Voici ce que Silène, enseignante de lettre, écrivain pour petits (La Saveur des Figues et Le Bateau vagabond aux Éditions du Jasmin, 2010 et 2011 respectivement) et grands (Les Moelleuses au chocolat, Édition du Jasmin, 2012), créatrice de Callioprofs, site spécialisé en littérature jeunesse.
Bjorn le Morphir de Thomas Lavachery, éditions L’école des loisirs
Un pur bonheur ! Drôle et attachant, d’un style original et très enlevé, ce premier tome nous enchante par sa fraîcheur. Les vikings revus et corrigés avec un humour fabuleux. Le personnage de Bjorn, narrateur gringalet qui se révèle combattant hors-pair est unique : pourtant il n’était pas facile de faire quelque chose d’aussi original avec un personnage si éculé, le minus devenu héros. Les créatures qu’il rencontre dans ce long combat mené contre la neige maléfique sont toutes aussi originales, la fantasy revisitée, mâtinée de mythologie viking, que du plaisir ! À faire lire sans retenue à tout lecteur, amateur du genre évidemment mais aussi les autres pour leur montrer un récit de fantasy original, loin du classique médiéval fantastique. La bonne nouvelle ? il y en a toute une série ensuite !
La neige est méchante en cet hiver 1065, elle a décidé de s’en prendre aux hommes. Elle envoie ses légions de flocons de la taille d’un roc sur le Fizzland, avec pour mission d’engloutir les villages vikings et tous leurs habitants. Afin d’échapper à la Démone blanche, Bjorn et sa famille se claquemurent dans la salle commune de la maison de son père, Erik, le colosse sans peur. Tous se préparent à supporter un siège qui risque de durer de longs mois. Lors de cette épreuve exceptionnelle, chacun va dévoiler son coeur et son courage. À l’exception de Bjorn. Lui ne se révèle pas, il se métamorphose. Ce jeune garçon timide et craintif, dont le nez coule comme une source, maigre comme un oisillon et pas très doué pour les armes va brusquement se transformer en un combattant redoutable. Par quel miracle ? Bjorn serait-il un morphir ? Lui-même en doute.
Disparaître d’Etienne Ruhaud, éditions Unicité
Roman terrible et dur comme les temps actuels, qui se dévore comme un page-turner malgré ses thèmes difficiles, Disparaître raconte la perte progressive, la disparition par effacement de Renaud, un jeune homme comme un autre. En quelques semaines, Renaud perd son job à la Poste, et de fait son logement, il se retrouve à errer dans la rue. Il a des parents quelque part, il fait quelques rencontres, mais il n’a pas de bol dans cette société grise et indifférente. Banlieue parisienne, lieux oubliés sont décrits avec une grande justesse. On s’attache à Renaud, on entre avec lui dans la spirale et on ne sait pas bien pourquoi ça va si vite, comment on en arrive là. Mais on ne le lâche pas. On ne sort pas indemne de ce roman écrit avec talent mais on a aussi l’impression de ne pas être seul à garder les yeux ouverts sur notre société dérivante. Un roman sérieux parce que l’été on a aussi le temps de réfléchir et que c’est plus facile d’affronter certaines images sous le soleil qu’au cœur de l’hiver.
Étienne Ruhaud donne à cette odyssée négative un décor à sa mesure : la banlieue parisienne, de Nanterre à Alfortville, puis à Thiais, et à des moments où la météo n’est guère riante. Mais cela, jamais de façon abstraite ou vague. Ses descriptions sont précises, captant des détails riches de sens et supposant un minutieux travail de repérage. De temps en temps, par des mots en italique, il nous donne des échantillons de l’air du temps. Disparaître est un roman de toujours et, en même temps, de l’immédiat aujourd’hui. Si l’on veut, c’est le roman de la crise.
Cela devrait nous rebuter. Au contraire. Le miracle est là : l’auteur nous intéresse, nous passionne même, par cette histoire et son décor sinistre. C’est le paradoxe que relevait déjà Aristote au début de sa Poétique : « Nous prenons plaisir à contempler les reproductions très fidèles de choses dont la vue nous est pénible dans la réalité (1448 b 4). » Ce paradoxe a un nom, le plus beau des noms : littérature.
L’Après-dieux de Maëlig Duval, éditions Griffe d’encre
Un excellent roman, court et dense, à l’imaginaire fertile. On plonge d’emblée dans le texte grâce à un très bon jeu de points de vue (bravo pour la maquette, avec les plumes, la clarté des passages d’un personnage à l’autre) et surtout grâce à l’étonnement que provoque cette société nouvelle, ravagée. Le héros est particulièrement bien caractérisé, entre la rigidité due à sa fonction et la capacité qu’il a gardée d’écouter et d’observer, quelque surprise il ait en découvrant Eva et son fils. Le suspens est fort et la surprise de ce que sont ces gens, des raisons qui les ont amenés à rester dans ce village en ruine, est particulièrement bien amenée. J’ai été prise au piège ainsi, n’arrivant plus à lâcher l’ouvrage. La poésie qui se dégage de ce texte onirique, quoiqu’on nage le plus souvent en plein cauchemar, est un de ses atouts ainsi que la facilité avec laquelle on imagine ce monde étrange et surtout la présence des dieux. Ils font bien envie et j’ai été bouleversée par la fin tragique. Cette chute m’a semblé un peu moins réussie, sûrement parce qu’elle est très rapide et que je n’ai pas eu l’impression d’en profiter suffisamment, peut-être aussi parce que le cauchemar devient bien plus tangible avec les détails très réalistes des dernières pages, le pus, l’état des plumes. La démystification m’a attristée bien sûr, mais elle était nécessaire et logique. Je suis sortie tourneboulée de cette lecture et elle m’habite encore tant l’auteur a du talent pour planter le décor, l’histoire, les personnages. Une plume déjà parfaitement maîtrisée. Le tout servi par une belle couverture, un ouvrage de belle facture et une présentation originale. Un excellent roman, décidément.
Albert Vaclau est fonctionnaire au bureau de la Reconstruction.
Il évalue de 1 à 5 les dégâts de la guerre civile dans les villages à reconstruire.
Il classe les organisations non gouvernementales de 1 à 9, selon leur niveau de sédition.
Mais quand il rencontre Eva et son fils, il doit se rendre à l’évidence : aucune échelle de valeurs ne peut s’appliquer à eux.