Polémiques

Scripture vs Structure

New-EraIl est en philosophie, un thème des plus connus, que même les technologues – pour qui cette matière est tellement anecdotique qu’elle pourrait aussi bien avoir un coefficient négatif aux examens – ont entendu parler : « L’Inné et l’Acquis » (Nature vs Nurture). Nous autres, auteurs, avons un thème et une dualité ancestrale tout aussi primordiale : « l’Instinct vs la Structure ».

L’Instinct, c’est le groupe des auteurs « scripturaux », ceux qui écrivent avec leurs tripes, au feeling, sans plan, guidés par leur seule inspiration.

La Structure, c’est le groupe des auteurs « structuraux », qui planifient leur histoire, préparent leur intrigue et leurs personnages en amont.

Dans les lignes qui suivent, je vais volontairement grossir le trait, user et abuser de la caricature, me faire l’avocat du diable pour les deux camps – le premier qui me traite de schizo gagne une boîte de Zyprexa. Pourquoi ? Parce que c’est la vérité vraie ! Il y a des avis très tranchés sur le sujet, et il est temps de percer l’abcès. Buvez une gorgée, relaxez bien vos muscles, parce que dans cinq minutes, vous serez tendus.

L’auteur « structural » vu par le « scriptural »

    • C’est un psychorigide incapable d’écrire une ligne sans avoir analysé la moindre facette de son récit. Inspiration, pour lui, ça veut dire respirer par le nez et expirer par la bouche.
      Ce n'est pas parce que toutes les maisons ont des fondations qu'elles doivent pour autant se ressembler...
      Ce n’est pas parce que toutes les maisons ont des fondations qu’elles doivent pour autant se ressembler…
  • Il est incapable d’écouter ses personnages ou de faire évoluer son histoire au-delà de son carcan préétabli. Aucune imagination.
  • Il se prend pour un professionnel sous prétexte de passer des heures à théoriser et articuler ses intrigues. Pourtant, à la voirie, c’est bien celui qui creuse qui fait le taf, pas les dix chefs de chantier qui tapent le bout de gras autour.
  • Le pire c’est qu’il croit dur comme fer que sa structure est un tremplin, une sorte de support qui va l’aider à transcender son texte, alors qu’il s’est bâti une cage qui limite sa créativité à quelques mètres cubes.
  • Ses textes sont uniformisés et conformistes. Tous les structuraux crachent les mêmes types de textes édulcorés.

L’auteur « scriptural » vu par le « structural »

      • C’est un gros fainéant qui pisse de la ligne presque aussi vite qu’il ingurgite sa dose d’alcool quotidienne. Aucune notion du laborieux travail d’un écrivain.

        Qui a décidé que les maisons devaient avoir des fondations ?

        Qui a décidé que les maisons devaient avoir des fondations ?

      • Il est incapable de voir où va son histoire et se laisse complètement emporter par le moment, l’action, ses personnages… bref, zéro vision.
      • Il se prend pour un génie sous prétexte qu’il écrit « avec ses tripes ». Pour preuve : personne ne comprend rien à ce qu’il écrit, et c’est connu : les génies sont toujours des incompris, pas vrai ?
      • Le plus triste, c’est qu’il est aveuglé par le sentiment de liberté qu’engendre sa façon d’écrire : “No limit”. Sauf que la création, c’est justement repousser les limites, gravir les obstacles et briser les barrières. S’il n’y a rien à surmonter, on stagne !
      • Il est persuadé que son œuvre est unique et radicalement différente de tout ce qui a été fait auparavant, voire même… qu’il a inventé un nouveau registre !

Mes deux centimes de réflexion sur le sujet

Il se trouve que j’ai fait partie des deux camps. J’ai écrit pendant des années en mode scriptural pur, et puis un jour, brutalement, j’ai décidé de structurer. Évidemment, ce n’est pas comme un interrupteur. Du coup, je suis un scriptural qui se range, ou un structural qui se laisse aller, faut voir… En tout cas ce n’est pas blanc ou noir, c’est beaucoup plus subtil que ça.

Ce que je vais dire n’engage donc que moi et reflète mon expérience et les partages que j’ai pu avoir avec d’autres auteurs.

      1. Si vous écrivez « pour vous ». Que ce soit pour le plaisir, dans un but thérapeutique et/ou cathartique, vous n’êtes pas vraiment concerné par le débat. C’est comme pour le mois mai : faites ce qu’il vous plaît. De toute façon votre recherche vous est propre et votre seul public est vous-même. Extériorisez vos démons. Si vous êtes le seul à comprendre, non seulement ce n’est pas grave, mais ce serait même plutôt normal.
      2. Si vous êtes dans un autre registre que le roman (essai, bibliographie, poésie, écriture expérimentale…), vos préoccupations sont autres, parce que chacun de ces registres a ses propres « règles » (au sens large du terme).
      3. Par contre, si vous êtes romancier, et plus particulièrement orienté dans un genre grand public (SFFF, polar, thriller…) alors là, là… vous ne pouvez pas faire l’impasse sur une certaine structuration ! Vous vous adressez aux autres et ils ont besoin de comprendre par eux-mêmes. Vous ne serez pas à leur côté pour leur expliquer votre schéma de pensée quand ils vous liront. Votre récit doit donc se suffire à lui-même et comporter suffisamment de repères pour éviter le décrochage du lecteur.
      4. Le temps passé à structurer est inversement proportionnel à votre temps libre pour l’écriture. Il est même des auteurs à plein temps qui peuvent se permettre de tout faire de tête sans notes ou presque (ce qui donne l’illusion qu’ils sont scripturaux, mais ne vous y trompez pas, ils savent parfaitement où ils vont).

Aux détracteurs de la structure (dans le cadre des romans selon les critères sus mentionnés), je ne peux que relater ma propre expérience :

J’ai écrit six romans SFFF en mode scriptural. J’étais le roi, ça coulait à flots, mon record avoisinait les 300 ksec de premier jet en une dizaine de jours. J’aurai ri au nez du premier à me parler de structure. Si je pouvais boucler un bouquin en un mois, pourquoi en aurais-je passé deux en amont à le préparer ? Pire : j’étais persuadé que structurer reviendrait à tuer mon inspiration, déjà que ma vitesse d’écriture était un frein à mes yeux – j’aurais bien branché mon cerveau en direct sur ma plume –, alors m’arrêter pour prendre du recul n’était pas une option.

Et puis un jour, j’ai commencé mon septième roman. Je me suis réveillé six ans plus tard avec un torchon inachevé sans queue ni tête. Un petit bilan s’imposait : j’ai relu les six premiers et j’ai vite compris pourquoi aucun n’avait trouvé d’éditeur… Avec le recul nécessaire des années, je les lisais pour la première fois en tant que lecteur et plus comme leur créateur. Si je les avais achetés en librairie, j’aurai crié au remboursement !

Alors j’ai cherché, je me suis renseigné, j’ai lu et appris. Mon huitième projet s’est monté cette fois avec la structure en tête, et j’ai enchaîné… neuf, dix. En cinq ans j’ai terminé trois romans (contre six en dix-neuf ans). Ils sont plus riches, plus denses, et surtout bien plus singuliers que n’importe quel autre de mes projets antérieurs. J’ai appris que la structure n’était pas un carcan, mais un outil. Vous savez se qu’on dit : « un bon ouvrier a de bons outils ». Hé bien les romanciers, c’est pareil ! 😉

Et vous ? Quel est votre camp ? Votre cœur balance-t-il ? Êtes-vous vous aussi passé d’un camp à l’autre ?

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10 réponses à Scripture vs Structure incluant les trackbacks et les pings.

  1. Un peu comme toi, j’ai commencé par un premier jet totalement à l’instinct… qui était lamentable. Puis j’ai tout repris à zéro (plusieurs fois) en structurant de plus en plus. Tu as choisi la métaphore de la maison et de ses fondations, moi qui suis très « de la campagne », je préfère celle du champs de blé, que l’on laboure soigneusement avant de semer. Si tu sèmes tes graines sur un terrain non préparé, elles ne poussent pas, ou alors comme des herbes folles (peu et anarchiquement). 🙂

  2. Belette Pygmée a dit :

    pareil que vous deux!
    après l’échec du roman sans plan, je me suis mise à structurer un minimum mes textes, mais pas de façon dogmatique.
    Une structurale un peu laxiste, en somme ^^

    moi qui suis graphiste, il me semble aberrant de commencer un dessin sans en faire le croquis avant… donc pour un roman, je travaille exactement pareil!

  3. Sylas a dit :

    Je suis un hybride.
    Je pars avec une structure, mais qui me donne juste les grands axes (ex : tel perso découvre telle info, course poursuite -> tel perso s’en sort après avoir frôlé la mort, etc). En écrivant, mon histoire évolue et ma structure peut se voir modifiée, enrichie ou abrégée. Les personnages influent sur la structure de l’histoire, ainsi que mon inspiration du moment.
    Pour autant, impossible de partir de zéro, il me faut savoir où je vais, même si je me laisse la possibilité d’être surpris par ma plume.
    J’aime bien l’idée de la « structure laxiste » de Belette Pygmée…

  4. Structurelle pour moi, même si je me laisse des plages de libertés au sein même de la structure que j’ai définie. Je sais à peu près comment un événement va se dérouler, mais je me laisse la liberté de vraiment le découvrir au moment de l’écriture.

  5. Kanata a dit :

    Je vois que nous sommes entourés d’hybrides et de structuraux… en même temps, sur un blog comme [Espaces Comprises], c’est un peu logique, cela correspond à un certain esprit de progression et d’analyse 😉

  6. Hybride pour ma part auss.

    J’étais plutôt scripturale quand j’ai débuté l’écriture, mais après avoir commencé un roman de façon scripturale et m’être retrouvée bloquée au bout de 200 pages sans savoir comment sortir mon héroïne du guêpier où je l’ai fourrée (et où elle se trouve toujours, plus de 15 ans après…), j’ai changé de méthode de travail.

    Maintenant, sur mes romans, je m’efforce de structurer le plan dans ses grandes lignes, même si je le modifie régulièrement, notamment quand j’écoute certains de mes personnages (pas toujours les bons d’ailleurs…) ou que je trouve de nouvelles idées. Les noter et les intégrer dans le plan est une façon de ne pas les perdre quand elles arrivent.

    En revanche, si j’écris une nouvelle, il est assez rare que je fasse un plan, je l’écris en général assez vite.

    • Kanata a dit :

      Oui, il peut être contre-productif de passer trop de temps sur la construction d’un texte court (qui de toute façon ne développe pas les personnages et la tension dramatique de la même manière). On parle bien ici de romans. Pour les nouvelles, je les écris toujours en une seule fois, donc ma tête me suffit pour la structure 😉

  7. Pour les auteurs de SFFF, il me semble que c’est important, de veiller à la structure en amont : après tout, vous inventez tout un univers.
    Pour ma part, j’écris de la littérature blanche (quoique sombre :p ) et je ne bâtis pas de plan. Oh, bien sûr, j’ai une idée de quelques axes, une vague idée de comment va se terminer le roman, mais je laisse mes personnages me guider. Par exemple, le roman que j’ai achevé cet été n’a pas eu la fin imaginée au départ, mon héroïne ne pouvait pas faire ce que j’avais programmé, c’était impensable.

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