[Raphaël Albert] Rue Farfadet

This entry is part 6 of 6 in the series SFFF 100 % francophone

Hello tout le monde !
C’est le retour de la chronique 100 % VF et 100 % SFFF ! Et ce mois-ci, afin de palier au temps vraiment pourri, j’ai décidé de mettre un peu de soleil et d’humour dans votre PAL… avec Rue Farfadet de Raphaël Albert.

Panam, dans les années 1880 : les humains ont repris depuis longtemps la main sur les Peuples Anciens. Sylvo Sylvain a posé son havresac dans la rue Farfadet, gouailleuse à souhait. Chapeau melon vissé sur le crâne, clope au bec, en compagnie de son fidèle ami Pixel, il exerce la profession exaltante de détective privé et les affaires sont nombreuses ! Des adultères à photographier, des maris jaloux, des femmes trompées, etc. Ni très rémunérateur, ni très glorieux que tout ceci. Alors, Sylvo fréquente assidûment les bars, les cafés et les lieux de plaisir en tout genre où son charme envoûte ces dames…
Jusqu’au jour où, lors d’une banale enquête de routine, il se trouve mêlé à une machination dépassant l’entendement. Le voilà, bien malgré lui, chargé de l’affaire par l’un des trois puissants ducs de Panam. Saura-t-il tirer son épingle de ce jeu compliqué et dangereux ?
Dans ce premier roman Raphaël Albert déploie un art consommé de l’écriture. Il nous fait palpiter au rythme d’une histoire passionnante de bout en bout. Il trousse avec style un personnage attachant et original et invente un univers surprenant de fantasy steampunk où l’on croise centaures taxis, motos à vapeur et magie de bataille.

Vous aimez les styles truculents, bourrés d’humour ? Vous aimez les romans qui mélangent et les genres et les références ? Vous aimez les personnages politiquement engagés ? Vous aimez un récit qui prend son temps, sans pour autant traîner la savate ? Alors les livres de Raphaël Albert sont faits pour vous ! Moi, en tout cas, ça a été une vraie rencontre. Déjà avec l’auteur, lors d’un salon, très sympa et hyper drôle. Ensuite avec ses romans, qui sont tout aussi sympas et tout aussi drôles !
Un coup de cœur dès le premier chapitre… que dis-je ? Dès la première ligne ! En quelques mots, Raphaël Albert instille un style plein d’humour et annonce tout de suite la couleur : il n’y en aura pas de précise, car ce sera un véritable feu d’artifice de mélanges ! Entre polar et fantasy, uchronie et steampunk, chaque phrase participe à la création d’un univers d’une incroyable richesse, tant sur le fond que sur la forme.
C’est un Paris complètement revisité que nous découvrons dans les pas de Sylvo, un farfadet qui officie en tant que détective privé ! Un farfadet dont la figure narrative tarde à émerger, puisque son « je » arrive seulement à la fin du premier chapitre… discret, efficace, comme le vrai détective qu’il est, occupé à espionner un autre personnage. Autant vous dire, j’ai a-do-ré me faire surprendre par cette émergence tardive du vrai narrateur.

En parlant de ce personnage, Sylvo, je l’ai trouvé attachant à tous points de vue : oh, oui, il est un peu macho ; oui, il est très cynique aussi ; et il boit énormément en plus d’être un fieffé fainéant… mais il est aussi courageux et plein d’allant, fidèle à lui-même, et surtout sincère et conscient de ses défauts (qu’il n’essaie pas pour autant d’améliorer, ce qui ne le rend que plus réaliste et attachant quelque part). J’ai trouvé le traitement du personnage extrêmement bien tourné. Cela est dû non seulement à la « voix » unique du personnage, fortement mise en avant par le style, mais aussi aux rapports qu’il entretient avec les autres figures qui traversent le roman : même quand celles-ci sont de pures crapules, Sylvo leur trouve d’une manière ou d’une autre une qualité qui les rachète. Couplée au cynisme éruptif mais jamais vainqueur de Sylvo, j’ai trouvé cela d’une remarquable subtilité, car ça en dit long sur le personnage non pas comme il se voit mais comme il est vraiment. Et ça, perso, ça a gagné mon cœur de lectrice. ^_^

En conclusion, si vous aimez les univers complexes et les personnages a priori superficiels qui se révèlent au final bien plus profonds qu’ils n’y paraissent, je ne peux que vous conseiller de vous jeter sur Rue Farfadet !! Un métissage réussi entre steampunk, polar et fantasy ; une pépite de style et d’humour !

Le tome 2 est d’ores et déjà dans ma PAL, d’ailleurs, je le lis tout bientôt. 😉

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[Wilfried N’Sondé] Les Cœurs des enfants léopards

This entry is part 1 of 3 in the series Les lectures afro-caribéennes de Gangoueus

[Espaces Comprises] veut donner la parole à toute la littérature francophone. En plus de Cécile Duquenne et de sa rubrique SFFF 100 %  francophone, Gangoueus rejoint l’équipe avec sa passion pour la littérature afro-caribéenne. Auteur de l’excellent blog Chez Gangoueus et animateur de l’émission Les Lectures de Gangoueus sur Sud Plateau, il partagera ses coups de cœur.

Que recherche Gangoueus dans la lecture d’un roman ? Une histoire dont la trame est élaborée et cohérente, des personnages denses parfois complexes mais surtout vrais, une écriture, un style pour porter tout cela au firmament. En bonus, si cela est réalisé dans mes thématiques de lecture, ma satisfaction sera sans borne.
Dans le cadre de son premier roman intitulé Le Cœur des enfants léopardsWilfried N’Sondé satisfait à chacune de ces exigences du lecteur que je suis. Pourtant, le sujet qu’il aborde est loin d’être évident à traiter sans tomber pieds et poings liés dans la caricature.
Le personnage narrateur de ce texte est en garde à vue. On ignore les raisons qui l’ont amené à cette situation. C’est une détention musclée, où il s’en prend plein dans la tronche. Mais il ne semble pas être là, derrière les barreaux. Son esprit navigue et poursuit un cheminement fait d’interrogations sur son passé, son histoire de jeune d’une cité quelconque française. Il est noir. Il fait partie d’une petite bande d’amis avec Mireille, fille de pieds-noirs, et Drissa, neveu d’un marabout. Il aime Mireille. Drissa est son meilleur pote.
La pensée vagabonde, usant d’un parcours sinueux, révèle progressivement la nature des relations de cette bande d’amis ainsi que d’autres portraits de personnages gravitant autour de ce noyau et l’évolution de celle-ci dans la cité qui les a vu grandir et pour certains partir. La description du narrateur n’est pas continue entrecoupée par des épisodes tendues de sa détention, par la voix de l’officier de police, ou par celle de Drissa… Mais les errements ne se limitent pas qu’à sa petite vie en France, son introspection le conduit au bord du fleuve Congo, au cœur du culte des ancêtres et du socialisme scientifique que ses parents ont quitté pour l’Europe. Ses pas en culture kongo, s’inscrivent dans la quête identitaire de celui victime trop souvent du délit de faciès, dans le but entre autre de répondre à la question « t’es qui toi ? ».
L’esprit du narrateur embrumé et secoué par la violence policière qu’il subit s’éclaircit progressivement et au fil des pages, tout en levant la lumière sur les différents personnages, leurs folies, ou leurs passions amoureuses, leurs haines ou leurs frustrations, distillent petit à petit des éléments qui ont conduit à la détention.
Tout cela est mené avec maestria par Wilfried N’Sondé qui porte son propos avec élégance, avec énormément de profondeur et finalement beaucoup d’humanité. Je suis tout simplement sous le charme de ce roman que je viens de terminer et qui porte un regard magnifique de justesse sur certaines destinées chaotiques des banlieues françaises mais également sur le désarroi des forces de l’ordre. Rien n’est blanc, rien n’est noir, mais souvent c’est un cycle d’incompréhension.
Un coup de cœur qui touchera par la dimension universelle du propos de l’auteur.
Extrait :

Tu n’as plus aucune raison d’avoir peur, je suis maintenant menotté entre quatre uniformes, à me débattre tout seul avec ma défonce, j’avance tel un zombie, rancard chez la charogne à tout heure du jour ou de la nuit. La police, pourquoi je te dérange autant que ça ? Papiers d’identité, à croire que je t’inquiète, carte de séjour, ah bon vous êtes français ? Délit de faciès, vide tes poches t’as un couteau avec top, tu te défends comment ?
Monsieur le gardien, moi aussi j’en veux de la paix, et des allées fleuries, des sourires, bonjour mademoiselle, comment allez vous madame, je ne veux plus de crachats dans l’escalier, dispute chez l’ivrogne d’en face, des seringues dans le bac à sable, le samedi soir qui finit en faits divers. Fermez les bars-tabacs-tiercé, que nos pères s’assoient dans la salle à manger pour le dîner. Moi, je veux du bleu dans ma vie, des promenades dans les parcs, une belle voiture dans le garage, du gazon vert et frais, un jardin pour l’été. Dommage que tu ne m’entendes pas mon capitaine, j’avais là un bel aveu pour toi !

Page 36, Ed. Actes Sud

Wilfried N’Sondé, Le Cœur des enfants léopards
Edition Actes Sud, 1ère parution 2007, 133 pages
Prix des Cinq continents 2007

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La fantasy jeunesse francophone (pt 02)

(Suite de l’article publiée la semaine dernière : Et petit, vous lisiez de la fantasy ?, par Silène Edgar.)

La fantasy est aujourd’hui un genre qui occupe une place centrale dans la littérature jeunesse, mais cela n’a pas toujours été le cas. Il y a encore 20 ans, ils étaient peu nombreux, les jeunes lecteurs qui préféraient la fantasy au roman d’aventure. Il fallait être un de ces pionniers en herbe qui boudait le Club des cinq pour dévorer Bilbo le HobbitMoumine le troll et Histoire sans fin !
Et puis voici que l’ère de la fantasy a commencé : alors nous avons le plaisir de découvrir Lyra dans À la croisée de mondes et Harry à Poudlard ! La littérature jeunesse s’est résolument tournée vers l’imaginaire, en langue anglaise bien sûr, mais aussi en français. Voici un petit tour d’horizon de l’histoire de la fantasy francophone jeunesse !

Aux sources du genre

mouffetardRevenons aux sources : dans la littérature jeunesse comme dans la littérature « vieillesse » (dixit Erik L’Homme), les genres de l’imaginaire ont longtemps été dévalorisés et, en jeunesse, la production francophone a été ignorée jusque dans les années 90. Pourtant, avant C.S. Lewis, l’auteur du Monde de Narnia, et Tolkien (Bilbo le Hobbit n’a été traduit qu’en 1969), les auteurs francophones de contes merveilleux ont initié leurs lecteurs, jeunes et moins jeunes, à ces univers parallèles !
À la grande époque du XVIIe, Barbe-bleue le serial killer, Peau d’âne la transformiste ou le chat botté et facétieux naissaient chez Perrault tandis Mme Leprince de Beaumont créait La Belle et la Bête… Cela est un peu lointain, pensez-vous ? Vous me direz aussi que beaucoup n’ont découvert ces contes que dans leur adaptation guimauve à la Walt Disney ? Qu’à cela ne tienne, je parie que vous aviez malgré tout des livres merveilleux sur vos étagères ! Vous connaissez bien Delphine et Marinette et le Chat perché de Marcel Aymé, non ? Et si je vous parle de la sorcière de la rue Mouffetard qui voulait manger Nadia à la sauce tomate ou de sa consœur, qui logeait dans un placard à balai ? Ne chantiez-vous pas « Sorcière, sorcière, prends garde à ton derrière » après avoir découvert le génial Gripari et ses contes de la rue Broca ? N’avez-vous pas voyagé avec André Dhôtel jusqu’au Pays où l’on n’arrive jamais ? Ah, vous voyez que vous en avez lu, petit, du merveilleux francophone !

L’explosion

peggysue10Tous ces auteurs ont été des précurseurs du genre même si ce n’est que dans les années 80 qu’il se diversifie. Apparaissent alors de nombreuses merveilles comme les romans d’Andrevon, Fetjaine, Gudule, Marie-Aude Murail et son changelin. Les jeunes lecteurs de ces années-là découvrent de nouveaux éditeurs qui entrouvrent la porte de la fantasy : Flammarion, Gallimard, Magnard, Mango, Pocket, suivis d’Albin Michel, Bayard, Hachette, Milan ou Rageot. Et avec Harry Potter, c’est l’explosion !
Dans les années 2000, voici que les pépites se multiplient : Bottero nous embarque aux côtés d’Ewilan tandis que Brussolo fait naître Peggy Sue et que Sophie Mamikounian crée Tara Duncan. Mourlevat fait remonter La Rivière à l’envers et Erik L’Homme nous ouvre Le Livre des étoiles. Ces livres obtiennent des succès rapides et retentissants : Le Livre des étoiles est vendu à 600 000 exemplaires et, L’Homme le dit lui-même, l’appel d’air créé par Harry Potter, publié aussi chez Gallimard jeunesse, a été une grande opportunité pour les auteurs francophones.

Une offre diversifiée

salicandePar la suite, le genre s’installe et perce au fur et à mesure dans toutes les maisons : ainsi, L’école des Loisirs, résolument réaliste (à la notable exception de Loïs Lowry, en SF), offre la joie de découvrir Björn le Morphir de Thomas Lavachery à travers une saga délirante, qui nous plonge dans l’univers des vikings. Dans la suite de la saga, nous visitons des Enfers vikingo-romains dans une perspective toute aussi imaginative que celle de Pullman dans le tome 3 d’À la croisée des mondes : c’est une belle démonstration de la façon dont la fantasy se saisit de la littérature classique et la renouvelle. Dernièrement, les éditions Thierry Magnier, connues pour la qualité de leurs choix dans la littérature réaliste, se sont aussi ouvertes à l’imaginaire avec Samien de Colin Thibert, inspiré par le roman picaresque. Tous ces auteurs explorent de nombreuses pistes, et si nous nous référons aux catégories qu’André-François Ruaud définit clairement dans sa Cartographie du merveilleux, il y en a pour tous les goûts : fantasy héroïque, fantasy urbaine, fantasy historique, féerique, animalière, etc.
Et il y en a pour tous les âges ! Les petits découvrent ainsi, avec Claude Ponti, des univers délirants. Les collégiens se régalent des Éveilleurs de Pauline Alphen, L’Elfe au dragon d’Arthur Ténor ou les romans des St-Chamas avec la série Strom. Les lycéens peuvent facilement aller vers la fantasy adulte grâce à des ouvrages passerelle comme ceux de Mathieu Gaborit, si connu des rôlistes à travers Agone ou Pierre Pevel avec Les Lames du cardinal et le cycle de Wielstadt. Il semble oublié le temps où Mathieu Gaborit, Gérard Guéro, Pierre Pevel et Stéphane Marsan, qui sont loin pourtant d’être des vieillards chenus, ne trouvaient, petits, que les classiques anglo-saxons ou les contes anciens pour nourrir leur imaginaire. La naissance de la fantasy jeunesse en France est récente, mais elle ressemble bien plus à une explosion qu’à une timide arrivée.

Les francophones à l’égal des anglophones ?

Malgré une prédominance manifeste des anglo-saxons, les francophones font de beaux succès dans les librairies, il suffit de citer Strom, Louis le Galoup et Oksa Pollock. Les grands succès ne se démentent pas dans le temps, par exemple Tobie Lolness, sorti en 2006, dont les droits ont été achetés pour une adaptation cinématographique, ou Les Chevaliers d’Émeraude de la québecoise Anne Robillard, adapté aujourd’hui en BD. Le Combat d’hiver de Mourlevat est traduit en 11 langues. Les éditeurs mettent le paquet en choisissant le plus souvent une publication en grand format, ce qui leur permet de les re-exploiter ensuite en poche, mais surtout de créer un étal particulier, celui qui vous saute aux yeux quand vous arrivez au rayon jeunesse : 50 % des grands formats sont des romans de fantasy et ils représentent 65 % des ventes (Ipsos 2006). Les concepteurs marketing rivalisent d’imagination pour créer la couverture originale qui attirera l’œil dans cette marée de « gros pavés ». Les maisons spécialisées SFFF ont des collections jeunesse, et elles y accueillent les francophones largement : nous pouvons ainsi lire Danielle Martinigol et Carina Rozenfeld à L’Atalante, Emmanuelle Nuncq et bientôt Mel Andoryss et Lise Syven chez Bragelonne, etc.
Est-ce que, pour autant, on peut imaginer que la fantasy francophone se suffise à elle-même pour satisfaire le lectorat ? Je pense par exemple à la collection créée chez Mango, Royaumes perdus, qui explorait le merveilleux à travers les âges, de la Rome antique aux steppes russes, et ne proposait que des titres francophones. Ce n’est pourtant pas une question de qualité des ouvrages : on y retrouvait les grands noms, Johan Heliot, Fabien Clavel, Christophe Lambert, et les romans étaient de vraies pépites. Même revers pour Le Pré aux clercs pour la belle collection YA francophone Pandore, lancée en 2012 et qui nous avait permis de lire par exemple Estelle Faye. Là encore, cette fermeture est sans rapport avec la qualité des ouvrages ni avec l’intérêt du genre. Est-ce que les collections étaient trop spécialisées ? Ou est-ce que les éditeurs ont besoin des grosses locomotives américaines (en général les adaptations cinématographiques) pour financer les sorties francophones moins médiatisées ? Question à suivre dans les années à venir.
Quoiqu’il en soit, un petit tour aux Imaginales au mois de mai permet de mesurer l’incroyable vitalité du secteur. Sans attendre jusqu’en mai, il suffit de regarder les étals chez les libraires pour constater que la fantasy jeunesse a de l’avenir : des vampires aux loups-garous en passant par les zombies, la magie n’est pas près de disparaître ! Et les francophones y sont bien installés comme le prouve une jeune auteur comme Samantha Bailly, étoile montante de la fantasy francophone !

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7 ans de réflexion

Amanda-hourglassNous avons parlé de la préparation, de la structure, du synopsis, de l’écriture, de la correction, de l’édition, des dédicaces… pourtant, il est une phase que l’on passe souvent sous silence et que l’on tend à minimiser : celle de l’attente !

Quand on décide de devenir écrivain, il faut se préparer à attendre, beaucoup, et souvent. Parfois, on aimerait que cela passe plus vite. Je fais bien évidemment référence, dans ce cas, à l’attente sans fin des réponses (positives ou négatives) lors de la phase de prospection éditoriale. Ce n’est pourtant pas de celle-ci dont je vous propose de parler aujourd’hui, mais d’une autre, bien plus importante. Une qui ne doit pas être subie, que l’on ne doit pas redouter, mais bel et bien chérir : l’attente entre la fin du premier jet et le début des corrections/réécritures !

Soyons francs : si vous pensiez pouvoir enchaîner votre premier jet et vos réécritures, vous faites fausse route. À la fin du premier jet, vous devriez être vanné. Heureux, extatique, sur un nuage, certes… Mais une fois la bouffée d’hormones retombée, vous devriez être à bout ! Et ce n’est pas du tout le bon moment pour donner le meilleur de vous-même. Or, la réécriture et les corrections vont vous pomper au moins autant que la partie purement créative, si ce n’est plus. A minima, vous avez besoin de repos.

Mais surtout… un roman est comme un bon fromage, un bon vin ou un bon whisky : il a besoin de temps pour s’affiner, fermenter, vieillir… – bref, vous comprenez les métaphores pourries.

Il faut savoir prendre de la distance avec son texte et son histoire, de manière à être le plus impartial possible. Ce n’est pas si facile qu’il y paraît… Et c’est bien pour cela qu’une certaine attente est nécessaire. Se jeter dans la réécriture à chaud, c’est s’ôter d’emblée des opportunités d’améliorations profondes et risquer de rester superficiel. Parfois – souvent ? – il ne faut pas avoir peur de tailler dans la masse, et c’est extrêmement difficile à faire quand on est encore « amoureux » de son œuvre. Car c’est bien connu : « l’Amour rend aveugle ».

Combien de temps faut-il attendre, me direz-vous ? Certainement pas sept ans comme pour une union, vous répondrais-je.

Attente trop courte

On sera à l’aise pour les petits ajustements et les corrections ortho-grammaticales, mais on risque de manquer de lucidité et de recul pour les grandes questions. Quand viendra le moment de statuer sur cette belle envolée lyrique qui plombe une scène, on sera tenté de la garder parce que la douleur d’en avoir accouché sera encore trop présente.

Attente trop longue

On court le risque de se faire rattraper par la vie, ou de nouveaux projets attrayants qui s’enchaîneront sans cesse, les uns à la suite des autres : c’est le danger de ne jamais faire aboutir un récit. J’appelle ça « l’appel des sirènes », la parfaite fuite en avant. Il est tellement plus agréable de créer que de corriger… ATTENTION, DANGER !

Le juste milieu

C’est un seuil qui est personnel à chacun et, mine de rien, c’est un vrai travail sur soi. Il faut être honnête avec soi-même et apprendre à se connaître. Pour moi, il y a un déclic qui se fait. À un moment, je sens que je suis prêt à en découdre avec mon texte. J’ai la hargne, je suis remonté à bloc, et je vais lui montrer qui est le maître ! Pourquoi croyez-vous que toutes mes corrections prennent des allures de matches de boxe (sport que je déteste par ailleurs, allez comprendre…) ?

Ma philosophie est la suivante : « j’écris le premier pour moi, je réécris pour les autres ». Tant que je ne suis pas prêt à faire ce travail, quitte à renier certaines choses que j’ai écrites, j’attends !

Mais pour d’autres, c’est une zénitude absolue qui est le signe de se lancer. Ils arrivent à un recul tel qu’ils peuvent aborder leur propre texte comme si c’était celui de quelqu’un d’autre avec calme et sérénité.

Si vous n’êtes pas sûr d’avoir trouvé votre déclencheur, essayez la bêta-lecture. Vos réactions aux retours d’autrui seront un bon indicateur qui vous permettra de savoir si vous êtes mûr, ou si vous devez attendre encore un peu…

Que faire en attendant ?

Quel que soit votre déclencheur, il faut bien trouver quoi faire durant cette attente.

  • Reprendre votre vie « normale » ?
  • Vous vider la tête à grand renfort de jeux vidéo, séries télé, ou salles obscures ?
  • Partir en voyage ?
  • Entamer un autre projet (attention à ne pas fuir la réalité de la réécriture et des corrections 😉 ) ?
  • Reprendre le sport ?
  • Vider votre PAL ?
  • Dormir ?
  • Prévenir votre entourage que vous n’êtes pas mort ?
  • Commencer un élevage de pucerons ?
  • Entamer une cure de désintoxication au café, au chocolat – ou aux tagadas ?

Dites-nous un peu quels sont vos trucs favoris durant cette attente, et quel est VOTRE déclencheur pour plonger dans les corrections ?

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Et petit, vous lisiez déjà de la fantasy ? (La fantasy francophone, pt 01)

Nous avions déjà eu le plaisir d’interviewer Silène Edgar pour Genres sans frontières. Auteur pour petits et grands, son dernier roman Fortune Cookies, vient de sortir chez Bragelonne. Cet article a d’abord été publié chez JDRmag en janvier 2012 et a été mis au goût du jour pour [Espaces Comprises].

Mathieu Gaborit, Gérard Guéro, Stéphane Marsan et Pierre Pevel répondent à la question !

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© Aude L (Voyages à travers le codex)

Mathieu Gaborit : Je crois, oui. À vrai dire, mes premiers souvenirs de fantasy me ramènent à Fafhrd et Souricier Gris, les deux héros de Fritz Leiber dans le Cycle des épées. C’est un souvenir très ancré à travers une seule scène qui évoque leurs épouses ou compagnes respectives dévorées par des rats. Je ne suis même pas certain que cette scène existe telle quelle, mais je vous livre cette empreinte spontanément, sans reconstruction. Cette scène (si elle existe !) m’a marqué, je pense, parce qu’elle convoquait la réalité pour de bon. Je me prenais de plein fouet un drame tangible, crédible et surtout une fragilité. Autre souvenir : la trilogie du Lyonnesse de Jack Vance. La sensation, à l’époque, d’avoir effleuré une forme de poésie. Un peu plus loin, il y a eu Elric et Hawkmoon de Moorcock et puis, bien sûr, Howard. Des classiques qui ont forgé mon appréhension de la fantasy.

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Source : Babelio

Gérard Guéro : Alors en fait, oui et non… Petit, je lisais plus de la science-fiction (je suis de la génération SF, après tout), conseillé que j’étais par mon grand frère. Il m’a fait lire Bilbo, en 1976 ou 1977 si mes souvenirs sont bons, et là, j’ai basculé du côté fantasy, je crois… même si après, je me suis tapé des grands classiques comme Dune (mais Dune, c’est pas de la SF, c’est bien de la fantasy…). Mais surtout, j’ai appris à lire avec un mètre de magazine Spirou et dans Spirou, c’était bourré de fantasy !!! Johan et Pirlouit, c’est juste de la fantasy, avec des gros nez, mais de la fantasy… il y a des dragons, des ogres, des sorciers, des petits lutins bleus… Donc, oui et non… Ça dépend de quel côté on se place. Par contre, il faut bien voir qu’à l’époque, il n’y avait pas Harry Potter ou À la croisée des mondes, pas de collections ni d’éditeurs spécialisés et que pour lire de la fantasy, qu’on soit petit ou grand, il fallait tout de même s’accrocher…

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© JC Caslot

Stéphane Marsan : Le propre de la fantasy, c’est qu’on en lit avant de savoir que c’en est, voire même que ces textes ne savent même pas eux-mêmes qu’ils en sont ! Petit, c’est quand, au fait ? Premiers souvenirs… Je me souviens des livres illustrés que ma mère me lisait ou lisait avec moi. Peter Pan, La Belle et la Bête… Des rêves beaux et étranges sur du papier. Des contes modernes.
À 6 ans, des copains à l’école m’ont parlé de super-héros. Alors, à ma demande, mes parents m’ont emmené chez le marchand de journaux. « Allez, demande au monsieur ce que tu veux. » « Je voudrais le livre de l’araignée et de l’homme de glace ». « Ça s’appelle Strange », il a dit, le kiosquier.
Les aventures de types avec des pouvoirs merveilleux.
En CM1, je crois, j’ai commencé à dévorer des recueils de mythes grecs et romains. Je me faisais acheter tous ce qui ressemblait à ça. Je les relisais tout le temps. Je me souviens très bien du jour où, en vacances, je me suis rendu compte que certains étaient en fait les mêmes, ou une légère variation de l’un à l’autre. Un récit universel qui se répète. Le plaisir (le besoin ?) de relire la même histoire.
En CM2, je me suis mis à lire (et écrire) de la poésie. C’est devenu presque une drogue. Un recours, un refuge, une condition. L’émotion et/dans/à travers l’esthétique. La transfiguration du réel et de l’existence.
À 12 ans j’ai découvert Stefan Wul, puis les jeux de rôle qui m’ont conduit à Dune et Lovecraft. C’est à ce moment-là que j’ai dû lire mon premier roman de fantasy. On m’a prêté Le Seigneur des anneaux, mais je ne pense pas être allé très loin dedans. J’ai dû lire Bilbo, mais je m’en souviens à peine. J’ai dû lire Elric vers 18 ans, et puis plein d’autres. Et voilà, j’ai su que j’aimais la fantasy.
C’est dire si j’ai lu de la Fantasy tard, et pas du tout quand j’étais petit. Mais en un sens, j’en ai lu bien avant d’en lire. Comme à peu près tout le monde, parce que la fantasy est une fiction moderne qui s’abreuve à bien des sources passées, une hérédité capricieuse dont résulte son caractère à la fois immémorial et artificiel.

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© L’Autre monde

Pierre Pevel : Quand j’étais gamin, soit dans les années 70, la fantasy n’existait pas. Ou alors pas en français. Ou alors pas pour les enfants. Ou alors pas par chez moi. Bref, je ne connaissais pas.
Mais je crois que mon goût pour la fantasy s’exerçait déjà. Je lisais et relisais les livres de la série Contes et Légendes que je collectionnais. Grâce à eux, je plongeais dans ces mythologies antiques qui me passionnaient — un assez bon moyen de se préparer à lire le Silmarillion, quand on y pense. Je me souviens également que mes albums de Tintin préférés étaient ceux qui flirtaient avec le fantastique : Les Sept Boules de cristal, par exemple. Et mon Disney favori était La Belle au Bois dormant.
Bref, est-ce que je connaissais la fantasy ? Non.
Est-ce que j’aimais déjà ça ? Oui.

(La suite !)

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