D’où vient le terme « bêta-lecture » et que signifie-t-il ? Cette expression reprend le préfixe « bêta », couramment utilisé en informatique pour désigner une version de test d’un concept ou d’un projet (les geeks parmi vous ne s’y seront pas trompés !). La bêta-lecture est donc la lecture d’un texte par un tiers en vue d’aider l’auteur à l’améliorer. Cela peut être un outil précieux pour l’écrivain qui, plongé dans son texte, peinera à prendre du recul à son sujet et aura donc l’usage d’un regard critique extérieur.
Où trouver des bêta-lecteurs?
Il existe des forums dédiés (CoCyclics pour la SFFF et le Co-Lecteurs pour tous les genres, notamment). L’échange de bêta-lecture est leur objectif premier et on trouve toujours des membres plus expérimentés pour nous aiguiller et nous renseigner. Quand on est débutant, cette aide extérieure dans une démarche pas si évidente peut être salvatrice.
Néanmoins, ils ne sont pas les seuls lieux où trouver des gens qui accepteront de vous lire : en règle générale, c’est votre propre carnet d’adresse qui est le meilleur fournisseur de bêta-lecteurs ! Bien sûr, vous pouvez faire appel à votre famille ou à vos amis. Attention, ces deux cercles sont à double tranchant car vos proches peuvent être enclins à la complaisance, or vous avez besoin d’avis objectifs, pas qu’on vous passe la pommade ! Mais vous pouvez aussi trouver des groupes d’écriture dans votre ville, rencontrer des lecteurs intéressés à la bibliothèque ou encore faire appel aux réseaux sociaux en ligne, où groupes et pages dédiés aux écrivains débutants foisonnent.
Il existe également des solutions payantes de coaching littéraire, dont la qualité et le sérieux varient. Si c’est la solution que vous choisissez, prenez garde aux offres malhonnêtes, elles sont nombreuses !
Comment choisir ses bêta-lecteurs ?
Il ne faut pas négliger le choix de ceux qui critiqueront votre texte, et ce, pour bien des raisons. Tout d’abord, les personnes à qui vous confierez votre travail doivent être de confiance : une relation basée sur l’honnêteté est essentielle dans ce type d’échange. Vous ne voulez pas vous faire voler votre texte et vous ne voulez pas non plus recevoir des moqueries acides et condescendantes. Assurez-vous de choisir des personnes avec qui le contact est bon et le dialogue facile.
Ensuite, assurez-vous que ces personnes sont « aptes » à critiquer un texte. Je n’entends pas par là qu’ils soient tous titulaires d’un doctorat en lettres classiques, mais que ces personnes s’intéressent un minimum à la littérature parce qu’elles vont fournir un travail de longue haleine, qu’il ne faut pas qu’elles se lassent en cours de route. Il faut également qu’elles comprennent les rouages d’un texte et ses nécessités pour pouvoir les analyser.
Enfin, leurs goûts en matière de littérature sont importants. Un lecteur qui n’aime pas le genre littéraire auquel appartient votre texte en connaîtra moins bien les codes, les classiques, les références. Quelqu’un qui vous lit sans enthousiasme parce que « ce n’est pas son genre » aura sans doute un avis moins enrichissant que celui d’un lecteur éclairé.
Comment ça se passe ?
Il n’y a pas de recette miracle, tout dépend des attentes de l’auteur et des capacités du bêta-lecteur. Certains écrivains savent précisément ce qu’ils veulent de leurs bêta-lecteurs.
Cécile Ama Courtois demande « surtout des réactions « à chaud » sur l’histoire, le déroulement des évènements, des scènes, etc. Je demande à mes bêta-lecteurs qu’ils écrivent au fur et à mesure ce qu’ils ressentent à la lecture de chaque chapitre : les sentiments que l’intrigue (et la manière dont elle est écrite) leur inspire, leurs questions, les choses qui ne vont pas (qui ne « collent » pas), les incohérences, les émotions mal amenées, mal exprimées… Et j’attends surtout d’eux une grande objectivité et une grande honnêteté. »Tout cela en plus de « quelques corrections de fautes qui m’auraient échappées, de tournures ou d’expressions qui seraient « mal dites », etc. ». En bref, un commentaire détaillé et exhaustif.
D’autres, à l’inverse, laissent la bride sur le cou à leur bêta-lecteurs : à eux de choisir s’ils veulent faire du point par point ou bien un avis général, quelque chose de long ou un résumé succinct. C’est le cas d’Ophélie Bruneau : « Quand je demande une bêta-lecture, je veux « toute remarque permettant d’améliorer le texte ». Ça reste large. Certains vont me renvoyer une appréciation globale, d’autres reprendront point par point, ça dépend des gens. Je prends tous les retours, car tous, même s’ils tiennent en trois phrases, me seront utiles. » Et lorsqu’on lui demande si elle s’attend à des critiques de fond ou de forme, elle répond : « Les deux, mon capitaine. Ça va ensemble, de toute façon. »
Au final, les modalités d’une bêta-lecture sont à définir entre l’auteur et le lecteur. Car si l’auteur a de grosses attentes, il demande aussi un gros travail à son lecteur et celui-ci doit s’y préparer. L’idéal, lorsqu’on demande une bêta-lecture (ou qu’on accepte d’en réaliser une), est donc d’en discuter, afin de savoir exactement ce que l’une et l’autre partie attendent de cette expérience.
Que faire des bêta-lectures ?
Un panel de lecteurs plus ou moins étendu vous a rendu des avis. Maintenant, que devez-vous en faire ? Appliquer à la lettre les suggestions qui s’y trouvent ? Oui, mais si les bêta-lecteurs se contredisent ? Comme pour le point précédent, la manière dont vous réagissez aux critiques de vos lecteurs-test ne dépend que de vous.
« J’examine chaque remarque en partant du principe que si lecteur et auteur divergent, c’est,dans la plupart des cas, le lecteur qui a raison. Avec cette idée en tête, j’essaie d’analyser factuellement chaque remarque, puis d’évaluer la possibilité de corriger et l’ampleur du boulot. La décision se fait ensuite naturellement. Si l’histoire ne fonctionne pas, je change. Si elle fonctionne mais demande des changements mineurs, je les effectue. Si elle fonctionne mais demande de gros changements, je décide en fonction de la quantité de boulot que ça induit »,raconte Fred Vasseur. Un point de vue qui privilégie le lecteur et son analyse, et qui demande une bonne dose de remise en question et l’acceptation d’une intervention dans la conception du texte qui peut être conséquente.
Certains auteurs sont plus possessifs avec leur travail et préfèrent se fier à une méthode plus rationnelle pour les commentaires. Sylvain Desvaux explique que sa sélection est basée sur la redondance des critiques. Selon lui, c’est « arithmétique : si un seul lecteur te fait une remarque sur le fond ou la forme, ses goûts et son éducation sont sans aucun doute impliqués et sa remarque n’est pas forcément pertinente. De même, si 4 lecteurs sur 5 me font la même remarque, je me repenche sur ce point précis, même si tout me paraissait tenir debout. »
D’autres encore choisissent un intermédiaire entre la redondance des critiques et leur propre ressenti. C’est le cas de Cécile Ama Courtois : « Je prends le temps de lire plusieurs fois une critique, à plusieurs heures, voire plusieurs jours d’intervalle. Histoire, d’une part, de ne pas réagir à chaud, de manière impulsive et émotionnelle (ce n’est jamais bon), et également de manière à réfléchir à toutes les « faces » du problème qui m’est posé. J’essaie de toujours garder à l’esprit que si le lecteur n’a pas compris ce que j’ai voulu dire, ou n’a pas ressenti ce que je voulais qu’il ressente, c’est que je l’ai mal exprimé et qu’il me faut donc recommencer. Sinon, comment je fais le tri ? Il y a des choses auxquelles je tiens, que j’ai écrites de telle manière volontairement et que je garde même si plusieurs bêta-lecteurs me l’ont signalé comme faux ou dérangeant. Pour le reste, certaines critiques m’apparaissent évidentes et justifiées. Pour celles-là, je corrige tout de suite. D’autres me laissent perplexes, j’attends alors d’avoir tous les retours pour voir si elle revient plusieurs fois et j’avise. »
Une fois encore, il n’y a pas de constante ou de recette miracle. C’est l’auteur qui reste maître de son texte et qui est le décisionnaire final, mais le respect des bêta-lecteurs s’impose : réfléchir aux critiques qui sont exprimées, même si on n’en tient pas compte, est toujours enrichissant.
Quand envoyer son texte à la bêta-lecture ?
La décision finale est entièrement dépendante du ressenti de l’auteur.La plupart des écrivains choisissent de relire et de corriger eux-mêmes leurs textes, parfois plusieurs fois, avant de les soumettre à un lectorat. Les raisons invoquées sont diverses : Iluinar considère que c’est « la moindre des politesses », tandis que Fishdrake considère que « l’écrivain ne doit pas s’appuyer que sur le bêta-lecteur pour lui signifier ses erreurs, faute de quoi il faudra mettre aussi leur nom sur la couverture. »
À l’inverse, Sylvain Desvaux envoie « toujours des premiers jets pour 2 bonnes raisons : je sais ainsi que le texte n’est pas dans sa version finale et que les critiques sont justifiées ».
À qui profite le crime ?
Il est évident que l’auteur et son texte profitent de ces bêta-lectures. Mais sont-ils les seuls ? Apparemment, non.
Pour Maureen Konrad, « lorsqu’on lit un livre déjà édité et publié, il est difficile de voir les modifications,[…]on ne voit du livre que sa façade finale tandis qu’en tant que bêta-lecteur, on peut également l’accompagner dans ses idées, son développement, bref, tout ce qui touche au monde auquel il donne vie dans nos esprits ! » Une manière, pour un lecteur habitué au produit fini, d’avoir « un pied dans le réel et un autre dans l’imaginaire ».
Mais pour ceux qui bêta-lisent leurs comparses, l’expérience s’avère probante. C’est ce qu’explique Earane : « bien souvent, lorsqu’on retrouve certains de ses propres tics chez les autres, ça fait écho et je crois que l’on intègre davantage la remarque pour soi aussi. C’est aussi un grand avantage de la bêta-lecture. Voir chez les autres ses défauts et essayer de les corriger du même fait. »
Un enrichissement qui, d’après David J. Collins, est assez similaire à l’expérience de tout auteur lisant un livre écrit par quelqu’un d’autre.« Peut-être que je suis un lecteur-test lorsque j’achète pour la première fois le livre d’un auteur en particulier[…]. Autant Stephen King est devenu comme un mentor (faut garder le secret, il ne le sait pas !), autant je sais désormais que je ne veux faire ni du Dan Brown ni du Levy ou du Musso. ».