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De la micronouvelle et de ses techniques de rédaction (1/3)

This entry is part 1 of 4 in the series La micro-fiction
fuentealba

Jacques Fuentealba (source : Histoires de romans)

Jacques Fuentealba est traducteur d’espagnol et auteur de romans, nouvelles et de centaines de micro-nouvelles, publiés chez Mnémos, Malpertuis, Céléphaïs, Walrus, entre autres. Nous lui avons demandé de nous expliquer ce format particulier et nous le remercions chaudement !

La micronouvelle, c’est quoi ?

Sans se lancer dans une définition exhaustive qui pourrait très bien faire l’objet d’un article entier sans couvrir toutes ses caractéristiques et particularités, on résumera en disant que c’est une nouvelle très courte. Quelques mots, quelques lignes, un paragraphe ou deux, pas tellement plus. Si le prix Pépin fixe la limite des textes pouvant concourir à 300 signes, titre compris, certains, comme Laurent Berthiaume, ainsi que le rapporte l’article Wikipédia sur la micronouvelle, sont plus « laxistes » et fixent la limite haute à une centaine de mots.
La micronouvelle, aussi appelée microroman, microfiction, short short story, flash fiction et j’en passe, est donc un texte court, en prose et qui contient une structure narrative minimale. Même dans sa forme la plus ramassée, la micronouvelle maintient un squelette de structure. Une introduction ou exposition, un développement et un dénouement. Précisons que certaines micronouvelles, type aphorismes ou faux dictons, peuvent parfois manquer de cette structure.
La concision des microfictions fait qu’en certaines occasions, l’introduction/exposition se retrouve réduite à la portion congrue, quelquefois même juste suggérée. L’ellipse est d’ailleurs une des figures de style reine du format.

Figures de style

À vrai dire, la micronouvelle est un laboratoire de savant fou pour tout auteur avide de torturer un peu la langue afin qu’elle révèle ses sales petits secrets. C’est donc la forme idéale pour tester plein de figures de style en tout genre, pas uniquement l’ellipse.

Faisons un petit tour de ces figures de style, du moins celles qui reviennent le plus souvent.
L’ellipse, donc, justement, puisqu’on en parle. Un, deux, trois coups de ciseaux, et on obtient un texte plus court que ce que l’on avait dans un premier temps projeté d’écrire. De plus, la micronouvelle charcutée devient plus énigmatique, et le décryptage du sens tient parfois de la devinette, voire peut ouvrir de multiples interprétations. Un exemple parfait est le texte d’Augusto Monterroso, presque un Hemingway[1] en termes d’extension en espagnol (7 mots) :

Le dinosaure

Quand il se réveilla, le dinosaure était encore là.

Le texte peut s’interpréter de diverses façons. Avant de préparer cet article, je voyais là l’histoire d’une entité dormante qui en se réveillant constatait qu’un dinosaure, qu’elle espérait voir éteint à son réveil, était encore en vie. Je prêtais une intention à ce « il » qui n’était pas dans le texte, de même j’interprétais le « encore là » en lui donnant le sens de « encore en vie ». Après tout, le texte nous informe du fait que le dinosaure était encore là, pas qu’il était en vie. Et même, si on pousse plus loin l’analyse, il se peut que ce dinosaure-là n’ait jamais été vivant dans cette micronouvelle, que ce soit lorsque le personnage était éveillé une première fois, quand il était endormi ou éveillé à nouveau.
On aura aussi pu penser qu’il s’agit d’un enfant qui a un ami imaginaire prenant la forme d’un dinosaure, qu’il se dit un jour avant de s’endormir, que son ami imaginaire n’est que cela, une chimère qui ne devrait pas exister ailleurs que dans sa fantaisie et qu’il aura disparu à son réveil. Et non, lorsque l’enfant se réveille, le dinosaure est encore là.
Je surinterprète, bien entendu, mais le texte étant écrit en creux, c’est un réflexe de lecture bien naturel que de vouloir remplir les trous pour le rendre compréhensible.
On peut sans doute trouver énormément d’autres interprétations…
En réalité, en faisant quelques recherches sur cette micronouvelle, je découvre ce qu’en dit la page Wikipédia en espagnol :

La micronouvelle du dinosaure a servi de référence concernant la politique mexicaine du Parti Révolutionnaire Institutionnel qui a gouverné le pays pendant plus de 70 ans et on le comparaît, du fait de son ancienneté à un dinosaure : le parti et ses membres sont constamment représentés dans des analyses politiques, interviews et caricatures sous la forme de cet animal. Ce qui fait que ces derniers utilisent continuellement cette micronouvelle.

Intéressant de voir que l’on peut remplir les trous de cette ellipse de cette façon-là. Reste à savoir si c’était ce que l’auteur avait en tête lorsqu’il avait écrit cette flash fiction.
Là, on est confrontés à une ellipse qui ne repose sur aucun référent populaire connu pour combler les espaces. Certes, tout le monde sait ce qu’est un dinosaure et connaît les caractéristiques principales qu’on lui attribue (pas une lumière pour sa taille gigantesque, espèce éteinte, saurien…). Toutefois, aucune de ces caractéristiques (à part le fait qu’il ait peuplé la Terre des millions d’années plus tôt et que sa survie relève donc d’une longévité surnaturelle ou contre nature dans le texte qui nous intéresse) ne permet d’offrir une lecture satisfaisante.
Dans de nombreux autres cas, les ellipses dans les micronouvelles sont couvertes par des référents qui, s’ils sont assimilés par le lecteur, illuminent le texte en donnant des clés de compréhension ou au moins des pistes, en jouant la plupart du temps sur l’effet de surprise, sur une résolution aussi « foudroyante » qu’un eurêka.

Voilà pourquoi les auteurs de micronouvelles aiment à convoquer dans leurs textes des personnages de contes, de légendes ou de mythes célèbres (Petit Poucet, Petit Chaperon rouge[2], Hercule, loups-garous, vampires, fantômes…), de la littérature (Don Juan, Gregor Samsa (le personnage de La Métamorphose de Franz Kafka[3]), Alice au Pays des Merveilles[4]…), de l’hagiographie (spécialité du microauteur le Père Désœuvré[5]) ou de l’Histoire…


[1] L’Hemingway est un format très court de micronouvelle (6 mots, ni plus ni moins).

[2] Dans le recueil de José Luis Zárate Petits Chaperons Rouges (éd. Outword/Kymera) par exemple !

[3] Il a fait l’objet d’un certain nombre de short short stories sur le blog de Químicamente Impuro

[4] Avec notamment Desconstrucción Alicia, de Santiago Eximeno (nanoediciones) 

[5] Dont on trouvera quelques microblasphèmes ici

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