiquer que les personnages et l’univers ne lui appartiennent pas et qu’il ne se fait pas d’argent avec,
  • En aucun cas écrire sur l’univers/les personnages de l’un des auteurs ayant exprimé clairement son refus de voir des fanfictions écrites sur ses œuvres, soit Anne Rice, Archie comics, Dennis L. McKiernan, Irene Radford, J.R. Ward, Laurell K. Hamilton, Nora Roberts/J.D. Robb, P.N. Elrod, Raymond Feist, Robin Hobb, Robin McKinley, Marion Zimmer Bradley et Terry Goodkind (en vrai, il y avait aussi G.R.R. Martin mais, s’il a refusé les fanfictions sur ses bouquins, il ne s’y est pas opposé sur la série adaptée, donc bon),
  • En aucun cas et à aucun moment possible n’en tirer un bénéfice financier.

Exceptions sur ce dernier point : les fanzines, c’est-à-dire ces magazines amateurs édités sur des feuilles A4 agrafées à la main et vendus à la dizaine auprès de fans pour un prix ne remboursant guère plus que l’encre et le papier : toléré.
Deuxième exception : la plate-forme Kindle Words, qui a négocié des contrats avec certains producteurs de série de manière à pouvoir vendre des fanfictions sur leur site et se partager les recettes entre les ayants droits, l’auteur de la fanfiction et Amazon lui-même (ah, Amazon… toujours sur les bons coups pour se faire de l’argent). À noter que ce cas est limité à un nombre de séries se comptant sur les doigts d’une main et uniquement en langue anglaise.
Toute autre vente de fanfiction que vous pourriez croiser est il-lé-gale ! Sachant que la fanfiction en elle-même n’est même pas légale : elle est « tolérée »…
Fin de la séquence juridique.

Alors, du coup, la fanfiction, c’est quoi ?
Eh bien, c’est tout simplement une œuvre tirée d’une autre œuvre. Cas les plus classiques des sujets qui peuvent être développés, en fanfiction :

  • La fin manquante (exemple : quoi ? On ne sait pas encore ce qu’il va se passer à la fin du Trône de fer ?),
  • La scène manquante (dans Avengers, on sait que Loki a-t-il été enlevé par les extra-terrestres mais on ne sait pas pourquoi…),
  • L’idée de suite (et si un anneau du Seigneur des anneaux réapparaissait dans les années 2000 ?),
  • L’angle de vue non abordé (d’accord, dans le dernier tome d’Harry Potter, Harry quitte Poudlard et part chercher les horcruxes. Mais, pendant ce temps-là, la résistance à Poudlard, avec Neville, elle s’organise comment ?),
  • La version alternative (c’est quoi cette fin en eau de boudin de Star Trek into Darkness ? Mais je vais te la réécrire comme ça aurait dû être fait, moi !)
  • Et… et c’est un grooos élément des fanfictions, la romance non développée ET le sexe qui va avec.

Pour la petite histoire, la première fanfiction publiée sur le géant de la fanfiction mondiale, qui est le site fanfiction.net, est une romance entre les personnages de Mulder et de Scully (X-files). Les toutes premières fanfictions publiées que l’on peut dater (si on exclut Racine et tous les autres cas que l’on ne qualifie pas officiellement de fanfictions mais qui n’en sont pas loin du tout) l’ont été sur des séries de science-fiction, avec en tout premier lieu des romances entre les personnages de Kirk et de Spock (Star Trek). Eh oui, déjà. Tout comme le premier film du cinéma comportait déjà le premier effet spécial, les premières fanfictions portaient déjà sur la vie amoureuse, sexuelle et homosexuelle des personnages. On est donc bien d’accord sur le fait que la romance/la sexualité des personnages est LE sujet le plus développé des fanfictions.

Raison (parce qu’à ce point-là de cet article on peut se poser la question) : tout simplement parce que ce qui est intéressant dans la fanfiction, ce n’est PAS de développer ce qu’a déjà développé l’auteur d’origine (ça, ON S’EN FOUT ! C’est déjà là, pourquoi le ferait-on une deuxième fois ?) mais de développer tout ce qui a été caché, tu, et laissé de côté, tout ce qui a titillé l’imaginaire, tout ce qui n’a pas été montré. Et, en 1) la romance, en 2) la sexualité, et en 3) l’homosexualité, c’est typiquement ce qui est sous-entendu, laissé à l’interprétation du lecteur/spectateur et donc ce qui donne envie d’être développé, notamment pour le point 3 qui, jusque-là, était beaucoup caché (actuellement, c’est moins le cas).

Autres sujets fréquents : des dérivations de l’histoire de base. Exemples : transposition dans une autre époque, comme on le voit dans la série Sherlock qui montre une version contemporaine de Sherlock Holmes ou dans le dessin animé Ulysse 31 qui transpose l’Odyssée d’Ulysse dans le futur,. Autre exemple : l’apparition de zombies dans une œuvre n’en comportant pas à l’origine du roman Orgueil, Préjugés et zombies. Et ces dérivations peuvent aller jusqu’à l’écriture de fanfictions qui n’ont plus grand-chose à voir avec l’œuvre d’origine…

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