La réécriture, c’est comme décorer un sapin de Noël. C’est doublement de saison, avec la fin de NaNoWriMo !
Beaucoup de gens sont contre la réécriture. Ils imaginent que s’il faut réécrire totalement une histoire, autant la mettre à la poubelle. Je pense, au contraire, qu’il ne faut jamais abandonner une idée. Une histoire peut être racontée de 1 000 façons et peut-être bien que les trois premières n’étaient pas les bonnes.
La réécriture complète
Je vais vous parler d’Aujourd’hui ne se termine jamais, à paraître début 2014 (je suis désolée pour l’auto-promo, mais je prends l’exemple que je connais le mieux). Entre le tout premier jet et le texte qui paraîtra, 15 ans se seront passés. Non, mon doigt n’a pas dérapé, ce ne sont pas cinq mais quinze années. Il n’y a pas eu autant de versions (heureusement !), mais ça n’est pas passé très loin.
Voici l’idée en 1998 :
Mike, d’origine juive polonaise, est veuve (c’est bien une femme) d’un militaire et protège une adolescente, Karen, qui a été agressée.
Mais pour le reste…
1) Mike a changé de nationalité (mais elle est toujours d’origine juive polonaise).
2) Mike a changé de travail (mais elle s’installe toujours chez l’adolescente).
L’essence de l’histoire que je voulais raconter n’a pourtant jamais changé. Voici le roman en 2013 (date de la version définitive rendue à l’éditeur) :
Mike, d’origine juive polonaise, est veuve d’un militaire et protège une adolescente, Karine, qui a été agressée.
(Subtil, le changement.)
J’ai pris le fil conducteur et j’ai cherché une nouvelle approche au problème, un autre moyen de raconter cette histoire qui ne me plaisait pas telle quelle.
Quand je pense qu’une histoire vaut le coup, je cherche, j’expérimente jusqu’à trouver le bon ton. La meilleure façon de le faire, pour moi, c’est de faire table rase, créer un nouveau document et recommencer.
L’autre réécriture
Pourtant, la réécriture que je préfère n’a rien à voir avec la refonte d’une ancienne version. C’est juste la façon de rendre un texte vivant.
Reprenons Aujourd’hui ne se termine jamais.
Pol, la jumelle de Mike (oui, c’est vraiment une femme), court le matin. C’est la seule chose que j’ai écrite lors du premier jet de la dernière version.
Avant (sans correction et sans la mise en page)
Le téléphone sonna. Mike rejeta la fumée de sa cigarette.
— Salut, clone.
De l’autre côté de l’Atlantique, Pol s’assit au bord de son siège et noua les cordons de ses baskets.
— Tu fais quoi ? demanda-t-elle.
— Je prépare ma prochaine mission, répondit Mike. Toi ?
— Je vais courir.
— Il est quelle heure, chez toi ? Six heures du mat’ ?
Après (sans correction et sans la mise en page)
Pol finit de s’habiller, s’assit au bord de son siège et noua les cordons de ses baskets. Il était à peine 6 heures du matin à New York. Qu’il fît jour ou nuit, beau ou mauvais, Pol sortait toujours à la même heure pour courir ses dix kilomètres. Elle ne prenait jamais le même trajet, sa sœur jumelle lui avait suffisamment sermonnée à ce propos (…). Pol avait beau être athlétique, une attaque par surprise la mettrait KO en quelques secondes. « Prends toujours des sentiers différents, ne laisse jamais personne dans ton dos. Si tu es seule, fais semblant de nouer tes lacets et laisse la personne derrière toi avancer. » Même de l’autre côté de l’Atlantique, Mike continuait de veiller sur elle. Pol prit son portable.
Mike (…) rejeta la fumée de sa deuxième cigarette. (…) Le téléphone sonna.
— Salut, clone, fit Pol. Tu fais quoi ?
— Je prépare ma prochaine mission, répondit Mike. Toi ?
— Je vais courir.
La réécriture n’est pas censée dénaturer un texte, au contraire : elle est supposée le rendre meilleur, plus fort. J’aime cet exercice presque autant qu’écrire un premier jet, je trépigne rien qu’à l’idée. Quand j’aime un texte, ou du moins l’idée d’un texte, je ne le lâche pas tant que je ne suis pas satisfaite. Un manuscrit est comme un sapin de Noël qu’on peut décorer à satiété (j’adore les sapins de Noël). Et quand je ne sais plus comment améliorer mon texte, mon travail individuel et solitaire est fini. Place aux lecteurs-test et/ou aux éditeurs. À eux de me montrer comment avancer.
S’il y a des passages qui alourdissent parce qu’ils sont maladroits ou redondants, on fait des coupes claires. Cela fait partie de la réécriture, là où la correction se contenterait de corriger les fautes. La réécriture n’est sûrement pas la bête à abattre. Si vous l’aimez bien, elle vous le revaudra.
