Rainbow Warriors d’Ayerdhal, aux Éditions Au Diable Vauvert
Roman encore frais et d’actualité en cette année de virulents débats autour du mariage pour tous. Le point de départ est loufoque : des personnalités influentes (qu’on reconnaît facilement) ont pour projet de renverser une dictature africaine à l’aide d’une armée de mercenaires LGBT. Mais évidemment rien n’est ni simple ni évident dans tout ça. Un roman drôle et grave mené tambour battant et sans temps morts. Se déguste sans modération.
Mis à la retraite sur requête du bureau ovale, le général de division Geoff Tyler se voit proposé par l’ancien secrétaire général des Nations Unies de reprendre du collier à la tête d’une armée privée financée par des célébrités de toutes obédiences. Son objectif : renverser le dictateur d’un État africain, soutenir le gouvernement transitoire le temps de la rédaction d’une constitution démocratique, et permettre la tenue d’élections en bonne et due forme.
Ses moyens : à lui de les définir, l’argent n’est pas un problème. Son effectif : Un encadrement d’une centaine de professionnels et 10 000 soldats dont il faut parfaire la formation.
Jusqu’ici tout va bien. Il y a toutefois un détail. Cette armée est presque exclusivement constituée de LGBT. Lesbian, Gay, Bi, Trans.
Alors que le mariage et l’homoparentalité pour tous font encore débat, Ayerdhal nous pousse au-delà de nos limites et nous plonge avec humour au cœur de thèmes férocement actuels : l’ingérence militaire sous prétexte humanitaire, la solidarité à l’échelle mondiale d’un groupe stigmatisé et persécuté, la défense sans concession des Droits de l’Homme… Cette fiction plus vraie que nature interroge avec une impertinence jubilatoire. Et si l’engagement d’individus non directement concernés, aux côtés de populations persécutées, pouvait modifier le destin du monde ?
Comment je suis devenu stupide de Martin Page, aux éditions Le Dilettante
Le roman a une dizaine d’années, mais il est impératif de le lire : drôle et amer, ce parcours au fil d’une quête existentielle ne manque pas de piquant, et donne à réfléchir.
Tout est affaire de méthode. Même la course au néant. « Surtout la course au néant », rétorque le narrateur de Martin Page. Birman de souche, sorbonnard de maintien, faible mais obstiné, il a décidé de s’offrir en proie au rien, de s’annihiler avec rigueur. Et dans son cas, néant = sottise. il lui faudra donc « couvrir son cerveau du suaire de la stupidité ». Mais d’où plonger pour ce grand bain de vide, d’où s’autopropulser au cœur de l’absence ? Première procédure envisagée : l’éthylisme. Il y a en effet dans l’alcool des potentialités à l’affaissement cérébral, des richesses en matière de dissolution mentale qu’il serait vain de nier et bête de négliger. L’ingurgitation méthodique de breuvages fatals est donc envisagée, ce sous l’œil d’un spécialiste. Las ! la mousse d’une simple bière n’a pas effleuré la lèvre de notre candidat à l’auto-dissolution que le voilà comateusement jeté à terre. Reste l’acte ultime, qui réclame une volonté de boxeur et une discipline de samouraï : la crétinisation. La tâche s’annonce complexe, l’effort énorme. Il lui faut, pour plier ses bagages mentaux, abolir sa bibliothèque, effacer sa mémoire, dissoudre son q. i. Il s’aide pour la chose d’une substance idoine censée le bêtifier sans faille. La chose prend tournure. Mais c’est sans compter avec de redoutables anges gardiens qui s’en viennent glisser sous son œil vide un choix de la correspondance de Flaubert. Patatras ! Un éclair d’intérêt se remet à brasiller dans cette prunelle promise à l’atonie. Son retour au monde des mammifères cérébrés se fera grâce à une espastroulante séance d’exorcisme. Est con qui peut. N’est pas crétin qui veut (vieux proverbe birman).
Sang de Pierre d’Elisabeth Vonarburg, aux éditions Alire
Le dernier recueil en date (à ma connaissance) d’une très grande dame de la SF (Québéquoise d’adoption) est tout sauf facile et gratuit. Lecture exigeante, pour des textes profondément humains au sein d’un avenir plutôt déliquescent. Et quel style…
Le ciel gris moutonnant de nuages, la mer maussade et houleuse, Manuelle étendue inconsciente et pâle sur la petite plage près du quai, dégoulinante, son ventre nu et proéminent bien en évidence, et les trois sirènes auprès d’elle, avec celle qui me fait face, Tiliss, le torse illuminé de signaux verdâtres par le message bioluminescent que j’étais bien incapable alors de déchiffrer, mais ce n’était pas nécessaire. Je me suis agenouillé près de Manuelle, et dès que je l’ai touchée j’ai su ce qu’elle était…
Résultat d’un ancien projet d’hybridation, les sirènes représentaient, pour Arkon Corless, l’avenir de l’humanité, décimée par une terrible pandémie. C’est ce qu’avait toujours cru Manuelle, du moins jusqu’à ce que surgisse Spark…
Ils ont tous quinze, trente ou quarante-cinq cycles. Comme Ouré, diOuré et triOuré. Sauf Hilsh, qui a vingt cycles et aucun clone et l’impression d’être un corps étranger sur ce Vaisseau parti il y a vingt-trois générations.
La capsule de sauvetage de Jacob a abordé une planète où il pourra survivre en attendant les secours. Or, deux jours après son arrivée, des rêves étranges envahissent son esprit, des rêves qui ne sont pas à lui… ou le sont-ils ?
Six nouvelles d’une rare intensité, tant littéraire que thématique, six immersions singulières – à fleur d’émotions – dans l’espace-temps infiniment flexible d’Élisabeth Vonarburg.