Prenez une saga à grand succès pour adolescentes et jeunes adultes (et moins jeunes) qui raconte l’histoire d’une fille maladroite qui va vivre chez son père dans une ville paumée. Elle y rencontre le bôgosse du lycée, celui pour qui toutes les filles soupirent, et un ami d’enfance, un bôgosse-en-devenir.1 Elle tombe follement amoureuse du premier qui est en réalité un vampire végétarien qui brille au soleil alors que le second, qui en pince pour elle, est un loup-garou. Vous savez, l’ennemi mortel du premier. Jusque là, tout va bien. (Enfin, pas pour tous.) Maintenant, prenez cette autre saga à succès pour les moins jeunes qui raconte l’histoire d’une jeune fille qui rencontre le bôgosse, non plus du lycée, mais du monde des affaires. Comme dans la première saga, la jeune fille vierge est attirée par le « fruit interdit », mais ne craignez rien, il y aura de quoi colmater la frustration sexuelle causée par la lecture du premier (enfin, pas pour tous).
Qu’ont ces deux histoires en commun ? La seconde saga découle de la première. Un roman somme toute chaste avec des valeurs traditionnelles (le vampire est un puceau de 106 ans qui veut attendre le mariage avant de voir le loup (pas le garou)) écrite par une Mormone est devenu une romance pornographique sado-masochiste. Magie de la fanfiction. Et je me suis souvenue (comme si j’avais besoin qu’on me le rappelle) pourquoi je n’aimais pas la fanfiction ou plutôt, ses dérives.
En classe de quatrième, lorsque nous avons terminé de lire La Nuit des Temps de Barjavel, notre professeur de français nous a demandé d’imaginer ce qui aurait pu se passer avant la scène finale. J’ai changé la fin, bien sûr, je l’ai réécrite de façon plus Hollywoodienne (je n’imaginais pas une seconde que celle que j’allais devenir écrirait parfois des fins comme celle de la Nuit des Temps parce que c’est le bien). C’était ma première et dernière incursion dans le monde de la fanfiction.
Suite à une discussion avec Roxane Dambre, j’ai voulu plonger dans cet univers particulier, pas celui, ponctuel des classes de français en collège, mais l’autre, celui où les auteurs sont sérieux dans leur démarche. Je n’écris pas de fanfics, je ne lis pas de fanfics, je ne suis pas intéressée par les fanfics. Étant farouchement contre l’idée qu’on puisse déformer ce que j’ai choisi pour mes personnages mûrement réfléchis, je voulais comprendre pourquoi la fanfiction avait tant de succès, pourquoi d’autres auteurs (qui ont autant sué pour leurs œuvres que moi) acceptaient, allant même jusqu’à être « honoré » de savoir ses personnages vivre ailleurs que dans leurs livres.
Personnellement, je ne me sentirais pas honorée mais plutôt insultée. Dixit Robin Hobb : « Ce n’est pas flatteur, c’est insultant. Toutes les fanfictions que j’ai lues jusqu’à présent, basée sur mon univers ou celui d’autres écrivains, avaient changé le travail méticuleux de leurs auteurs originels pour encadrer avec la fantaisie de l’auteur de fanfiction. Des romances sont inventées, des genres changés, des fétiches créés et les fins sont modifiées. Ce n’est pas de la flatterie. Pour moi, c’est l’auteur de fanfiction qui dit “L’auteur originel a vraiment foiré son histoire, alors je vais la réparer, voici comment elle aurait dû se dérouler”. » Et, n’étant pas toujours sympathique avec mes propres personnages, je comprends les propos de GRR Martin : « Personne d’autre que moi n’a le droit de maltraiter le peuple de Westeros ».
Lorsque je me suis lancée dans l’écriture de La Réelle Hauteur des Hommes, je me suis posée la question de savoir quel était le degré de séparation entre la fanfiction et l’inspiration. Je n’ai jamais caché que l’idée m’est venue en visionnant une scène particulière de la première saison de Games of Thrones (GRR serait fier…). Mais je n’ai pas récupéré le monde, l’histoire ou les personnages de cette scène. Je me suis inspirée d’une phrase, je l’ai transposée dans le monde actuel, et j’ai créé mon histoire. Je ne suis pas du tout contre l’inspiration, au contraire. Si jamais mes personnages vous incitent à créer vos propres histoires et vos propres univers, là, oui, je serai flattée et très, très, fière.
Avec tous ces a priori, je n’étais pas prête à ce que l’article préparé par Valéry K. Baran me fasse changer d’avis. Je ne lirai toujours pas des fanfics et je ne veux toujours pas des fanfics basées sur mes univers. Mais mes propos seront beaucoup plus nuancés, à l’avenir. (Parce que j’adore Antigone.) (Et parce que j’adore Marvel et j’ai l’impression que les auteurs originels font de la fanfiction avec leurs propres œuvres vu le nombre de versions de chaque personnage.) (Surtout si je veux qu’on adapte mes histoires à la télé…) (Ou au cinéma, je ne suis pas sectaire.)
- Il y a pas mal d’histoires construites sur ce schéma, Roxane vous le confirmera. [↩]