Publication numérique ou publication papier ? Faut-il choisir ? L’un est-il supérieur à l’autre ? Isabelle Wenta, Philippe Devos et Anne Rossi ont déjà répondu à cette question.
Célia Deiana
Je n’ai pas publié grand chose, uniquement des nouvelles, mais à la fois sur papier (chez Hydromel, Céléphaïs et Griffe d’Encre) et en numérique (chez Mots et Légendes et Hydrae).
Au départ, l’édition en numérique me paraissait être un pis-aller, parce qu’avoir un pdf (pour Mots et Légendes, c’était encore en pdf) ce n’était pas la même chose que d’avoir un livre entre les mains. Et puis ma réflexion a changé. J’ai pu découvrir le côté pratique du numérique en tant que lectrice, mais c’est un peu différent en tant qu’auteur.
Quand j’envoie un roman aux éditeurs, je fais toujours d’abord le tour des éditeurs papier. Par contre, je commence à développer des projets exclusivement destinés au numérique. Je suis une fille élevée aux séries télé et leur construction, non seulement me fascine, mais m’a fortement influencée. Le style « à épisode » me convient bien et convient au numérique aussi. L’idée de pouvoir construire une série écrite comme une série télé est extrêmement excitante et, sans le numérique, cela n’aurait peut-être pas été possible.
Marie-Anne Cleden
Mon premier texte accepté a été choisi pour figurer dans une publication numérique du collectif Hydrae sur le thème des Perles diaboliques. Sans doute que ma première sélection en anthologie papier m’a encore plus enchantée, mais très vite, j’ai appris à apprécier les avantages de l’édition numérique.
D’abord pour Les Perles, anthologie de micro-nouvelles, le collectif Hydrae a réalisé des documents interactifs qui permettaient plusieurs modes de lecture. Lorsque de ma participation au Blogzine Fanes de carottes ou aux Microphémérides 2012 et 2013, j’ai aimé que les usagers des sites puissent « liker » ou commenter mes textes. Quant à ma nouvelle dans le numéro Catacombes et fonds marins du webzine Mots et Légendes, elle a été magnifiquement illustrée et mise en page. Tout comme dans le webzine Itinéraire bis, les éditeurs ont mis en valeur ma production aussi bien que ma biographie, avec plus d’espace et de liberté que dans toutes les anthologies papier où figurent mes textes.
Enfin, cette année, une de mes nouvelles de romance est parue chez l’éditeur HQN et j’ai bénéficié d’une couverture individuelle, d’un suivi éditorial très sérieux et d’une bonne promotion. Pourtant, quand une éditrice a proposé de publier mon premier roman en numérique, j’ai hésité.
Je possède une liseuse depuis très longtemps, donc pour moi les livres numériques sont de vrais livres et pas de faux, comme le pense encore une amie avec qui j’ai partagé mon dilemme. Mais allons, qui n’a pas rêvé de voir son nom sur papier glacé ou gaufré, trônant dans la bibliothèque aux côtés de ses auteurs favoris ? Ceci dit, un livre, ça se fane, ça jaunit, ça prend la poussière. Pas un fichier numérique. Et qu’est-ce que je cherchais dans l’édition de mes textes ? Une volée de pages entre deux cartons ? Dédicacer avec un beau stylo ? On peut le faire sur un flyer ou avec un stylet sur une tablette. Non, ce qui m’intéresse dans cette aventure, c’est la mise en valeur de mon texte, travailler comme une “pro” avec un éditeur qui ait envie de défendre ma plume. Or, tout cela, plus une large diffusion et une belle couverture, je savais déjà que le numérique pouvait me l’apporter autant que le papier (ayant même plus de textes publiés sur papier qu’en numérique).
Une conférence de Stéphane Marsan a balayé mes derniers doutes. Bragelonne a en effet lancé sa collection numérique il y a quelques années, et dispose déjà de chiffres très précis de ses ventes. En effet, pas d’angoisse sur les retours de librairie ou les livres boudés, perdus au fond d’une boutique : d’un mois à l’autre, on sait exactement combien de lecteurs se sont laissé tenter par notre histoire. En numérique, une vente est une vente, pas d’impression gâchée, pas de fausse joie, pas d’espoir vain. Et des corrections à la publication, ça va vite, quelques mois pour voir enfin son nom sur son roman. Pour une fille anxieuse et curieuse de mon style, ces arguments pèsent dans la balance. Je peux ainsi savoir rapidement si je suis la bonne piste ou pas question écriture, au-delà des critiques (qui, même positives, ne restent l’avis que d’une personne). Sans compter que je contribue au sauvetage de la planète, une super-héroïne écolo en somme (on en reparlera quand les goodies en plastique sortiront…).
Marie-Catherine Daniel
En tant que lectrice, ce que je demande avant tout à un éditeur c’est un produit fini de qualité : une finition littéraire et une orthotypographie irréprochables, une mise en page et une couverture faites dans les règles de l’art. Autrement dit, j’aime les livres – papier ou numériques – qui m’offrent un confort visuel facilitant mon immersion dans l’histoire.
Comme je lis plusieurs heures par jour, j’apprécie aussi que le livre soit léger pour mes bras, qu’il n’encombre pas ou très peu mes étagères (déjà remplies de plusieurs milliers de romans), qu’il ne soit pas cher (une centaine de bouquins par an demande une bonne gestion du porte-monnaie). Si vous me suivez vous avez compris que, depuis que c’est possible, je lis essentiellement sur liseuse.
En tant qu’auteur, c’est tout naturellement que je cherche pour mes textes des éditeurs qui produisent des livres du niveau de qualité que j’exige en tant que lectrice. En revanche, comme je sais que beaucoup de lecteurs sont très attachés à l’objet-livre, je ne privilégie pas seulement mes propres goûts au niveau support, formats et coût.
Je publie donc tout aussi bien en papier qu’en numérique, et le broché ou l’epub final n’ont jamais eu à voir avec le fait que si chaque collaboration est différente (et enrichissante), c’est que chaque éditeur a sa propre façon de mettre en œuvre ses compétences.
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Êtes-vous auteur, éditeur ou lecteur ?
Numérique ou papier ?
Publier en numérique apparaît comme l’idéal, vu le prix des livres papier, mais une grande partie du lectorat nous échappe
Une grande partie, je ne sais pas, mais une partie, certainement. De la même façon que quand on publie uniquement papier, une partie du lectorat nous échappe.
Coïncidence amusante, on a écrit un article sur nos blogs respectifs le même jour !
J’ai aimé votre retour d’expérience, en ce qui me concerne j’ai énormément évolué sur le sujet. Je pense que l’idéal, c’est une publication mixte simultanée car ces deux supports sont complémentaires. C’est à mon sens le plus gros des défis : faire comprendre aux auteurs, éditeurs et lecteurs que ces deux lecteurs ne sont pas antagonistes. Pour moi l’idéal serait de concilier le meilleur des deux mondes avec l’ebook enrichi (sons, images, animations) mais j’ai conscience qu’on rentre dans un tout autre débat…
J’en reste à la position de Philippe Devos: offrir les livres sous format numérique et utiliser l’impression à la demande reste ce qui est le mieux. Histoire de satisfaire tous les lecteurs. D’ailleurs, déjà dans le domaine numérique, il faut pouvoir offrir le plus de formats possibles – quand je vois les auto-édités juste disponibles pour Kindle, j’ai envie de hurler (et je ne les lirai pas, je suis sous Linux…).
Je ne suis pas certain que ce soit du côté des auteurs que l’effort soit à faire. Nous sommes probablement tous convaincus de l’intérêt du numérique comme nouveau média pour supporter nos récits (même s’il reste des efforts à faire pour l’enrichir et profiter pleinement des possibilités qu’il offre). Mais il faut être réaliste, le français est frileux avec le numérique (3% des ventes de livres…) Quand je vois que les deux premières questions à l’annonce de la sortie de mon dernier opus numérique (tous formats, toutes diffusions) sont « Il sort quand en papier ? », je me dis que les arbres vont encore souffrir un moment dans l’Hexagone. Malheureusement, la réalité du marché français serait plus : sortir en papier, et accessoirement offrir une version numérique pour les deux rigolos du fond.
Je pense que notre vision est déformée parce que nous sommes majoritairement entre auteurs, et que nous sommes déjà évangélisés aux bienfaits du numérique. Mais le lectorat ? Avec une progression de +1% par an du livre numérique… je serai mort et enterré avant le papier.