Coups de cœur

[Wilfried N’Sondé] Les Cœurs des enfants léopards

This entry is part 1 of 3 in the series Les lectures afro-caribéennes de Gangoueus

[Espaces Comprises] veut donner la parole à toute la littérature francophone. En plus de Cécile Duquenne et de sa rubrique SFFF 100 %  francophone, Gangoueus rejoint l’équipe avec sa passion pour la littérature afro-caribéenne. Auteur de l’excellent blog Chez Gangoueus et animateur de l’émission Les Lectures de Gangoueus sur Sud Plateau, il partagera ses coups de cœur.

Que recherche Gangoueus dans la lecture d’un roman ? Une histoire dont la trame est élaborée et cohérente, des personnages denses parfois complexes mais surtout vrais, une écriture, un style pour porter tout cela au firmament. En bonus, si cela est réalisé dans mes thématiques de lecture, ma satisfaction sera sans borne.
Dans le cadre de son premier roman intitulé Le Cœur des enfants léopardsWilfried N’Sondé satisfait à chacune de ces exigences du lecteur que je suis. Pourtant, le sujet qu’il aborde est loin d’être évident à traiter sans tomber pieds et poings liés dans la caricature.
Le personnage narrateur de ce texte est en garde à vue. On ignore les raisons qui l’ont amené à cette situation. C’est une détention musclée, où il s’en prend plein dans la tronche. Mais il ne semble pas être là, derrière les barreaux. Son esprit navigue et poursuit un cheminement fait d’interrogations sur son passé, son histoire de jeune d’une cité quelconque française. Il est noir. Il fait partie d’une petite bande d’amis avec Mireille, fille de pieds-noirs, et Drissa, neveu d’un marabout. Il aime Mireille. Drissa est son meilleur pote.
La pensée vagabonde, usant d’un parcours sinueux, révèle progressivement la nature des relations de cette bande d’amis ainsi que d’autres portraits de personnages gravitant autour de ce noyau et l’évolution de celle-ci dans la cité qui les a vu grandir et pour certains partir. La description du narrateur n’est pas continue entrecoupée par des épisodes tendues de sa détention, par la voix de l’officier de police, ou par celle de Drissa… Mais les errements ne se limitent pas qu’à sa petite vie en France, son introspection le conduit au bord du fleuve Congo, au cœur du culte des ancêtres et du socialisme scientifique que ses parents ont quitté pour l’Europe. Ses pas en culture kongo, s’inscrivent dans la quête identitaire de celui victime trop souvent du délit de faciès, dans le but entre autre de répondre à la question « t’es qui toi ? ».
L’esprit du narrateur embrumé et secoué par la violence policière qu’il subit s’éclaircit progressivement et au fil des pages, tout en levant la lumière sur les différents personnages, leurs folies, ou leurs passions amoureuses, leurs haines ou leurs frustrations, distillent petit à petit des éléments qui ont conduit à la détention.
Tout cela est mené avec maestria par Wilfried N’Sondé qui porte son propos avec élégance, avec énormément de profondeur et finalement beaucoup d’humanité. Je suis tout simplement sous le charme de ce roman que je viens de terminer et qui porte un regard magnifique de justesse sur certaines destinées chaotiques des banlieues françaises mais également sur le désarroi des forces de l’ordre. Rien n’est blanc, rien n’est noir, mais souvent c’est un cycle d’incompréhension.
Un coup de cœur qui touchera par la dimension universelle du propos de l’auteur.
Extrait :

Tu n’as plus aucune raison d’avoir peur, je suis maintenant menotté entre quatre uniformes, à me débattre tout seul avec ma défonce, j’avance tel un zombie, rancard chez la charogne à tout heure du jour ou de la nuit. La police, pourquoi je te dérange autant que ça ? Papiers d’identité, à croire que je t’inquiète, carte de séjour, ah bon vous êtes français ? Délit de faciès, vide tes poches t’as un couteau avec top, tu te défends comment ?
Monsieur le gardien, moi aussi j’en veux de la paix, et des allées fleuries, des sourires, bonjour mademoiselle, comment allez vous madame, je ne veux plus de crachats dans l’escalier, dispute chez l’ivrogne d’en face, des seringues dans le bac à sable, le samedi soir qui finit en faits divers. Fermez les bars-tabacs-tiercé, que nos pères s’assoient dans la salle à manger pour le dîner. Moi, je veux du bleu dans ma vie, des promenades dans les parcs, une belle voiture dans le garage, du gazon vert et frais, un jardin pour l’été. Dommage que tu ne m’entendes pas mon capitaine, j’avais là un bel aveu pour toi !

Page 36, Ed. Actes Sud

Wilfried N’Sondé, Le Cœur des enfants léopards
Edition Actes Sud, 1ère parution 2007, 133 pages
Prix des Cinq continents 2007

Series Navigation[Ernest Pépin] Le soleil pleurait >>
Print Friendly, PDF & Email
Cet article a été posté dans Coups de cœur et taggé sous . Ajouter le permalien aux favoris.
Partager !
Print Friendly, PDF & Email

Une réponse à [Wilfried N’Sondé] Les Cœurs des enfants léopards incluant les trackbacks et les pings.

  1. Escrocgriffe a dit :

    Touché par cet extrait, beaucoup de justesse, ce qui n’est pas simple vu le sujet…
    Félicitations à Gangoueus pour cette belle promotion ! 🙂

Répondre à Escrocgriffe Annuler la réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *