Polémiques

Petit manuel d’escroquerie à l’usage des auteurs malhonnêtes qui se lancent, 3e partie

This entry is part 3 of 3 in the series Manuel d'escroquerie

La semaine précédente, nous avons vu les méthodes qui demandent un peu d’investissement financier. À présent, nous passons au stade « expert », j’espère donc que vous avez bien retenu les deux leçons précédentes…

Les méthodes qui demandent beaucoup de culot (et un ego surdimensionné, si possible) :

  1. Devenez ami avec une star de la télé. Qu’importe s’il s’agit d’un présentateur du téléachat sur une chaîne obscure regardée par trois personnes, ou d’un chanteur qui a eu un moment de gloire avant de sombrer plus ou moins dans l’oubli. Être pote avec quelqu’un qui passe à la télé, c’est la classe, ça va vous ouvrir des portes.
    • Avantage : votre nouvel « ami » pourra parler de vous dans ses quelques rares interviews, vous pourrez prendre des photos avec, les placarder partout.
    • Inconvénient : veillez à ce que votre nouvel « ami » ne lise jamais votre roman, sinon il risque de vous en vouloir de l’avoir associé à une telle daube et cela pourrait se retourner contre vous.
  2. Devenez l’égérie d’une marque quelconque. Le fleuriste du coin est sans doute à la recherche d’un peu de pub gratuite supplémentaire, une petite entreprise qui se lance peut être éblouie par votre bluff et se dire que vous proposer cette sorte de partenariat un peu bizarre pourra lui ouvrir des portes. Veuillez toutefois à bien choisir vos « partenaires ». Une marque de croquettes pour chien, par exemple, n’est pas un bon partenaire, à moins que votre roman ne parle de votre compagnon à quatre pattes. Le papier toilette, ce n’est pas super non plus. Car oui, il faut que ce soit un minimum glamour.
    • Avantage : vous avez votre tronche sur un dépliant publicitaire, ça fera parler un peu de vous.
    • Inconvénient : si personne n’a entendu parler de la marque, ça fait un peu auteur désespéré qui se raccroche à des brindilles (ou, en retournant la situation, entreprise désespérée prête à tout et qui n’a trouvé que vous).
  3. Mettez des photos de vous partout, si possible tenant votre roman (ou si vous n’avez pas (encore) d’exemplaire papier, avec votre illustration de couverture en fond). Inondez les réseaux sociaux de votre mine réjouie. Si vous êtes un minimum séduisant, plein de gens désespérés du sexe opposé (ou pas) vont s’intéresser à vous, vous vous sentirez important, et comme ce genre de personne n’a en général pas une intelligence extraordinaire, il se peut même qu’ils apprécient votre œuvre (ou fassent semblant pour vous flatter). Tout le monde sait que les écrivains les plus lus sont les plus beaux.
    • Avantage : plein de fans en plus ! Qu’importe si ce sont des hommes ou des femmes hystériques qui vous écrivent des messages privés du genre « tu m’exite, tu veu ètre mon amie ? » ou « je fantasme tro à fon sur toi, tes le plu beau mec de la terre, je te file mon 06, apèle moi stp ». Après tout, l’important, c’est que vous ayez plein d’amis. Rappelez-vous que ce que vous voulez, c’est être connu. La quantité prime sur la qualité.
    • Inconvénient : les commentaires dégoulinants de bave sur la moindre de vos photos, même celle mal cadrée et floue où vous êtes de dos dans la brume au crépuscule, risquent de faire fuir les quelques lecteurs « sincères » qui se demanderont s’ils sont sur la page d’un écrivain ou sur celle d’un chanteur dans un groupe de musique pop pour adolescents.
  4. Postez partout des citations tirées de vos propres livres. Non seulement ça montrera que vous êtes un écrivain, un vrai (car chacun sait que les écrivains sont des êtres profondément imbus d’eux-mêmes et égocentriques avec un énorme complexe de supériorité), mais en plus, vos fans trouveront ça « tro profon, plein de phylosophie ». De même, terminez chacun de vos statuts facebook par une phrase qui vous caractérise, toujours la même, car les gens ne se lassent jamais (et soyons honnêtes, vous avez planché longtemps pour la trouver, cette phrase, et vous voulez la rentabiliser). Comme un slogan, en somme (vous savez, « Always, Coca-Cola » ou « Les lave-linges durent plus longtemps avec Calgon », ou encore « Efficace et pas chère, c’est la MAAF que j’préfère, c’est la MAAF ! » (avouez que vous l’avez dans la tête, maintenant, hein ? C’est bien ce que je disais).
    • Avantage : il y aura une certaine continuité, les lecteurs associeront cette petite phrase à votre illustre personne, un peu comme Amélie Nothomb et ses chapeaux (ou Vanessa du Frat et ses décolletés, haha). Les gens pourraient même partager vos citations entre deux photos de chatons dans un panier ou de paysages avec arc-en-ciel et petits cœurs. Leurs contacts, soudain soufflés par cet élan de philosophie, pourraient aller voir qui est l’auteur de cette citation si profonde.
    • Inconvénient : à la longue, quand même, ça devient lourd. Vos éternelles citations ou votre slogan mielleux peuvent faire fuir les gens qui se sont inscrits à votre page « pour voir » (et aussi parce que vous avez envoyé trouze mille invitations à tous vos contacts et avez insisté pour qu’ils aillent « liker » votre page). Car il faut bien être clair, le mielleux et les citations, ça plaît à une certaine catégorie de personnes (ceux qui partagent des photos d’arc-en-ciel et de petits cœurs dans un panier et des paysages avec des chatons dans le ciel. Ou l’inverse).
  5. Essayez de trouver un écrivain plus connu que vous et proposez-lui d’écrire un roman à quatre mains. Pas parce que vous aimez ce qu’il fait (et pourquoi perdre du temps à lire le roman d’un futur partenaire ?), mais parce qu’il a déjà son public (celui qu’il a réuni grâce au Petit manuel à l’usage des auteurs honnêtes qui se lancent qui ne comporte qu’une ligne : « Croyez en vous et persévérez, c’est grâce à la qualité de votre travail que vous pourrez obtenir la reconnaissance »). Proposez-lui votre propre projet, ne cherchez pas à définir quoi que ce soit avec lui. De toute manière, vous avez déjà tout prévu, ce n’est pas parce que quelqu’un d’autre est impliqué qu’il doit se mettre à chambouler vos plans, non mais oh ! (Du moment qu’il partage auprès de ses lecteurs, hein…) Il ne veut pas ? Qu’à cela ne tienne. Insistez, lourdement. Si vraiment il ne veut pas (après tout, c’est lui qui perd quelque chose, pas vous ! Dire qu’il aurait pu avoir la chance de travailler avec quelqu’un comme vous et qu’il préfère se concentrer sur ses propres projets ! Non mais quel abruti, celui-là !), trouvez-en un autre. Répétez le processus jusqu’à dénicher un écrivain plus connu que vous qui acceptera votre marché et annoncez partout votre collaboration, en accompagnant si possible cette annonce d’une petite histoire à faire frémir dans les chaumières, du genre « je me suis trouvé(e) par hasard dans un train à côté de quelqu’un qui lisait mon livre (rappelez-vous, on ne peut jamais trop se faire mousser), nous avons échangé quelques mots, et tout de suite, l’idée de cette collaboration a germé entre nous ! Et en plus, c’était Machin Connu, et je ne le savais même pas, alors que j’ai lu tous ses bouquins ! »
    • Avantage : vous récupérez ses lecteurs (ceux qui l’aiment pour la qualité de son travail et pas pour ses photos dans une pose sexy), et ceux-ci vont se dire : « Oh, Machin Connu va travailler avec cet auteur dont je n’ai jamais entendu parler mais qui a plein de fans sur les réseaux sociaux, et même qu’il est l’égérie d’une marque de cigares et d’un fabricant de décapsuleurs, ça doit être quelqu’un de génial, sinon Machin Connu, dont j’ai lu tous les bouquins, n’aurait jamais accepté de travailler avec lui ! »
    • Inconvénient : les auteurs à qui vous avez proposé cette collaboration avant et qui ont refusé riront un peu sous cape et risquent peut-être d’écrire des articles sur un site. Sans compter qu’il faudra aussi faire avec la personnalité de quelqu’un qui a une certaine expérience et qui ne sera peut-être pas impressionné par votre bluff, donc ça risque de blesser un peu votre ego.
  6. Donnez de nombreuses interviews (c’est-à-dire, écrivez à tous les journaux que vous connaissez pour leur raconter votre merveilleuse histoire, les 40 000 exemplaires vendus (première partie de l’article, pour ceux qui n’ont pas suivi), votre partenariat avec le fabricant de décapsuleurs, votre collaboration avec Machin Connu, etc.), et dans celles-ci, expliquez longuement votre processus d’écriture, racontez votre journée, les deux heures quotidiennes à répondre aux courriers de vos lecteurs (et faites d’une pierre deux coups : vous êtes quelqu’un de suffisamment généreux pour offrir une partie de votre journée à vos lecteurs et pour leur répondre longuement, et vous avez des lecteurs qui vous écrivent, c’est la classe !), votre manière d’écrire, vos ventes spectaculaires, votre philosophie, etc. N’en jetez plus, ils sont conquis.
    • Avantage : les gens qui ne vous connaissent pas et qui tombent sur cette interview vont être intrigués, peut-être même assez pour acheter votre livre.
    • Inconvénient : quand votre journée paraît plus remplie encore que celle de Stephen King lui-même, cela peut sembler louche.
  7. Vous voulez lancer un nouveau projet ? Surfez sur une vague à la mode. Prenez une série qui a très très bien marché, plagiez-la, appelez-la presque pareil, veillez à ce que votre couverture puisse être confondue avec celle de ce best-seller et clamez partout que votre nouvelle série va détrôner ce monument.
    • Avantage : vous récupérez les fans de la série qui a très, très bien marché. Et à moindre frais, en plus, puisque l’autre auteur aura déjà fait toute la promo.
    • Inconvénient : il peut y avoir de tout petits problèmes de droits à la propriété intellectuelle, quelques accusations de plagiat, etc. Mais qu’à cela ne tienne, les procédures durent des années, et d’ici-là, vous serez tellement connu que vous n’en aurez plus rien à faire de payer 100 000 € de dommages et intérêts.
  8. Participez à des associations caritatives, annoncez que vous allez donner une partie de vos bénéfices au Refuge pour chiens alcooliques et héroïnomanes, vous vous mettrez au même niveau que tous ces auteurs véritablement engagés dans des causes, et qui le font par pure générosité parce qu’ils sont de toute manière déjà connus.
    • Avantage : vous passez immédiatement au stade supérieur de l’auteur de best-sellers : l’auteur de best-sellers généreux et altruiste.
    • Inconvénient : il faut vraiment donner vos bénéfices. Donc veillez à ne pas trop vous engager sur ce projet qui ne vous rapportera au final pas grand-chose.
  9. Bloquez systématiquement tous les gens qui critiquent votre travail (ou votre manière de promouvoir celui-ci). Intervenez sur tous les sujets qui parlent de vous pour défendre votre point de vue, et surtout, rappelez-vous : que des jaloux.
    • Avantage : au moins, ils ne pourront plus intervenir sur votre mur ou semer le doute dans l’esprit de vos fans (après tout ce que vous avez fait, ce ne sont plus des lecteurs, ce sont des fans !).
    • Inconvénient : veillez tout de même à ce que ce ne soient pas des éditeurs, des journalistes ou des auteurs, ou qu’ils n’aient pas un site de conseils pour les jeunes écrivains, ils pourraient décider d’aller semer le doute dans l’esprit de vos fans à plus grande échelle.

Maintenant, vous voilà équipés pour la promotion malhonnête de votre ouvrage !

Chers lecteurs, notez bien que cet article est une œuvre de fiction à but sarcastique, et que toute ressemblance avec des personnes, des méthodes ou des événements ayant existé est purement fortuite (ou pas).

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8 réponses à Petit manuel d’escroquerie à l’usage des auteurs malhonnêtes qui se lancent, 3e partie incluant les trackbacks et les pings.

  1. Mais génial quoi ! ^_^
    Mon paragraphe préféré : celui du partenariat avec Machin Connu. C’est tellement vrai ! 😀

  2. Kanata a dit :

    Moi j’ai pris les boucheries Sandoz… Peut-être pas le meilleur choix…

  3. XD y’a encore de l’espoir!!

  4. ALD a dit :

    Pff ! Z’êtes tous que des jaloux !

  5. Perso, je choisirais un partenariat avec Werther original.

  6. Angelique a dit :

    Voila a plusieurs reprise que je lis tes articles et ils sonnent toujours aussi vrai :/

    C’est quand même malheureux!

    Tu as oubliée par contre la fameuse réglé

    « Vous avez un auteur « conçurent » que vous n’aimez pas » Envoyez lui vos fans pour qu’ils lui fassent une vie de dingue! Allez raconter des conneries aux autres éditeurs sur son compte pour qu’ils n’aient pas le moindres contrats avec eux! Et si possible faite vous passez pour une victimes

  7. Hermine.des.neiges a dit :

    J’aime beaucoup 🙂

    En plus, j’en ai croisé une comme ça y’a pas longtemps…

    Je partagerai cette petite série d’articles.

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